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Les garçons de Fengkuei - Hou Hsiao-hsien (1983)

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Troisième film inédit dans le cadre de la rétrospective des œuvres de jeunesse de Hou Hsia-hsien, Les garçons de Fengkuei indique une nette rupture dans la filmographie du cinéaste chinois. Long métrage légèrement postérieur au film à sketches sorti la même année en 1983, L'homme-sandwich, et réalisé par le collectif fondateur de la Nouvelle vague taïwanaise, dont HHH mis en scène le court-métrage éponyme, Les garçons de Fengkuei confirmait la nouvelle mue du réalisateur après le transitionnel Green, Green Grass of Home. Fruit de la rencontre avec la romancière Chu Tien-wen, qui devenait à partir de cette date sa scénariste attitrée, le film puise au plus prêt des souvenirs de jeunesse du cinéaste, et introduit le début d'une tétralogie (1) qui se conclura avec Poussières dans le vent (1986), avant d'entamer trois ans plus tard un nouveau cycle cinématographique centré cette fois-ci sur l'histoire de Taiwan (2). 

Ah-ching (Doze Niu) et ses amis habitent Fengkuei, un paisible village de pêcheurs des îles Penghu. Les quatre garçons multiplient les bagarres et petits larcins pour passer le temps et s'échapper à l’ennui. Suite à un règlement de comptes qui a mal tourné, trois membres du groupe, Ah-ching, Ah-jung et Kuo-tzu partent à Kaohsiung. Grâce à la sœur d'Ah-ching, ils trouvent sur place un appartement, puis un travail dans une usine locale. Mais la vie dans cette grande ville va bientôt remettre en cause l'unité et l'amitié de ce petit groupe face aux réalités quotidiennes...


Premier volet du cycle autobiographique, Les Garçons de Fengkuei s'inspire de la jeunesse de petit délinquant du cinéaste, quand celui-ci habitait Fengshan, grande ville du Sud de Taïwan, avant sa « rédemption » par le cinéma après son départ pour le service militaire. A l'image de son précédent long métrage, qui marquait l'empreinte d'un maître du 7ème art, à savoir le japonais Yasujiro Ozu, ce quatrième film porte également le sceau de plusieurs chefs-d'œuvre cinématographiques, dont en premier lieu Rocco et ses frères, que la bande découvre dans un cinéma après y être entrés en douce en espérant y voir un film pornographique ! De l'histoire évoquant le film de Luchino Visconti et les difficultés d'une jeunesse exilée, HHH s'inspire également de la forme du néoréalisme italien en faisant croiser l'approche documentaire au sein même de sa fiction. 

Rupture radicale dans la narration, Les Garçons de Fengkuei révèle également une rupture formelle non moins profonde : l'apparition première de ses longs plans larges statiques significatifs de son style, pour mieux souligner l'action, le réel et l'inattendu par les allers et venus des personnages dans ce strict cadrage fixe. Filmé tel un ballet, au son de Vivaldi et de Bach, la course effrénée de cette bande de petits voyous au cœur du village côtier de Kiashiong, va à mesure s'opposer à l'univers urbain, le passage de la campagne à la ville, signant aussi celui de la jeunesse à la maturité, de l'insouciance aux premières désillusions (3).  


De ce récit initiatique des trois amis, dont en particulier celui de l'introverti Ah-Ching (4), personnage le plus perméable aux bouleversements à venir, HHH livre un film à la beauté formelle proche de la perfection, et un travail remarquable sur la mémoire teinté de nostalgie douce-amère soutenu (pour la première fois) par une troupe de jeunes acteurs sans formation touchés par la grâce.

Primé au Festival des trois continents de Nantes en 1984, Les Garçons de Fengkuei permit à son auteur de lui ouvrir la porte de l'international.


Crédits photos : © 1983 3H PRODUCTIONS. Tous droits réservés.

Feng gui lai de ren (Les garçons de Fengkuei) | 1983 | 101 min
Réalisation : Hou Hsia-hsien
Production : Lin Jung-feng
Scénario : Chu Tien-wen
Avec : Doze Niu, Tou Tsung-hua, Lin Hsiu-ling, Chang Shih
Musique : Li Tsung-sheng et Su Lai
Directeur de la photographie : Chen Kun-hou
Montage : Liao Ching-sung
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(1Les garçons de Fengkuei (1983), Un été chez grand-père (1984), Un Temps pour vivre, un temps pour mourir (1985) et Poussières dans le vent (1986). 

(2La Cité des douleurs (1989), Le maître de marionnettes (1993) et Good Men, Good Women (1995)

(3) Thème qui sera repris trois ans plus tard dans Poussières dans le vent.

(4) L'acteur-réalisateur Doze Niu, qu'on retrouvera deux décennies plus tard dans Millenium Mambo (2001).


Un temps pour vivre, un temps pour mourir - Hou Hsiao-hsien (1985)

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Poursuivant son cycle autobiographique, entamé deux années plus tôt avec Les garçons de Fengkuei, qui s'inspirait librement de son passé de délinquant, Hou Hsiao-hsien livre avec Un temps pour vivre, un temps pour mourir son oeuvre la plus personnelle. Second volet de sa trilogie dit du passage à l'âge adulte (débutée en 1984 avec Un été chez grand-père tiré des souvenirs de la romancière et scénariste Chu T'ien-wen), Un temps pour vivre est le film le plus intimement lié aux souvenirs du cinéaste, de l'exil de sa famille en 1948 aux décès successifs de ses parents à l'orée de sa majorité. Portrait d'une jeunesse taïwanaise aux parents déracinés, ce sixième long métrage est désormais de nouveau visible dans les salles de cinéma depuis le 3 août dernier.

1948, Ah-Hsiao, tout juste bébé, et sa famille quittent le Sud de la Chine alors en pleine guerre civile pour Taïwan, où le père a trouvé un poste d'enseignant. D'abord installés près de Taipei, ils déménagent à Fengshan, au Sud de l'île, où le climat est plus clément pour le père, asthmatique. Choyé par sa grand-mère qui ne perd pas espoir de pouvoir refouler un jour le sol continental, le petit garçon espiègle surnommé Ah-ha qu'il était à dix ans, se mue à l'adolescence en jeune homme taciturne et membre d'un gang...


Un temps pour vivre marque une nouvelle étape dans la filmographie de Hou Hsiao-hsien. En mettant en images ses premiers souvenirs, ses jeux d'enfants, son passage au collège, sa complicité avec sa grand-mère paternel, le réalisateur nous ouvre les portes de son intimité en les filmant tel des petits rituels. D'une première partie centrée sur l'innocence de sa jeune enfance, HHH y évoque en filigrane le climat politique de l'époque, de la propagande anti-communiste de Tchang Kaï-chek, au grand bouleversement que connaît la Chine depuis le Grand Bond en avant lancé par Mao Zedong (révélé dans une lettre envoyée par une tante restée sur le continent). Témoin de la lente érosion des valeurs traditionnelles des parents auprès de la jeune génération, dans un pays qui n'est pas le leur, le cinéaste souligne toutefois, au détour d'une conversation, les différences et le degré de latitude offert aux garçons de la famille ; un poids des traditions qui dictent ainsi à la sœur de Ah-ha de trouver un époux, s'occuper d'un foyer ayant plus de mérite pour une femme que de faire des études supérieures. Plus sombre, la seconde partie s'ouvre par la disparition tragique de la figure paternelle ; l'ombre de la maladie qui couvre à mesure chacun des adultes ayant pour conséquence la pesante désagrégation du cocon familial et la perte de l'innocence de son jeune personnage principal, happé par la délinquance, échappatoire à ses illusions à jamais perdues.


Privilégiant l'environnement à la narration, à l'image de ses désormais reconnaissables cadrages fixes qui prennent la forme de véritables tableaux vivants, HHH conforte dans Un temps pour vivre son approche documentaire initiée dans Les garçons de Fengkuei dans la lignée des néo-réalistes ou d'un Bresson. D'aucuns trouveront également, en sus de l'habituel filiation avec Ozu (1), des similitudes avec le premier volet de la trilogie du réalisateur indien Satyajit Ray, La Complainte du sentier (Pather panchali). Premier film signant la première collaboration avec le débutant et futur grand chef-opérateur, Mark Lee Ping-Bin, et première apparition de l'actrice Hsin Shu-fen avant ses rôles dans Poussières dans le vent et La cité des douleursUn temps pour vivre est une chronique intimiste bouleversante sur le passage à la maturité d'un réalisateur au sommet de son art.


Crédits photos : © 1985 CENTRAL MOTION PICTURE CORPORATION. Tous droits réservés.

Tong nien wang shi (Un temps pour vivre, un temps pour mourir) | 1985 | 135 min
Réalisation : Hou Hsiao-hsien
Production : Lin Teng-fei
Scénario : Chu T'ien-wen, Hou Hsiao-hsien
Avec : Yu An-shun, Hsin Shu-fen, Mei Fang, Tang Ju-yun, Tien Feng
Musique : Wu Chu-chu
Directeur de la photographie : Mark Lee Ping-bin
Montage : Wang Chi-yang
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(1) A noter qu'à force de lui évoquer cette filiation, HHH se mit à découvrir le cinéma du maître japonais après ces remarques 

The Endless Summer - Bruce Brown (1966)

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Documentaire emblématique de la culture surf outre-Atlantique, The Endless Summer ressort dans les salles françaises en version restaurée inédite ce mercredi 10 août après une première sortie hexagonale, on l'imagine forcément en catimini, il y a quarante-huit ans. Projet initié par un jeune californien passionné de surf, le dénommé Bruce Brown eut l'idée de suivre avec sa caméra 16 mm le voyage de deux compatriotes surfeurs à la recherche de la vague parfaite au cours d'un « été sans fin ». Munis de leur seul planche de surf, d'un maillot de bain, et d'un pansement au besoin, Robert August et Mike Hynson, 18 et 21 ans au début de l'aventure en hiver 1963, avaient pour destination l'Afrique, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, Tahiti puis Hawaï.

Doté d'un budget de 50 000 dollars, Bruce Brown, déjà réalisateur de nombreux documentaires sur le surf depuis la fin des années 50 dont le séminal Slippery When Wet (1958), souhaitait cette fois-ci s'écarter de ses précédents films en quittant la côte Ouest des États-Unis. Songeant au départ tourner uniquement en Afrique du Sud (on y reviendra), Brown décida par la suite de prolonger cet « été sans fin » en Afrique subsaharienne (Sénégal, Ghana et Liberia) et en Océanie. Au final, 15 km de bobine aux images d'une rare beauté.

Finalisé dès 1964, le documentaire de Brown peina néanmoins à convaincre les professionnels américains, aucun distributeur ne croyant que ce type de film puisse toucher un large public, à l'exception des surfeurs californiens. Armé de patience, et passant plusieurs mois à traverser le pays à présenter son film, avant de louer un cinéma à New-York, dont The Endless Summer resta à l'affiche durant un an, Brown trouva enfin un distributeur, le succès du documentaire ne se démentant nullement à la fois sur le sol étasunien, mais également à travers le monde avec au final une recette de 20 millions de dollars. Devenu emblème de la pop culture, le film intègra en 2002 le prestigieux Registre national du film de la Bibliothèque du Congrès américain du fait de « son importance culturelle, historique, ou esthétique ». 

 

Mis en musique par le groupe de rock The Sandals, avec pour seul commentaire audio la narration de Brown, The Endless Summer s'écarte toutefois des habituels documentaires de l'époque. Passé une première partie introductive nous indiquant les spécificités techniques du sport, l'approche de Brown devient plus personnelle et humoristique à l'image de la forme du métrage qui tend à dépasser le simple cadre du film sur le surf ou le road trip de deux jeunes américains sur les plages ensoleillées de deux continents.

Fort d'une photographie à couper le souffle, et qui plus est compte tenu des maigres moyens mis à la disposition de son réalisateur, The Endless Summer se laisse regarder avant toute chose comme le témoignage d'une époque révolue, celle où deux jeunes blancs traversèrent un monde, qui leur est totalement étranger, à la seule recherche de la vague parfaite. D'une naïveté confondante, certains propos ou scènes mettant en scène les deux surfeurs indiquent clairement leur aspect daté, leur racisme et sexisme ordinaire n'ayant rien de choquant il y a un demi siècle dans la bouche d'un occidental. Mais la narration bon enfant de Brown ne se prend pas au sérieux, le film revendique en premier lieu son avérée insouciance et sa soif de voyages et d'aventures. Dont acte. Et cela en dépit d'un passage en Afrique du Sud où l'Apartheid est totalement éludé (1), tandis que se tenait aux Etats-Unis la marche pour les droits civiques en août 1963, donnant lieu l'année suivante au Civil Rights Act...

 

En 2016, The Endless Summer ne manque pas de charme, un divertissement vintage sans prétention (2) plein de fraîcheur portant haut les couleurs de la cool attitude. Bruce Brown réalisera trois décennies plus tard, en 1994, une suite à son documentaire, Chasseurs de vague en français, avec en lieu et place du duo originel, les surfeurs Pat O'Connell et Robert "Wingnut" Weaver.




Crédit photos : © 1964 BRUCE BROWN FILMS, LLC. Tous droits réservés.


The Endless Summer | 1966 | 92 min
Réalisation : Bruce Brown
Production : Bruce Brown
Avec : Robert August, Mike Hynson, Lord "Tally Ho" Blears, Wayne Miyata, Terence Bullen
Musique : John Blakeley, Gaston Georis, Walter Georis (alias "The Sandals")
Directeur de la photographie : Bruce Brown
Montage : Bruce Brown
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(1) A leur décharge, on ne peut pas non plus dire que le Ghana du panafricaniste Nkruma ou du Liberia de Tubman à cette époque étaient des démocraties...

(2) Brown évite le laïus sur la mystique surf. Ouf.

Dickshark - Bill Zebub (2015)

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Créateur au début des années 90 du fanzine metal The Grimoire of Exalted Deeds, le dénommé Bill Zebub est devenu au cours de la décennie suivante un des réalisateurs bis les plus prolifiques avec environ 3 à 4 sorties direct-to-video par an. Tout en continuant ses activités dans la musique, The Grimoire continue d'être publié, l'homme caché sous le pseudonyme Professor Dum Dum anime une émission sur une radio locale dans son New-Jersey natal, et publie en DVD depuis le bien nommé Metalheads en 2001 moult documentaires et interviews de ses groupes préférés (telle la série des Metal Retardation), Zebub s'est fait connaître par le contenu atypique de ses productions, mêlant mauvais goût et budget minimaliste, à l'instar d'une de ses premières productions, Jesus Christ: Serial Rapist (1) en 2004 (et réédité en 2011), narrant l'histoire d'un psychopathe, kidnappeur de jeunes femmes, amateur de bondage et se prenant pour le fils de dieu, premier volet d'une série de longs métrages mettant en scène de près ou de loin le dit nazaréen (Zombiechrist, Jesus the Daughter of God ou bien encore Jesus The Total Douchbag). 2015, comme à l'accoutumée, Zebub ne manque pas de projets, et celui que certains ont nommé le King of the B Movies (?!) réalise plusieurs parodies, Nightmare on Elmo's Street et le méfait qui nous intéresse : Dickshark, connu également sous le nom de Frankenshark

Un couple est sur le point de faire l'amour, quand l'homme décide d'appliquer sur son sexe une crème censée augmenter la taille de son appendice. Catastrophe. Si la taille de son pénis a bien augmenté, celui-ci a pris la forme d'un requin. Après plusieurs essais infructueux avec sa partenaire, l'homme rejoint par dépit la salle de bain, quand celui-ci est attaqué par son squale génital qui lui sectionne un doigt ! Alerté par son petit ami, la jeune femme sort son revolver et tire sur le requin qui se sépare de son compagnon, et plonge dans la cuvette des toilettes disparaissant à jamais. Du moins, le croyait-on... 

 

Absurde. Surréaliste. Déjantée. L'intrigue à l'image de son titre annonçait la couleur. Et sans connaitre l'univers du réalisateur, seulement quelques titres de ses anciens films, force est de constater que le public déviant ne pouvait décemment prétendre avoir été piégé. Qui plus est après visionné l'apparentée bande annonce. Il n'empêche, le préposé s'attendait-il véritablement à un tel résultat ? Pas vraiment. Bill Zebub tend à redéfinir le film d'exploitation fauché, réceptacle de ses passions et autres fantasmes avoués. Très bien. Doté d'un budget de 6 000 dollars, Dickshark, comme l'indique en préambule Bill Zebub sur son site en guise d'avertissement, s'inscrit parfaitement dans le cahier des charges de sa déjà très fournie filmographie : proposer un long métrage anticonformiste, voire une alternative au cinéma actuel. Soit. Mais les bonnes intentions ne sont pas suffisantes à la vision de ce direct-to-video cheap d'une durée de deux heures de trente (il existe une version longue de trois heures...).

 

Irrévérencieux, provocateur, pur produit d'exploitation Dickshark l'est. Mêlant l'utile à l'agréable, Zebub filme ses obsessions en gros plan, des vulves épilées aux fessiers de la gent féminine. Quant à son rôle de scientifique fou, il lui permet à loisir de tripoter les attributs mammaires de ses nombreuses actrices tatouées (dont la plupart sont des abonnées aux productions Zebub). Quand le cinéma peut satisfaire vos déviances, il n'y a pas de gêne, il n'y a que du plaisir. Malheureusement, au-delà de l'histoire prétexte à tous les délires scabreux, la mise en scène et les dialogues de sieur Zebub sont loin, quant à eux, d'offrir satisfaction aux spectateurs. Adepte du ralenti pathologique, le monsieur ne peut ainsi s'empêcher de filmer frénétiquement à vitesse réduite (2) tout et n'importe quoi, et en premier lieu les sévices sexuées de son squale hybride obsédé de la vulve (3), viols caoutchouteux évoquant davantage le combat homérique entre Bela Lugosi et une pieuvre en latex dans la scène finale de La fiancée du monstre signé Ed Wood, que ceux de L'emprise de Sidney J. Furie (sans oublier la fellation de la nageoire dorsale de notre requin doublement membré...).

 

Fin dialoguiste, le cinéaste fait également preuve d'un humour à rebrousse-poil, entre monologues ineptes et dialogues lourdingues. Étirées à n'en plus finir, ces scènes supposées comiques ne trouveront comme amateurs que les voyeurs attirés par les attouchements mammaires, qui vont en général de pair avec les saillies verbales de sieur Zebub. Soit. Enfin, mélomane et pédagogue, à défaut d'avoir un budget supplémentaire pour se procurer une réelle bande originale, le cinéaste chevelu profite de l'occasion qui lui est donné pour faire découvrir ses groupes de metal préférés. Louable intention. Toutefois, le doute est de mise à l'écoute de The Crown of Sympathy, classique doom des britanniques My Dying Bride, associé à une scène de cunnilingus, ou les death The Devil I Know des étasuniens Immolation et Narcissism des grecs Septic Flesh pour accompagner une des nombreuses scènes de viol en toc. Bof bof.

Avec des effets spéciaux artisanaux conjuguant à l'amateurisme le plus portnawak, filmé à la truelle par le petit cousin metalfreak de Fred Olen Ray et Frank Henenlotter, écrit par le frère sous acide de Kevin Smith, Dickshark est un rare moment de brillance WTF, et cependant un échec, tant le métrage ne réussit jamais à dépasser son postulat transgressive : pas franchement sexy, nullement horrifique, et encore moins comique. Alors quand on apprend qu'un certain Dicknado est en production...

Verdict du Nanarotron :


En bonus : Quelques gifs portnawak du film sur notre tumblr.



Crédit photos : Copyright 2015 BILL ZEBUB PRODUCTIONS


Dickshark | 2015 | 150 min (version courte)
Réalisation : Bill Zebub
Scénario : Bill Zebub
Avec : Erin Brown, Rachel Crow, Scarlett Storm, Lydia Lael, Chrissy Lynn, John Giabcaspro, Bill Zebub
Directeur de la photographie : Bill Zebub
Montage : Bill Zebub
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(1) Oh oh oh, en décembre prochain devrait sortir Santa Claus: Serial Rapist actuellement en production.

(2) Vous comprenez mieux pourquoi le métrage dure si longtemps maintenant...

(3) Et son amie l'araignée tout aussi obsédée...


Basket Case - Frank Henenlotter (1982)

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Après un premier volet consacré de près (The Exterminator, Blue Jean Cop) et de loin (Maniac Cop, Le scorpion rouge) au réalisateur/producteur James Glickenhaus, Carlotta revient le 7 septembre prochain avec le second chapitre de leur Midnight Collection, cette fois-ci, entièrement dédié à l'œuvre de l'américain Frank Henenlotter (1), à savoir ses trois Basket Case, suivi de près par Frankenhooker. Auteur d'une série qui connaîtra donc deux séquelles au début de la décennie précédente, Frank Henenlotter signe à l'orée des années 80 avec Basket Case un premier film tout sauf anodin. Mieux, fort de son succès lors des séances de minuit new-yorkaises, et profitant par la suite de l'avènement de la VHS, celui qui devait rester cantonner aux productions bon marché des cinémas grindhouse de la 42ème rue de la Big Apple est devenu au fil du temps un classique du cinéma d'exploitation 80's. En un mot, culte.

Duane Bradley (Kevin Van Hentenryck) débarque à New York avec pour bagage un étrange panier en osier cadenassé. Une fois installé dans un hôtel miteux de Manhattan, le mystère autour de ce panier est dévoilé : il s'agit de Belial, ancien frère siamois de Duane, séparé de force quand ils n'avaient que douze ans par une équipe de médecins engagés par leur propre père. Difforme, communicant avec Duane par la pensée, et désormais libre, Belial n'a qu'une idée en tête, se venger des docteurs qui ont pratiqués l'opération…

 

Basket Case, sorti en 1983 en France sous le nom Frère de sang, défie l'entendement, du moins tend à prouver qu'un manque de moyens n'est nullement rédhibitoire en matière de cinéma fantastique. Tourné en 16 mm avec un budget misérable d'environ 35 000 $ (soit dix fois moins que celui déjà restreint de The Evil Dead de Sam Raimi), ce premier long métrage se distingue par son atmosphère grotesque et son histoire sordide, à la croisée du Sisters de Brian de Palma ou du Eraserhead de David Lynch en version trash. Dédicacé à Herschell Gordon Lewis, Basket Case ne renie ainsi en rien des préceptes du parrain du gore. Au contraire, le film devient à mesure que le récit progresse le théâtre des pulsions meurtrières sanguinaires de Belial, car nul ne peut stopper sa soif de vengeance, pas même son propre frère Duane qui en sera à la fois le complice puis la victime.

Avec ses effets spéciaux ultra cheap, une marionnette en mousse et en latex (2) pour les plans rapprochés et un stop motion des plus pauvres pour représenter Belial dans son environnement, Basket Case n'a jamais eu vocation à prétendre au titre du monstre le plus terrifiant (3). Qu'importe si l'apparence de Belial est ridicule. Compte tenu des maigres moyens et des conditions de tournage difficiles (l'hôtel Broslin tenu par l'impayable gérant interprété par Robert Vogel était un vrai hôtel de passe), et malgré les efforts des débutants Kevin Haney (Iron Man 3, Les gardiens de la galaxie) pour la créature, et John Caglione (lauréat de l'Oscar en 1991 pour Dick Tracy, et nominé en 2009 pour The Dark Knight) pour les maquillages, le long métrage n'a que faire de ses limites ou supposés défauts. L'essentiel est ailleurs.

 

Peinture sordide et malsaine du New-York du début des années 80, quand Times Square regroupait tout un panel de peep shows, sex shops, et sa cohorte de dealers de drogues, Basket Case s'inscrit pleinement dans le cadre du cinéma d'horreur indépendant, loin des contingences des studios, dans le sillage du Maniacde William Lustig ou du Driller Killer d'Abel Ferrera. De mauvais goût, techniquement très limité, Basket Case est une fable improbable, délicieusement craspec sachant manier autant l'humour, de préférence bien noir, au gore le plus abject. 

Culte. En attendant la suite...





Crédit photos : © 1982 Basket Case Productions. Tous droits réservés.


Basket Case (Frère de sang) | 1982 | 91 min
Réalisation : Frank Henenlotter
Production : Edgar Ievins
Scénario : Frank Henenlotter
Avec : Kevin Van Hentenryck, Terri Susan Smith, Beverly Bonner, Robert Vogel, Diana Browne, Lloyd Pace, Bill Freeman
Musique : Gus Russo
Directeur de la photographie : Bruce Torbet
Montage : Frank Henenlotter
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(1) Cela dit, James Glickenhaus reste néanmoins dans les parages, ce dernier ayant produit les deux séquelles des aventures des frères Bradley ainsi que Frankenhooker. La boucle est bouclée.

(2) Pour les gros plans du bras de Belial, un gant en latex tenu par Henenlotter fait l'affaire !

(3) Les attaques de Belial sont victimes du syndrome de La fiancée du monstre. Rappel le cas précédent nommé Dickshark.
  

Cronico Ristretto : Le soldat Laforêt - Guy Cavagnac (1971)

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Ofni passé inaperçu sur grand écran en 1974, Le soldat Laforêt de Guy Cavagnac sort pour la première fois en DVD le 7 septembre prochain. Restauré en Haute Définition à partir des négatifs originaux grâce au soutien de la cinémathèque de Toulouse, qui fut également à l'origine de la restauration de La Campagne de Cicéron produit par Guy Cavagnac en 1988, cet unique long métrage réalisé en 1970 par l'ancien assistant de Jean Renoir s'offre ainsi une nouvelle jeunesse. Dont acte.
 
Juin 1940. Le soldat Laforêt (Roger Van Hool) perd par mégarde son régiment au détour d'une route. Tentant de retrouver en vain ses camarades, le jeune homme se met à errer à travers la campagne Aveyronnaise. Son vagabondage l'amène dès lors à croiser toute une galerie de personnages singuliers dont la jolie Diane (Catherine Rouvel)...

Compagnon de route de Paul Vecchiali, dont il fut également l'assistant sur son premier long métrage Les ruses du diable, et de Liliane de Kermadec, avec qui il fonda la société de production Unité 3 (1), Guy Cavagnac tourna Le soldat Laforêt en septembre 1970. Portrait atypique d'un déserteur durant la Seconde Guerre mondiale, le métrage n'avait nulle vocation à décrire une réalité historique, et comment le pouvait-il avec des soldats stationnant en Aveyron alors que le front se situe au nord du pays en pleine Bataille de France, et un soldat Laforêt à la mèche bien trop rebelle allant à la rencontre d'habitants nullement ébranlés par les événements actuels. Seul point d'ancrage historique dans ce récit où le temps semble s'être arrêté, un couple perdu sur les routes du sud-ouest symbolisant l'exode. Long métrage volontairement en décalage avec l'Histoire, Le soldat Laforêt s'en éloigne en somme pour mieux embrasser l'air du temps et les utopies de son époque, celles de l'après 68 : des personnages libres, hors de la société, à l'image du trio amoureux interprété par Roger Van Hool, Catherine Rouvel et le grand acteur espagnol Francisco 'Paco' Rabal (Riccardo dans L'éclipse de Michelangelo Antonioni, ou le mutique tueur à gage Nilo dans Sorcerer de William Friedkin) ou du vagabond joué par Fernand Sardou (2).

 

Le soldat Laforêt séduit par son charme déphasé, de la beauté des paysages de l'Aveyron à la fantaisie qui anime les protagonistes de cette fable atemporelle, l'adjudant fou (Bernard Haller) ou le cordonnier pré-hippie (Henry Courseaux), sans oublier le passage quasi-onirique évoquant le Déjeuner sur l'herbe d'Édouard Manet. Entouré des fidèles de Paul Vecchiali, du compositeur Roland Vincent au chef opérateur Georges Strouvé, cet unique long métrage de Guy Cavagnac, s'il reste mineur, s'inscrit toutefois parfaitement comme un instantané de la « parenthèse enchantée » 70's.

A découvrir.




Le soldat Laforêt | 1971 | 97 min
Réalisation : Guy Cavagnac
Scénario : Guy Cavagnac & Claude Delmas
Avec : Roger Van Hool, Catherine Rouvel, Francisco Rabal, Fernand Sardou, Bernard Haller, Jacques Rispal
Musique : Roland Vincent
Directeur de la photographie : Georges Strouvé
Montage : Catherine Delmas
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(1) Paul Vecchiali put ainsi produire via cette société L'étrangleur, Femmes femmes encensé à l'époque par Pier Paolo Pasolini, ou Change pas de main, et Liliane de Kermadec son premier long métrage, Home Sweet Home.

(2) Catherine Rouvel et Fernand Sardou qui jouaient chacun un petit rôle dans le Déjeuner sur l'herbe (1959) de Jean Renoir et pour lequel Guy Cavagnac était assistant.
  

Basket Case 2 & 3 - Frank Henenlotter (1990-1991)

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Huit années après les premiers méfaits de la fratrie Bradley, et une relecture hallucinogène nommée Brain Damage sortie en 1988, Frank Henenlotter revenait aux affaires en signant coup sur coup, en ce début de décennie 90, l'épisode 2 et 3 de son film culte Basket Case. Disponibles en DVD et Blu-Ray le 7 septembre prochain, le troisième volet étant inédit en France, ces deux séquelles toujours produites par Edgar Ievins, en association désormais avec James Glickenhaus, confortent l'esprit originel, tout en lorgnant cette fois-ci davantage vers la comédie trash.

La fin du premier Basket Case, et son épilogue doublement tragique, le meurtre et le viol de Sharon par Belial, et la supposée mort des deux frères par défenestration, laissaient peu de place, pensait-on, à une quelconque suite. Erreur. Rescapés de leur chute, les frères Bradley, reconnus coupables de leurs crimes, s'échappent et trouvent refuge chez « mamie Ruth » dont la maison est devenue l'asile de créatures difformes à l'image de Belial. Personnage secondaire, et néanmoins central, des deux nouveaux épisodes, interprété par Annie Ross, mamie Ruth est loin d'être une protectrice de freaks disciple de la non violence. Gare aux vilains qui souhaiteraient faire du mal à ses chers protégés : dans l'épisode deux, une journaliste (Judy Grafe), travaillant pour un tabloïd, et dans l'épisode trois, un shérif et ses adjoints alléchés par la prime d'un million de dollars pour la capture des frères Bradley ; mamie Ruth a désormais un bras armé et vengeur nommé Belial, que ni l'amour dans Basket Case 2, ni la paternité dans le troisième volet, n'aura calmé son tempérament bouillant et destructeur. Ça va saigner. Quoique...

Chantre du mauvais goût et de l'humour trash, Frank Henenlotter gomme dans ses deux films les aspects les moins ragoûtants du métrage original. En faisant quitter aux Bradley leur antre new-yorkaise, le réalisateur efface toute peinture malsaine et sordide au profit d'un Grand guignol, dont la galerie de créatures vivant dans le grenier de la maison de mamie Ruth en est le parfait exemple. Monstrueuse parade foutraque, du garçon grenouille à l'homme aux 27 nez, sans oublier Toothy et ses dents hypertrophiés, Henenlotter assume pleinement le physique excessivement ridicule de ces créatures. " Cette fois-ci il n'est plus seul", et cela se voit, quitte à offrir à ces nouveaux compagnons un rôle décoratif.

 

Au cœur des deux récits, les relations entre les deux frères de sang n'en demeurent pas moins conflictuels. Tandis que Duane tentait de goûter, en secret, à une certaine normalité par la rencontre avec Sharon dans le premier épisode, c'est désormais Belial qui s'émancipe en faisant la connaissance de sa semblable Eve. Libéré de ce frère monstrueux, Duane voit enfin ses désirs de normalité se concrétiser, souhaitant quitter cette communauté de freaks à laquelle il ne se reconnait plus. Mais le sort et son attirance pour Susan la petite-fille de mamie Ruth vont en décider autrement, Duane basculant irrémédiablement dans la folie, allant jusqu'à recoudre Belial sur son flanc droit à la fin de Basket Case 2, et mettre en danger les pensionnaires de mamie Ruth lors de leur passage chez le docteur Hal Rockwell dans Basket Case 3.

Après un second volet bien trop tendre et globalement décevant en dépit de quelques fulgurances bien barrées (l'apparition du timide Bernard...), Henenlotter remet les choses à leur place dans Basket Case 3. Bien plus délirant avec l'apparition d'Opal (Tina Louise Hilbert), la fifille à son papa de shérif, qui cache un tempérament de dominatrice avec costume en cuir et fouet en sus, un Belial au commande d'un exosquelette (à la manière de Krang dans TMHT) sorti des méninges de Little Hal, génie obèse à plusieurs bras, sans oublier l'accouchement de la nombreuse progéniture caoutchouteuse de papa Belial. Mieux, alors que Basket case 2 avait remisé l'horreur à sa place la plus minime, le dernier volet gagne en gore. Ouf. Dommage toutefois que Henenlotter n'ait pu réaliser le film souhaité, le scénario originel devait s'approcher davantage de l'esprit sombre du premier volet (une dizaine de pages aurait été ainsi occultées).

 
 Pendant que madame accouche, monsieur rêve...

Moins marquantes que l'oeuvre originale, ces deux séquelles n'en restent pas moins deux rejetons mal embouchées, avec leur lot de scènes grotesques, à l'image de la scène de sexe entre Belial et Eve, ou le rêve érotique de Belial avec deux playmates de Playboy (pour les intéressés, les sœurs Carla et Carmen Morell).
  

Basket Case 2

Basket Case 3


Crédits photo : © 1990/1991 Shapiro Glickenhaus Entertainement


Basket Case 2 / Basket Case 3 | 1990 / 1991 | 86 min / 90 min
Réalisation : Frank Henenlotter
Production : Edgar Ievins
Scénario : Frank Henenlotter / Frank Henenlotter et Robert Martin
Avec : Kevin Van Hentenryck, Annie Ross, Judy Grafe, Kathryn Meisle, Heather Rattray / Kevin Van Hentenryck, Gil Roper, Annie Ross, Jim O'Doherty
Musique : Joe Renzetti
Directeur de la photographie : Robert M. Baldwin / Robert Paone
Montage : Kevin Tent / Greg Sheldon
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Propriété privée - Leslie Stevens (1960)

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Protégé d'Orson Welles à ses débuts (1), dramaturge puis scénariste pour le cinéma (il adapta la pièce de Gore Vidal, Le gaucher, pour Arthur Penn), producteur et réalisateur, dont une majeure partie de son travail fut consacré au petit écran (il est le créateur de la série de science-fiction Au-delà du réel entre 1963 et 1965), le prolifique Leslie Stevens, à l'instar de son illustre pygmalion, dût rapidement composer avec une industrie cinématographique, rarement conciliante avec les créateurs épris d'indépendance. Écrit à une époque où le puissant code Hays régissait encore la production des films aux États-Unis, le premier film de Stevens, Propriété privée, n'eut d'autre choix d'être produit sans l'appui des grandes majors hollywoodiennes. Thriller aux références sexuelles explicites et au voyeurisme revendiqué, condamné par la Ligue pour la vertu, l'odeur de soufre laissée par Propriété privée dispensa sans surprise en 1960 un parfum de scandale. Film noir longtemps considéré comme perdu, invisible depuis sa sulfureuse sortie, Propriété privée ressort dans les salles ce 7 septembre 2016 dans une version restaurée en haute définition 4K. 

Émergeant d'une plage longeant l'océan pacifique, deux vagabonds nommés Duke (Corey Allen) et Boots (Warren Oates) font escale dans une station-service de la Pacific Coast Highway. Ils y font la connaissance d'Ed Hogate (Jerome Cowan) venu faire le plein de sa rutilante Buick Skylark. De la même manière qu'ils l'avaient fait avec le patron de la station-service, les deux marginaux intimident le directeur commercial. Or peu de temps après, ils remarquent une élégante femme blonde (Kate Manx) dans une belle auto blanche. Ils obligent le représentant de commerce, sous la menace de leurs couteaux, à suivre la jeune femme jusqu'à une villa cossue dans les hauteurs de Los Angeles. Sur place, ils découvrent que la maison d'à côté est inhabitée. Ils décident alors de s'y installer incognito pour épier leur nouvelle voisine, Ann, qui passe ses journées au bord de la piscine à attendre son mari...
 

Tourné en dix jours dans la propre villa du réalisateur, sur les hauteurs de Beverly Hills, pour un budget d'environ 60 000 $, Propriété privée s'inscrit dès son origine comme une production indépendante. Inspiré par une anecdote personnelle, lors de l'arrivée à Hollywood de Stevens et de son épouse, l'actrice Kate Manx, qui incarne la séduisante desperate housewife Ann Carlyle, le scénariste constata que la maison d'à côté était inoccupée, lui suggérant ainsi les prémices de cette histoire de deux hommes en train d'espionner leur voisine. 

Du contexte sexué que les censeurs ne manquèrent pas de condamner, Stevens déploie une stratégie de la tension où chacun des protagonistes joue un rôle bien défini : de la femme esseulée au mari paternaliste, en passant par le manipulateur Duke et l'introverti Boots. Utilisant davantage le sexe comme l'instrument d'une lutte de classes, le propos subversif de Stevens détonne en pleine ère de l'American way of life personnifiée par la consommation de masse de l'après-guerre. Des classes précaires convoitant ce qu'elles ne peuvent posséder, aux classes bourgeoises dépensant sans compter, Stevens dresse un bilan explosif personnifié par le trio dont leur frustration incarne le détonateur. Considérée au mieux comme une petite fille, quand elle ne fait pas partie des meubles par son époux agent d'assurances, Ann compense sa frustration sexuelle par l'achat compulsif de moult tenues affriolantes, une femme trophée aux besoins physiques négligés qui va croiser la route du prédateur Duke et du réservé Boots. De ce duo atypique interprété par Corey Allen (2) et Warren Oates, lié par une amitié indéfectible, le récit décrit une relation ambigüe basée sur la domination, Duke allant jusqu'à séduire Ann pour l'offrir à Boots, et ceci sans que l'arrière-plan homosexuel, et le refoulement qui l'accompagne, ne soit remis en cause.

 
Photographié par le grand chef opérateur Ted McCord, Le Trésor de la Sierra Madre de John Huston à À l'est d'Éden d'Elia Kazan, et épaulé par le jeune cameraman Conrad L. Hall, futur directeur de la photographie de Luke la main froide, Butch Cassidy et le Kid et American Beauty (pour lesquels il obtient l'Oscar en 1970 et en 2000), Propriété privée dépasse le cadre du voyeurisme hitchcockien. Mieux par l'implication manifeste du spectateur dans un certain nombre de plans, telle la scène où Duke et Boots observent Ann à travers une fenêtre évoquant l'écran d'une télévision, le film annonce celui d'un Brian De Palma, voire celui de Michael Hanneke dans Funny games.

Film noir singulier et féroce, Propriété privée est également le premier grand rôle de Warren Oates, après des débuts à la télévision et quelques seconds rôles au cinéma, avant sa rencontre avec le réalisateur Sam Peckinpah.

Une rareté à découvrir.






Crédit photos : Version Restaurée © 2016 CINELICIOUS PICS. Tous droits réservés.


Private Property (Propriété privée) | 1960 | 79 min
Réalisation : Leslie Stevens
Production : Stanley Colbert
Scénario : Leslie Stevens
Avec : Corey Allen, Kate Manx, Warren Oates, Jerome Cowan, Robert Wark, Jules Maitland
Musique : Pete Rugolo
Directeur de la photographie : Ted McCord
Montage : Jerry Young
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(1) Une restauration effectué en 2016 par Cinelicious avec la collaboration du UCLA film and Television Archive.

(2) Ils travaillèrent ensemble au Mercury Theatre, la compagnie de théâtre créée par le cinéaste de Citizen Kane

(3) A l'instar du réalisateur, Allen fit par la suite carrière à la télévision en tant que metteur en scène.


The Sand - Isaac Gabaeff (2015)

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Évoqué en conclusion de notre chronique du déjà navrant Blood Beach de Jeffrey Bloom, The Sand d'Isaac Gabaeff n'échappe pas à la règle qui veut que la relecture d'un mauvais film a peu de chance d'être une bonne surprise. Présenté en avant-première lors du festival britannique FrightFest en 2015, ce long métrage accumule les tares que son seul budget restreint ne pourrait justifier. Une raison suffisante, en somme, pour le préposé à la chronique de faire l'éloge déviante de ce sable meurtrier, qui conjugue effets spéciaux numériques ratés et ressorts dramatiques grotesquement boursouflés. Gare à la vorace plage tueuse de spring breakers...

La nuit tombée sur une plage américaine, un groupe d'étudiants font la fête, quand deux d'entre eux découvrent, par hasard, un énorme œuf. Le lendemain matin, remis de leurs divers excès, plusieurs jeunes se réveillent : Kaylee (Brooke Butler) et Mitch (Mitchel Musso) sont dans la loge du maître-nageur, Jonah (Dean Geyer) le petit-ami de Kaylee est dans une voiture accompagné de Chanda (Meagan Holder), et d'un couple d'amis à l'arrière du véhicule, Vance et Ronnie, tandis que Gilbert (Cleo Berry) est coincé dans une poubelle. Or des autres compagnons de soirée, il ne reste plus que leurs sacs de couchage vides. A son réveil, Kaylee aperçoit sur la plage une mouette qui se fait happée par le sable...
   
 

Premier film réalisé par Isaac Gabaeff, en parallèle d'une carrière plus alimentaire en qualité d'accessoiriste et d'ensemblier depuis une quinzaine d'années pour le cinéma et la télévision, The Sand s'écarte peu, on l'aura très vite compris, des direct-to-videos au budget famélique et autres téléfilms produits au hasard par SyFy. Tourné en une dizaine de jours, le long métrage conforte au contraire la première impression d'avoir affaire à un piètre ersatz horrifique. Dernière progéniture abâtardie d'une série de films mettant en scène la menace sableuse, du Blood Beach précité à l'hybride Sand Sharks avec le supra has-been Corin Nemec, le scénario évoque également le segment intitulé The Raft dans la séquelle Creepshow 2, d'après une nouvelle de Stephen King, où des jeunes étaient prisonniers d'un radeau au prise avec une nappe de pétrole tueuse. En remplaçant l'eau par du sable, le duo de scénaristes Alex Greenfield et Ben Powell pensaient sans doute faire preuve d'originalité, l'absurdité des situations pouvant à raison convoquer un semblant de nouveauté. Las.

 

Avec ses personnages de têtes à claque interdits de toucher le sable sous peine de finir boulottés par une mystérieuse et invisible créature, ce huis-clos plagier d'un nouveau genre se résume dès lors aux piètres tentatives de ces beaux jeunes gens (moins Gilbert, on y vient) à poser sur le sable bouts de bois, planche de surf et autre canot pneumatique afin de fuir cette plage maudite. Des scènes qui mettront les nerfs du spectateur à rude épreuve, soyez-en assuré, ou pas, tant la réalisation de Gabaeff et le surjeu des acteurs distillent davantage le rire nerveux que l'effroi. Quant à Gilbert, non content d'avoir un sexe masculin dessiné sur la joue gauche, sa forte corpulence l'empêche de quitter le bidon dans lequel il est coincé. Bref, à l'instar de Marsha, première victime matinale, dont l'unique et rédhibitoire défaut aura été d'être blonde et topless, gras double est condamné à servir de repas à la bestiole.

Portons néanmoins au crédit des scénaristes susnommés un duo inédit de scream queens, personnifié par Kaylee et Chanda, ou quand la petite-amie trompée et la maîtresse font acte de bravoure pour sauver leur surfeur chéri, blessé à l'abdomen par les venimeuses tentacules de la bête. Émouvant. Moins bouleversant, mais tout aussi prenante, la bande originale signée par l'anonyme Vincent Gillioz est un condensé de musique exagérément dramatique - on ose imaginer le rendu si l'homme avait eu les moyens de son ambition.  

 

Effets spéciaux numériques bon marché, acteurs inconnus à l'exception de Jamie Kennedy (1), dont le seul fait de gloire est d'avoir interprété le nerd Randy dans Scream, dans le rôle d'un policier obtus, menace sableuse réduite à sa plus ridicule expression (2), The Sand ne manque pas d'arguments déviants (3) sans toutefois dépasser le cadre de l'anecdotique. Dommage. Reste ces croquignolesques scènes d'équilibristes en bikini.

Verdict du Nanarotron :




The Sand | 2015 | 84 min
Réalisation : Isaac Gabaeff
Scénario : Alex Greenfield & Ben Powell 
Avec : Brooke Butler, Jamie Kennedy, Mitchel Musso, Dean Geyer, Meagan Holder, Cleo Berry, Cynthia Murell
Musique : Vincent Gillioz
Directeur de la photographie : Matt Wise
Montage : Sean Puglisi
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(1) Les anciens fans d'Hannah Montana et autres produits Disney seront heureux d'apprendre la présence du dénommé Mitchel Musso après ses déboires éthyliques de 2011.

(2) Il faudra véritablement les dix dernières minutes pour voir apparaitre les vraies tentacules de ce qui ressemble au croisement d'une méduse et d'une pieuvre.

(3) Comme écrit plus haut, il faudra par contre se contenter de jeunes femmes en bikini, le quota « plan nichon » ayant été rapidement épuisé après la mort de miss Marsha. 

The Witch - Robert Eggers (2015)

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Remarqué et récompensé au festival de Sundance de 2015, lauréat du prix de la mise en scène pour Robert Eggers, The Witch aura autant suscité l'admiration que l'aversion du public tant ce long métrage s'éloigne des films d'horreur contemporains. Une position qui n'est pas sans rappelée l'une des révélations, ou présentée comme telle, de l'année 2014, It Follows. A l'instar du second film de David Robert Mitchell, le scénario écrit par Robert Eggers se démarque des usuelles histoires de possession qui font encore florès Outre-Atlantique, pour revenir sinon aux sources du mal, du moins, aux prémices des hallucinations hystériques qui envahirent l'ancienne colonie britannique, et qui aboutirent au procès des sorcières de Salem en 1692 dans le Massachusetts. Entre thriller psychologique et film fantastique, le film promettait beaucoup. Trop. A l'image de sa bande annonce. Les meilleures intentions ne font pas toujours les meilleurs films, mais n'allons pas trop vite...

Nouvelle Angleterre, 1630. La famille de la jeune Thomasin (Anya Taylor-Joy), ses parents et ses frères et sœur, est menacée d'être bannie par la communauté de colons à laquelle il appartient, le père William (Ralph Ineson) ayant une autre interprétation de la bible. La famille décide de quitter la colonie et de vivre à l'orée de la forêt voisine. Quelques temps plus tard, la famille étant désormais installée, la mère, Katherine (Kate Dickie), donne naissance à un cinquième enfant, Samuel. Tandis que celui-ci était sous la surveillance de Thomasin, Samuel disparaît mystérieusement non loin du bois... 
   
 

Production indépendante tournée en 25 jours, The Witch se distingue, en premier lieu, par le soin apporté au cadre et à l'atmosphère sombre, inspirée par cette période de désordre, minée par les luttes intestines et la paranoïa puritaine. Prenant le parti pris de l'authenticité, Robert Eggers décrit avec un soin particulier la vie de ces colons exilés, accordant une place prépondérante à moult de détails historiques, des costumes, aux décors, jusqu'aux dialogues et vocabulaire utilisés par les personnages (1), pas étonnant de la part d'un cinéaste qui est également chef décorateur et costumier depuis presque une décennie (2). Photographié par le chef opérateur, Jarin Blaschke, le film suit également cette même ligne esthétique austère, Blaschke indiquant par la suite que The Witch fut dans l'ensemble filmé en lumière naturelle. De ces choix techniques, plus la musique composée par Mark Korven (The Cube), et le jeu des acteurs, à l'image de la jeune Anya Taylor-Joy, révélation de The Witch, dans le rôle de cette fille ainée innocente, témoin et victime des tensions auxquelles sa famille est confrontée, tout concourrait à faire de ce film une œuvre marquante. Las. Les dés étaient pipés depuis le début.
 

Pris au piège d'un scénario bancal, The Witch déçoit à mesure que le récit progresse jusqu'à sa piètre conclusion. Pire, confronté à Rosemary's Baby, le long métrage ayant plusieurs fois été comparé au classique de Roman Polanski, l'histoire fait apparaître plusieurs incohérences proches du rédhibitoire. N'aurait-il été plus judicieux de semer davantage le trouble dans l'esprit du spectateur en laissant planer le doute sur l'existence véritable de la sorcière ? Au contraire, dès la disparition du petit Samuel, Eggers désigne la résidente des bois comme la première responsable (ou plutôt le catalyseur) des maux de cette famille de puritains, avant que celle-ci ne daigne, par la suite, s'occuper du fils ainé du couple en guise d'attaque finale. Un choix d'autant plus sujet à caution, que la majeure partie de l'histoire joue sur les tensions qui désagrègent cette famille : la défiance de la mère vis à vis de sa fille, le renoncement du père, le comportement des jumeaux qui prétendent communiquer avec le bouc, Philippe le noir, etc. De cette intrusion boiteuse du surnaturel, le scénario de The Witch et ses différents atermoiements laissent un goût d'inachevé, son dénouement grotesque soulignant encore un peu plus les erreurs de départ. Il y avait pourtant matière à développer, telle l'opposition entre l'homme et la nature. Au contraire, Eggers quitte les frontières de l'étrange, qu'il n'a jamais pleinement abordé, pour mieux verser dans un folklore satanique bon marché et prévisible, avec bouc luciférien en sus (3). Le cinéaste aurait voulu donner l'impression qu'il ne savait pas comment clore son film, il n'aurait pas fait mieux. Reste un sabbat, certes inutile, mais esthétique.
   
Décevant. The Witch augurait pourtant du meilleur.






The Witch | 2015 | 92 min
Réalisation : Robert Eggers
Scénario : Robert Eggers
Avec : Anya Taylor-Joy, Ralph Ineson, Kate Dickie, Harvey Scrimshaw, Ellie Grainger, Lucas Dawson
Musique : Mark Korven
Directeur de la photographie : Jarin Blaschke
Montage : Louise Ford
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(1) Ce que ne manqua pas de souligner les premiers contradicteurs du film, ces derniers goutant peu à l'anglais du XVII ème siècle. 

(2) Eggers a travaillé pour de nombreux courts métrages dont l'un des premiers fut Hansel and Gretel qu'il mit en scène en 2007.

(3) Le réalisateur aurait sans doute mieux fait de s'inspirer davantage de Bergman ou Polanski.

Ogroff - N.G. Mount (1983)

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Présenté en avant-première mondiale lors de la première édition du festival du Super 8 organisé par la revue Mad Movies à Paris en 1983 (1), le film Ogroff jouit depuis cette date d'un culte, certes modeste, mais non démenti. Auréolé du titre de premier slasher français, cet OFNI, dans le paysage hexagonal, est l'œuvre de N. G. Mount, alias Norbert Moutier, créateur de Monster Bis, ou l'un des fanzines les plus connus de l'époque au côté du Ciné Zine Zone de Pierre Charles. Rêve insensé d'un amateur de cinéma bis décidé à tourner un long métrage d'horreur en Super 8, nanar gore invraisemblable réalisé avec une économie de moyens frôlant l'indécence, témoignage d'une époque révolue, Ogroff est tout à la fois, et bien plus encore. Diffusé par la suite dans les années 80 en VHS sous le titre Mad Mutilator, le film a été édité depuis en DVD par Artus Films dans une version collector trentième anniversaire. Culte.

Malheur à l'imprudent qui viendrait perturber la quiétude du résident et seigneur de la forêt Orléanaise : Ogroff. Pour ce bûcheron masqué, la Seconde Guerre mondiale n'est pas encore terminée. Nul peut échapper à sa folie meurtrière : homme, femme, enfant, pour chacune de ses victimes, la même sentence, mutilation, démembrement, puis la mort. 
  
 

1982, Norbert Moutier souhaite réaliser un film d'horreur de type slasher, premier du genre en France (2). Sans argent, celui-ci se tourne naturellement vers le format Super 8. En dépit des nombreuses limites qu'offre cette technologie, les prises se feront sans piste audio, ce format peu onéreux et pratique est tout indiqué. Pour le casting, la boutique de Jean-Pierre Putters, Movies 2000, va lui offrir quant à lui pléthore de figurants. Point de ralliement et plaque tournante des fans de cinéma bis et fanzineux de l'époque, le magasin compte parmi sa clientèle la communauté bisseuse parisienne : Jean-Claude Guenet, éditeur du fanzine Scream, François Cognard, éditeur du fanzine Rouge profond, Bruno Terrier, éditeur de Dans l’abîme du fanzinat, Alain Petit, éditeur du Masque de la méduse, Pierre Patin, éditeur du fanzine Zombi-Zine, Christophe Lemaire, futur journaliste à Starfix. Cerise sur le gâteau, Norbert Moutier convainc l'horrible docteur Orloff en personne, Howard Vernon, de participer au tournage de cette aventure bis dans le rôle d'un prêtre vampire.   

Filmé les week-ends en forêt Orléanaise, en fonction des disponibilités de chacun, le tournage d'Ogroff se distingue autant par la pauvreté des moyens et que par l'ambiance potache qui y règne, les figurants bisseux donnant le meilleur d'eux-mêmes, le tout sous la direction très premier degré de son metteur en scène. Avec ses effets spéciaux artisanaux, faits de bric et de broc, de gouache et de bidoche, le film profite également des premiers pas du talentueux maquilleur Benoit Lestang (3), venu prêté mains fortes en ajoutant une couche supplémentaire de papier-toilette et latex pour le reste de ces effets somme tout assez spécieux, dixit Jean-Pierre Putters en double qualité de victime et chef des zombies. Quant au fond, tout l'abécédaire du film d'horreur gore est convié : meurtres violents, (longues) poursuites dans les bois, cannibalisme, et morts-vivants en sus pour les retardataires. Miam.

 

Montée à la volée, avec ses bruitages et ses (maigres) dialogues (quasi inaudibles) ajoutés en post-production, Ogroff conjugue aussi bien le système D que le portnawak puissance 10. Inventeur d'une nouvelle façon de mixer, Moutier flirte avec l'avant-gardisme avec sa musique qui s'arrête net pour laisser passer quelques lignes de dialogues marmonnés (dont l'inoubliable "Lae-ti-tia, on va partir sans toi"), avant de reprendre les mélopées signées du dénommé Jean Richard. Unique.

Série Z nourrie au slasher (Vendredi 13 et consorts), Ogroff multiplie, on l'aura vite compris, les influences, jusqu'à verser dans l'invraisemblable. Passé une première partie où le scénario conte le quotidien de notre ogre des bois, composé de massacres et tortures de promeneurs et autres fauteurs de trouble, dont un mémorable combat épique entre le bûcheron armé de sa hache et d'un homme munis d'une tronçonneuse (Alain Petit dans une veste à carreaux du plus bel effet), le récit glisse vers l'improbable histoire d'amour entre notre serial killer forestier et la parente d'une des victimes d'Ogroff ; une héroïne kidnappée (interprétée par Françoise Deniel dont il s'agit du seul et unique rôle) en plein syndrome de Stockholm, encore sous l'émotion de sa nuit d'amour avec son amant masqué (on le serait à moins), qui va libérer par mégarde une horde de zombies allemands, précédemment emprisonnés dans le sous-sol de la cabane du seigneur des lieux. Quand Jason Voorhees et Leatherface croisent le chemin de La nuit des morts-vivants. Imparable.

 

Malgré l'amateurisme de la production (avec les problèmes de sous et surexposition on ne sait plus très bien s'il fait jour ou nuit durant la même séquence) et un nombre de situations toutes plus grotesques les unes que les autres (au hasard la destruction de la 2 CV), Ogroff dégage toutefois, entre deux fous rires, un réel parfum malsain. Du meurtre de la petite fille en ouverture, à la scène d'onanisme entre Ogroff et sa hache, Moutier paye son tribut à Tobe Hooper, l'aspect faits divers de province et les liens avec l'Occupation alimentant encore un peu plus l'ambiance poisseuse désirée par son réalisateur.

Avec un budget d'environ 15 000 francs, Norbert Moutier aura finalement réalisé son rêve. Un film, certes bourrés de défauts (doit-on finalement les énumérer ?), mais également attachant, et qui signe les débuts d'une carrière cinématographique jusqu'au-boutiste animée par la passion bis de ce singulier réalisateur/ producteur/scénariste.


CULTE !!
 
PS : Le DVD édité par Artus propose, en sus du film, les suppléments Ogroff, le bûcheron fou, un entretien avec Norbert Moutier, Ogroff, 30 ans après, un entretien avec les zombies / bisseux bénévoles du film, et la scène d'ouverture inédite.


En bonus : Quelques gifs du film sur notre tumblr.

Verdict du Nanarotron :






Crédit photos : © 2012 Artus Films. Tous droits réservés.


Ogroff (Mad Mutilator) | 1983 | 87 min
Réalisation : Norbert Moutier (N.G. Mount)
Scénario : Norbert Moutier
Avec : Norbert Moutier, Françoise Deniel, Alain Petit, Jean-Pierre Putters, Christophe Lemaire, Howard Vernon, Pierre Patin
Musique : Jean Richard
Directeur de la photographie : Marc Georges
Montage : Philippe Brossard
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(1) Le documentaire Super 8 Madness ! de Fabrice Blin et Vincent Leyour, sorti en DVD par Metaluna Productions cette année, retrace cette glorieuse époque.

(2) La paternité du premier film gore est attribué à Jean Rollin et ses Raisins de la mort en 1978 avec Brigitte Lahaie.

(3) Benoit Lestang a débuté quelques mois auparavant dans La morte-vivante de Jean Rollin.

Le syndrome d'Edgar Poe - N. G. Mount (1995)

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Avant-dernier chapitre inattendu d'une filmographie atypique, avant un téléfilm étasunien Brooklyn Cop (1998) et un WIP longtemps reporté, et à jamais inachevé, dénommé Death Camp (1), Le syndrome d'Edgar Poe de N. G. Mount, alias Norbert Moutier, s'échappe quelque peu des précédentes productions de son auteur. Marquant la fin d'une époque d'intense activité, par la série de quatre longs métrages réalisés en moins de cinq ans jusqu'au mitan des années 90, ce syndrome peut, non sans raison, être considéré par les thèmes évoqués comme son film le plus singulier. Produit dans la foulée de Dinosaur from the Deep avec Jean Rollin, le métrage quitte la science-fiction ultra fauché pour verser dans l'hommage Sadien. Rien que ça. Mais n'allons pas trop vite.

En proie à de récurrents cauchemars et souffrant d'une santé mentale fragile, Roderick (Christophe Bier) croit être l'incarnation du grand écrivain Edgar Allan Poe. En pension chez sa tante (Sylvaine Charlet) depuis sa sortie de la clinique psychiatrique, le jeune homme est incapable d'écrire le moindre mot. Or la comtesse compte sur le futur roman de son neveu pour financer les réparations de son manoir, qui tombe inexorablement en ruine. Aidée par le trouble docteur Kemp (Gérard Stum), celle-ci invite le temps d'un séjour le professeur Waldemar (Robert André) accompagné de son épouse Morella (Brigitte Borghese), une dominatrice férue de sadomasochisme qui a pour mission de rallumer la flamme morbide de Roderick. Témoin de ces pratiques qui débouchent sur la torture et le meurtre de victimes ayant eu le tort d'accepter l'hospitalité de la propriétaire des lieux, Roderick retrouve finalement l'inspiration, tandis qu'un étrange individu vêtu de noir semble hanter les couloirs du château... 
   

Dernier volet d'une tétralogie débutée en 1992 avec Alien PlatoonLe syndrome d'Edgar Poe a de quoi surprendre l'habitué des productions signées par la N. M International (ça ne s'invente pas). Osons même l'écrire, celui-ci est sans doute, sinon le film le plus personnel, du moins le plus ambitieux de Norbert Moutier. Croisement de multiples influences conjuguant l'esprit Sadien (par exemple Les Chasses du comte Zaroff) et l'œuvre de Poe par extension (le personnage principal porte le même prénom que celui de la célèbre nouvelle La Chute de la maison Usher), Le syndromeétonne également par ses partis pris formels. De l'utilisation (maladroite) de filtres et autres instruments de torture datant du moyen-âge « qui ne demande qu'à resservir » évoquant les films gothiques d'un Mario Bava par exemple, le créateur du fanzine Monster bis y expose un goût du macabre jusque-là inédit... quitte à nous faire oublier l'amateurisme de la production et les incohérences d'une histoire portnawak. Pas sûr...


Filmé au Darkwood Castel (chez Sylvaine Charlet durant deux ou trois weekends, dixit Christophe Bier), Le syndrome d'Edgar Poe n'échappe pas aux habituels griefs des métrages mis en scène par Norbert Moutier. En sus d'une prise de son atroce lors du premier tiers (2), et d'une image aux qualités baveuses (tourné en vidéo, ce qui n'arrange rien), le film offre un panel croquignolet de personnages haut en couleur. Victimes de la cupidité de la comtesse et des élans sadicomeurtriers de la maitresse femme Morella, cette dernière n'hésitant pas à brûler la jambe de bois de son mari pour alimenter l'inspiration de notre écrivain raté : un serrurier (Christophe Lemaire) qui rentre dans une vierge de Nuremberg pour prouver sa fonctionnalité, l'envoyé de l'éditeur à la recherche d'une barrique de vin, le fiancé de Rowena (Quelou Parente), sœur de Roderick, qui accepte de boire une coupe offerte par ce dernier, alors que tout porte à croire que celui-ci a laissé mourir sa sœur enfermée dans un cercueil, etc., rien ne nous est épargné et plus encore, à l'instar du duel « épique » et viril entre ledit fiancé et le mystérieux homme en noir, le quota plan-nichon avec une demoiselle seins nus goûtant aux plaisirs simples du marquage au fer, et la scène nécrophile des familles entre Rowena et les restes d'un de ses aïeuls. 


Entouré pour des fidèles Sylvaine Charlet (qui signe également ici la musique) et Quelou Parente, de Christian Letargat, auteur du fanzine MovieGame, de sa muse ou apparenté Brigitte Borghese (3) et de l'incontournable Christophe Lemaire, Norbert Moutier peut également compter de nouveau (remember Howard Vernon dans Ogroff) sur la présence d'un invité prestigieux du bis, l'acteur et réalisateur Michel Lemoine, dans le rôle du professeur Goudron (?!) de la clinique psychiatrique. Quant à Christophe Bier, l'assistant (et plus encore) de Jean-Pierre Mocky (à l'époque), qui interprétait brièvement un avocat dans Dinosaur, sa prestation contraste avec celles de ses camarades de jeu, la forte théâtralité des situations et les dialogues ampoulés, qui vont de pair, étant finalement à double tranchant pour les protagonistes de ce conte macabre et fauché.
  
Une œuvre rare, une série Z quasi introuvable, à découvrir pour les amateurs éclairés de notre N. G. Mount national.

Verdict du Nanarotron :



PS : Un grand remerciement amical à Christophe Bier pour ses souvenirs de tournage.


Le syndrome d'Edgar Poe | 1995 | 97 min
Réalisation : Norbert Moutier (N. G. Mount)
Scénario : N. G. Mount
Avec : Christophe Bier, Sylvaine Charlet, Brigitte Borghese, Gérard Stum, Quelou Parente, Jean-Marie Burucoa, Michel Lemoine, Robert André, Christophe Lemaire
Musique : Sylvaine Charlet
Directeur de la photographie : K. Daverick
Montage : N. G. Mount
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(1) Connu également sous le titre de Britta The Torturer, avec Brigitte Borghese dans le rôle de la chef matonne à très forte personnalité, et inspirée par celui de Dyanne Thorne de la série Ilsa, le projet comptait également dans ses rangs Sylvaine Charlet, Gérard Stum, Claude Valmont et Christophe Bier dans rôle du médecin taré, avec main articulée et adepte d'expériences génétiques sur des embryons. "Le tournage débuta dans un établissement privée catholique en banlieue, avec l'apport technique du surveillant qui s'occupait aussi de la vidéo de l'école". Mais le tournage fut arrêté rapidement "quand le directeur, qui n'était pas au courant, a aperçu Borghese, toute vêtue de cuir, une cravache en main, qui se détendait dans la cours en fumant une cigarette" nous confia Christophe Bier !

(2) L'absence de perche fit que tout fut enregistré directement par le micro intégré de la caméra : "Le son est souvent le laisser pour compte des productions fauchées de l'époque" nous confia Christophe Bier. Il faut croire que dans le premier tiers, les comédiens ne parlaient pas suffisamment FORT ! 

(3) Cette autre grande fidèle de sieur Moutier a débuté dans sa « super production »Operation Las vegas avec Richard Harrison (excusez du peu), avant de jouer dans ses deux dernières créations, le téléfilm et le WIP précité.

Une femme dans la tourmente (Midareru) - Mikio Naruse (1964)

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Inédit en salles en France jusqu'à sa récente exploitation en décembre dernier, quelques mois après la rétrospective consacrée à son réalisateur, Mikio Naruse, à la Maison de la culture du Japon à Paris en avril 2015 (1), Une femme dans la tourmente sort pour la première fois en DVD dans le cadre du coffret L'âge d'or du cinéma japonais (1935-1975)édité par Carlotta qui sort ce 14 octobre.

Plus discret et secret que ses pairs Akira Kurosawa ou Kenji Mizoguchi, Mikio Naruse (1905-1969) est devenu à l'instar de Yasujiro Ozu l'un des témoins privilégiés des bouleversements de la société nippone d'après-guerre. Réalisateur de 89 films entre le début des années 30 et la fin des années 60, Mikio Naruse a pratiqué plusieurs genres différents, avec toujours la même constante au niveau du récit qui se résume toujours par « une quête de bonheur matériel ou sentimental dans laquelle les personnages se lancent au mépris des convenances morales, quête toujours entamée mais jamais aboutie », comme le souligne Eléonore Mahmoudian dans le Dictionnaire en 101 cinéastes japonais inclus dans ledit coffret. Et Une femme dans la tourmente ne déroge pas à ce constat. Au contraire, ce mélodrame, récompensé en 1964 au festival de Locarno par le prix d'interprétation féminine pour Hideko Takamine, actrice préférée de Naruse, narre l'amour impossible et la passion refoulée de deux êtres stoppée par les conventions sociales de l'époque. Mais n'allons pas trop vite.

Au Japon, la récente ouverture d'un supermarché met à mal la santé financière des petits commerçants d'un quartier d'une petite ville de province. Veuve de guerre, Reiko (Hideko Takamine) s'occupe seule depuis dix-huit ans de l'épicerie appartenant à sa belle-famille, quand son beau-frère, d'une dizaine d'années son cadet, Koji (Yûzô Kayama), revient dans le giron familial après avoir quitté son emploi à Tokyo. Alors que sa famille attend de lui la reprise du magasin, celui-ci mène au contraire une vie oisive et dissolue, entre jeux d'argent, alcool et filles (2). Or la belle-famille de Reiko qui a d'autres projets pour l'épicerie...
 
 

Écrit par Zenzô Matsuyama, mari de l'actrice Hideko Takamine, Une femme dans la tourmente s'inscrit parfaitement dans les thématiques chères au réalisateur (le scénario est tiré d'une histoire écrite par Naruse). Mélodrame minimaliste teinté de critique sociale, ce long métrage suit de nouveau les destinées tragiques des gens de conditions sociales modestes, et en particulier le poids des conventions sociales qui pèsent sur les femmes. Sans emphase et avec réalisme, le style du cinéaste se caractérise par son absence de sensiblerie et son refus de créer artificiellement de l'empathie pour ses personnages. Nuancé, son propos n'en demeure pas moins féroce et pessimiste vis à vis des conséquences néfastes pour les plus précaires qu'engendrent la mutation de la société traditionnelle japonaise. 


Tour à tour portrait socio-économique d'une petite ville de province, représentation d'une famille japonaise puis photographie d'un couple, Une femme dans la tourmente permet à Naruse dans chacun de ces chapitres de mettre en lumière les maux qui secouent le Japon d'hier et d'aujourd'hui. De la découverte brutale de la société de consommation dont l'arrivée du supermarché en est le symptôme, le film décrit ainsi avec précision les moyens mise en œuvre (le métrage s'ouvre sur une camionnette sillonnant les rues faisant la réclame des dernières promotions), le cynisme des patrons (la séquence du concours de gavage d'œufs) et la mort programmée, au sens propre, comme au sens figuré, des petits commerces. La peinture austère de la cellule familiale n'échappe pas non plus à cette vision sans concession. Invitée à aller voir ailleurs après avoir fait prospérer le magasin familial, Reiko reçoit de sa belle-famille un « bon de sortie », sa présence contrariant les projets de transformation du magasin en supermarché. Reiko se voit ainsi tiraillée entre cette modernité forcée, trouver un nouvel époux, vivre une nouvelle vie, et le poids des traditions, rester fidèle à la mémoire de son défunt mari. Mais Reiko n'est en rien préparée à la déclaration d'amour que va lui avouer frontalement un soir Koji. De la remise en cause de son passé récent, au réveil de ses aspirations amoureuses pour un homme qu'elle ne peut se résoudre à aimer, le destin de Reiko se drape inexorablement d'un voile tragique.


Comme présenté en introduction, Une femme dans la tourmente est inclus parmi cinq autres classiques de l'âge d'or du cinéma japonais (Voyage à Tokyo de Yasujiro Ozu, Contes des chrysanthèmes tardifs de Kenji Mizoguchi, Harakiri de Masaki Kobayashi, Contes cruels de la jeunesse de Nagisa Oshima et Je ne regrette rien de ma jeunesse d'Akira Kurosawa) et un dictionnaire des 101 cinéastes de cette période sous la direction de Pascal-Alex Vincent, enrichi d'un cahier d'illustrations.


Un mélodrame méconnu à (re)découvrir pour la subtilité des interprètes principaux et l'épure de sa réalisation.



Midareru (Une femme dans la tourmente) | 1964 | 98 min
Réalisation : Mikio Naruse
Production : Sanezumi Fujimoto, Mikio Naruse
Scénario : Zenzô Matsuyama d'après une histoire de Mikio Naruse
Avec : Hideko Takamine, Yûzô Kayama, Mitsuko Kusabue, Yumi Shirakawa
Musique : Ichirô Saitô
Directeur de la photographie : Jun Yasumoto
Montage : Eiji Ooi
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(1) La précédente rétrospective date de 2001 à la Cinémathèque française.

(2) A noter qu'une des petites amies est jouée par Mie Hama, connue pour avoir incarné trois ans plus tard l'espionne japonaise qui se marie avec James Bond dans On ne vit que deux fois.
  

Live report : John Surman - Théâtre du Châtelet, Paris, 8 octobre 2016

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Dans le cadre du festival Jazz sur Seine, du 7 au 22 octobre prochain, le saxophoniste britannique John Surman était convié lors d'une carte blanche à jouer au Théâtre du Châtelet. Étaient invités à cette soirée plusieurs musiciens et collaborateurs de longue date dont le contrebassiste Chris Laurence, la chanteuse norvégienne Karin Krog, le quatuor à cordes Trans4mation String Quartet et Jack DeJohnette, ancien batteur de Miles Davis et compagnon de route pendant trente ans du trio du pianiste Keith Jarrett.

Pour les présentations d'usage, indiquons qu'en plus d'être une figure de proue du jazz européen via le label ECM durant près de quatre décennies, John Surman peut se targuer d'être un souffleur atypique, doublé d'un explorateur à la recherche de nouveaux horizons sonores. Pour cela il suffit d'écouter par exemple son utilisation personnelle des boucles de synthétiseurs ou du re-recording (overdubbing en anglais) (1) sur Westering Home (1972) et Road to Saint Ives (1990). Concert scindé en deux parties bien distinctes, chacun de ces volets avait la tâche de mettre en lumière une des nombreuses facettes protéiformes de cet improvisateur, passé maitre dans l'art de la clarinette basse et du saxophone soprano et baryton.


Débutant par deux solos en guise de mise en bouche, John Surman convia pour le premier set Chris Laurence (comparse de Surman depuis Morning Glory en 1973), ainsi que les violonistes Rita Manning & Patrick Kiernan, l'alto Bill Hawkes et le violoncelliste Nick Cooper, afin de nous faire revivre l'esprit de Coruscating(2000) et de sa séquelle, The Spaces in Between, enregistrée six ans plus tard. Au croisement du jazz contemporain et de la musique classique, le sextette offrit comme on pouvait l'attendre une prestation des plus contemplatives, propres à jouer avec l'imaginaire de l'auditeur, à l'image des compositions Shadows of Lisbon ou l'oriental Lelek Geldi, sans oublier l'hommage au saxophoniste baryton de l'orchestre de Duke Ellington, Harry Carney, sur le profond et mélodique Stone Flower issu de Coruscating. Le meilleur était à venir.
  

A l'instar du premier set qui s'était ouvert par deux solos du souffleur, le second débuta par la présence de la chanteuse Karin Krog, le temps d'un duo avec le maitre de cérémonie en mode question-réponse avec voix déformée électroniquement pour la dame scandinave, puis l'introduction de l'invité spécial, Jack DeJohnette, au piano, pour la relecture de deux standards, In a Sentimental Mood de Duke Ellington et Hi-fly de Randy Weston. Une fois le batteur placé derrière ses fûts, Krog quittant la scène, la paire Surman / DeJohnette prit possession des lieux, leur duo faisant ainsi revivre l'une de leurs précédents collaborations, Invisible Nature, disque live issu de leurs performances lors des Tampere Jazz Happening et JazzFest Berlin en novembre 1999. Musique par nature post-Coltranienne (remember Interstellar Space signé Trane et son batteur Rashied Ali (2)), les deux vieux complices rejouèrent trois compositions du live précité, Mysterium, Rising Tideet enfin un funky Underground Movement, fausse relecture du Full Nelson de Miles Davis, avec le constat évident que l'âge des protagonistes n'altéraient en rien leur énergie. 

Le concert se conclut par l'entrée en scène de l'ensemble des musiciens en interprétant une chanson provenant du folklore norvégien, avant un rappel participatif (le public fut invité à tenir une note bourdon) sous la forme d'une reprise d'un titre provenant cette fois-ci du folklore irlandais. A défaut d'un second rappel (Surman indiquant à l'audience que le souffle lui manquait), le jazzman remercia de nouveau avec humilité un public conquis. 

Une belle soirée.
 
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(1) Le premier jazzman a avoir usé de cette technique de studio fut Sidney Bechet en 1941 pour le standard The Sheik of Araby.

(2) Le dernier album de Jack DeJohnette sorti cette année en 2016, In Movement, avec Ravi Coltrane, fils de, rend justement hommage à l'ancien batteur de Trane sur le titre éponyme Rashied.
 

Live report : All Them Witches - La Maroquinerie, Paris, 10 octobre 2016

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Chroniqué en janvier dernier, le troisième album des All Them Witches, Dying Surfer Meets His Maker, demeure, près d'un an après sa sortie le 30 octobre 2015, l'un des coups de cœur de l'année passée du RHCS. Auteurs d'un album conciliant feeling blues et groove stoner rock, les quatre musiciens originaires de Nashville étaient de nouveau de passage à Paris après leur précédent concert, le 8 mars dernier, à La mécanique ondulatoire. Dans le cadre de leur nouvelle tournée européenne de 17 dates, du 2 octobre à Bristol au 21 octobre à Anvers, faisant donc suite à leur précédente tournée sur le vieux continent en début d'année (1), ATW fit escale le 10 octobre à La Maroquinerie, pour un concert annoncé une fois encore complet, à l'instar de la majorité des dates de ladite tournée.

Accompagnant les étasuniens au cours de ce périple européen, les israéliens de The Great Machine avaient la charge d'ouvrir la soirée. Formation en provenance de Tel Aviv, le trio a à son actif trois disques, deux EPs, un premier sorti en mai 2013, un second en avril de cette année, et un album éponyme datant de décembre 2014. Adepte d'un stoner débridé, à l'image du look bigarré des frangins Omer et Aviran Haviv, guitariste et bassiste/chanteur, la musique de TGM évoque par moment le Mondo Generator de Nick Oliveri, entre desert rock, poussées punk et riffs plombés. Une bonne mise en bouche.
 
  

https://thegreatmachine1.bandcamp.com/


Plus de photos sur notre tumblr.

Setlist :
01. Martin / 02. Love / 03. Barbara / 04. 0280 / 05. Karma / 06. Redrum / 07. I Need You / 08. Sanzekellin / 09. Bitch


Pour ceux, qui comme le préposé, n'avaient pu se déplacer à leur date parisienne hivernale, le récent disque des All Them Witches Live in Brussels sorti le 16 septembre dernier, enregistré à l'Ancienne Belgique (2) cinq jours avant leur concert à La mécanique ondulatoire, a le mérite de donner un premier aperçu de la qualité de leurs prestations scéniques. Avec une setlist principalement axée sur les deux derniers albums, cinq titres provenant de Lightning at the Door et quatre du dernier Dying Surfer Meets His Maker (plus un inédit), le groupe débuta tambour battant avec l'efficace Dirt Preachers. Mené par leur charismatique chanteur/bassiste Michael Parks Jr, ATW délivra un show à la mesure des attentes. Envoûtante, tour à tour subtile et lourde, leur musique sur scène donna la pleine mesure de la progression et de l'expérience acquise par le groupe au cours d'une année des plus riches. A l'image du désormais classique titre Talisman, ATW confirma au besoin l'excellence de leur association d'âme bluesy, volutes psychédéliques et fièvres métalliques portée par la voix impeccable de Parks Jr, la guitare hypnotique de Ben McLeod et la batterie bucheronne (3) de Robby Staebler.

En attendant leur quatrième album enregistré le mois dernier et qui devrait sortir en février prochain.




https://allthemwitches.bandcamp.com/


Setlist :
01. Dirt Preachers / 02. Charles William / 03. The Death of Coyote Woman / 04. When God Comes Back / 05. Mountain / 06. Open Passageways / 07. Talisman / 08. 3.5.7 / 09. The Marriage of Coyote Woman / 10. Elk Blood Heart / 11. Blood & Sand / Milk & Endless Waters / Rappel : 12. Heavy Like a Witch
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(1) Une tournée de 14 dates du 27 février à Athènes au 13 mars 2015 à Vienne.

(2) La vidéo du concert est également disponible sur la chaine Youtubede la salle bruxelloise. 

(3) Gageons que la Bonzomania du garçon le fasse progresser quelque peu. Le solo de batterie est déjà une gageure dans le rock, alors quand celui-ci est effectué par quelqu'un de limité techniquement, en dépit de la bonne volonté affichée, l'exercice apparait des plus périlleux...


Don't Breathe - Fede Alvarez (2016)

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Auréolé de la mention du meilleur film d'horreur étasunien des deux dernières décennies (détrônant ainsi The Witch, ce dernier ayant destitué l'année précédente It Follows, et en attendant donc l'apparition d'un prochain film régicide en 2017 - vous suivez ?), Don't Breathe (1) du réalisateur Fede Alvarez aura créé la sensation au cours de cet été outre-Atlantique, cette production indépendante se payant même le luxe de faire jeu égal en terme de fréquentation avec les blockbusters estivaux lors de sa sortie fin août. Or, en dépit de plusieurs réserves, qui cette fois-ci n'ont rien de rédhibitoires (suivez le regard du préposé vers les deux films précités), avouons dès à présent que cette apparentée relecture inversée du classique Seule dans la nuit de Terence Young n'en demeure pas moins une bonne surprise. Mais n'allons pas trop vite comme le veut l'adage.

Banlieue de Detroit, Rocky (Jane Levy) rêve de rejoindre la Californie avec sa jeune sœur Diddy. Son quotidien se borne à commettre avec son petit-ami Money (Daniel Zovatto) et Alex (Dylan Minnette) divers cambriolages dans les maisons que gèrent la société de gardiennage du père d'Alex, ce dernier subtilisant le double des clefs détenues par son paternel. Un jour, Money apprends de la part de son receleur qu'un vétéran de l'armée vit seul dans un quartier abandonné avec la coquette somme de 300 000 dollars en liquide. Après un premier repérage et la découverte que l'homme est en fait aveugle, les trois délinquants décident de passer à l'acte le soir même...
 
 

Premier point, Don't Breathe n'est pas le film d'horreur annoncé. Le second long métrage de Fede Alvarez quitte l'horreur graphique du remake ultra sanglant d'Evil Dead, première réalisation de l'uruguayen adoubée par la paire Sam Raimi et Rob Tapert (2) via leur société de production Ghost House Pictures, pour prendre la forme d'un thriller efficace, claustrophobique à souhait. Second point, du scénario coécrit par le metteur en scène et Rodo Sayagues, compagnon de route d'Alvarez depuis ses premiers courts métrages, le film renverse les codes du sous-genre Home Invasion avec une inversion des rôles sinon jubilatoire, du moins originale.Dommage que le suspense anxiogène du titre se dilue dans sa second partie (trop de rebondissements tuent le rebondissement). Qu'importe, Don't Breathe remplit haut la main le cahier des charges, tandis que l'aiguille du trouillomètre s'éloigne rarement de la zone rouge. Dont acte.


Alors d'où proviennent lesdites réserves mentionnées en préambule ? Nullement de la forme, on l'aura compris, plutôt de la nature même de Don't Breathe, qui conforte l'impression donnée par une partie du cinéma d'horreur (au sens large) actuel et son cruel manque de subversion alors que celui-ci se nourrit directement du cinéma d'exploitation d'antan et autres grindhouse (3). Une copie tiède qui prouve qu'une interdiction aux moins de seize ans peut tout à fait se satisfaire d'une absence de transgression (4). Étonnant, non ? Ajoutons la pirouette morale qui permet de justifier le forfait de nos trois délinquants (contre toute attente, l'aveugle vétéran de l'armée ayant perdu sa fille par trois n'est pas un saint...) et une fin décevante, et on comprendra aisément que Don't Breathe vaut davantage pour sa mise en scène que pour son scénario.
   
Porté par les convaincants Stephen Lang (5) (le colonel Miles Quaritch d'Avatar) et par Jane Levy (Mia dans le remake d'Evil Dead), Don't Breathe confirme le potentiel de Fede Alvarez. A suivre.
  
 
 

Don't Breathe (Don't Breathe - La maison des ténèbres) | 2016 | 88 min
Réalisation : Fede Alvarez
Production : Sam Raimi, Rob Tapert & Fede Alvarez
Scénario : Fede Alvarez & Rodo Sayagues
Avec : Stephen Lang, Jane Levy, Dylan Minnette, Daniel Zovatto
Musique : Roque Baños
Directeur de la photographie : Pedro Luque
Montage : Eric L. Beason, Louise Ford, Gardner Gould
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(1) A ne pas confondre avec le documentaire de Nino Kirtadze qui date de 2014.

(2) Découvert sur internet grâce à son court-métrage Ataque de Pánico! diffusé sur YouTube, Fede Alvarez signa un contrat avec la paire Raimi / Tapert qui se conclut par la réalisation du remake d'Evil Dead en 2013, puis la production du dit Don't Breathe.

(3) A l'instar du récent Green Inferno signé par l'un des pères du renouveau du Torture Porn, Elie Roth, qui suit sur les traces d'un Cannibal Ferox sans toutefois oser en reprendre les aspects les plus craspecs. 

(4) La découverte de la cave de la maison confirmant la malséance modérée évoquée plus haut.

(5) On a toujours du mal à croire qu'il s'agit du même acteur qui joue Freddie Lounds dans Le sixième sens de Michael Mann.

Manille - Lino Brocka (1975)

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Treizième long métrage du réalisateur philippin Lino Brocka, d'une filmographie débutée tout juste cinq années auparavant et qui en comptera pas moins soixante avant la mort prématurée de son auteur en 1991, Manille s'inscrit idéalement dans le cinéma indépendant de l'archipel. Fort d'un premier gros succès populaire en 1974 nommé Tinimbang ka ngunit kulang (inédit en France), portrait sans concession de la société philippine sous la dictature de Ferdinand Marcos, Brocka réalise dans la foulée deux films qui lui ouvriront désormais les portes de l'international : Manille en 1975 et Insiang en 1976 qui sera présenté au Festival de Cannes de 1978 (à la Quinzaine des Réalisateurs). Considéré comme un des chefs d'œuvre du cinéma philippin, Manille ressort dans les salles le 7 décembre prochain dans une version restaurée effectuée par La Cineteca di Bologna / L'Immagine Ritrovata (1), et supervisée par le directeur de la photographie du film, Mike de Leon.

Jeune provinciale de 21 ans, Júlio Madiaga (Rafael Roco Jr.) a quitté son île natale, Marinduque, afin de retrouver sa fiancée, Ligaya Paraiso (Hilda Koronel), dont lui et sa famille n'ont plus de nouvelles. A la recherche de sa bien-aimée, l'ancien pêcheur, à court d'argent, se fait embaucher comme ouvrier sur un chantier où il fait la connaissance d'Atong (Lou Salvador Jr.), collègue embauché cinq semaines plus tôt. Julio découvre peu à peu l'univers du sous-prolétariat à Manille entre prostitution, corruption et pauvreté extrême. Un jour, tandis que Julio accompagne Atong au marché pour acheter une chemise, Julio aperçoit la dénommée madame Cruz, la femme qui est responsable du départ de Ligaya pour Manille.
  
   
Adaptation d'un roman d'Edgardo Reyes intitulé Sa mga kuko ng liwanag (en français Dans les griffes du néon), Manille s'inspire ouvertement du mythe d'Orphée, parti à la recherche d'Eurydice au royaume des Enfers. Loin de l'adaptation musicale et poétique d'Orfeu Negro de Marcel Camus, le cinéaste dresse ici un réquisitoire à charge envers le régime dictatorial de Marcos et la situation désastreuse qui existe dans les quartiers pauvres de la capitale. De la perte de l'innocence de son personnage principal, de sa condition d'ouvrier exploité à celle de prostitué, au destin tragique de sa compagne vendue comme esclave sexuelle, Lino Brocka dépeint la cité comme un monstre tentaculaire qui dévore ses enfants les plus faibles. Implacable, cruel, le verdict est sans appel pour celles et ceux qui seraient fascinés par les lumières artificielles de Manille.

Principal instigateur du projet, le producteur et chef opérateur Mike de Leon signe une photographie en accord avec la mise en scène dichotomique de Lino Brocka, soit une stylisation de l'image en opposition avec la crudité de l'histoire. Caméra subjective, flashbacks stroboscopiques en guise de shoots mémoriels, le canevas néo-réaliste de départ se mue en une expérience cinématographique transcendant le réalisme social originel et le mélodrame traditionnel philippin. Récit frontalement pessimiste et anxiogène, Manille laisse, on l'aura vite compris, peu de place à l'espoir, chaque brèche se refermant brutalement sur elle-même, telle l'annonce de la mort d'Atong ou le sort réservé à sa sœur, chacune victime de la corruption et de la prostitution qui règnent dans les bas-fonds manillais ; quant aux chances d'ascension sociale, si celles-ci existent, ces dernières font basculer l'ancien opprimé en nouvel oppresseur.

   
Porté par le jeune Rafael Roco Jr (2) et Hilda Koronel, déjà présente dès le premier film de Brocka, Wanted: Perfect Mother, Manille conforte la figure engagée du cinéaste. Véritable film coup de poing, à l'image de sa conclusion brutale et désespérée (3). 
 


Crédits Photo: © 1975 THE FILM FOUNDATION / THE FILM DEVELOPMENT COUNCIL OF THE PHILIPPINES. Tous droits réservés.
 

Maynila : Sa mga kuko ng liwanag (Manille) | 1975 | 127 min
Réalisation : Lino Brocka
Production : Severino Manotok Jr. & Miguel de Leon
Scénario : Clodualdo del Mundo Jr d'après le roman "Sa mga kuko ng liwanag" d'Edgardo Reyes
Avec : Hilda Koronel, Bembol Roco (Rafael Roco Jr), Lou Salvador Jr, Tommy Abue, Joonee Gamboa, Pio De Castro III
Musique : Max Jocson
Directeur de la photographie : Miguel de Leon
Montage : Ike Jarlego Jr. & Edgardo Jarlego
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(1) Ces derniers étant déjà responsables de la restauration de Il était une fois en Amérique de Sergio Leone ou d'Études sur Paris d'André Sauvage.

(2) Avant qu'il ne porte le nom Bembol Roco et ne devienne une star du cinéma de l'archipel.

(3) Coïncidence fortuite, le règlement de compte final n'est pas sans rappeler celle du Taxi Driver de Martin Scorsese. 
 

L'étrangleur de Rillington Place - Richard Fleischer (1971)

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Réalisateur prolifique et versatile, Richard Fleischer aura incarné durant cinq décennies l'exemple type de l'artisan surdoué au service des grands studios, de ses débuts dans la série B au mitan des années 40 jusqu'à la fin des années 80. Né dans le sérail, son père, Max, est le créateur de Betty Boop et de Popeye, Fleischer junior aura également marqué son empreinte à Hollywood par sa capacité à toucher à tous les genres, avec la même envie et la même virtuosité, du film historique à grand spectacle, Les Vikings, à la fable SF, Soleil vert, en passant par la meilleure adaptation de Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers (1).

Au tournant des années 70, après le film de guerre américano-japonais co-réalisé avec Toshio Masuda et Kinji Fukasaku,Tora! Tora! Tora!, retraçant l'attaque sur Pearl Harbor, Fleischer traverse l'Atlantique et signe la mise en scène deux productions britanniques : L'étrangleur de Rillington Place et Terreur aveugle (2). De ces deux films inclus dans le coffret collector récemment édité par Carlotta, sorti le 9 novembre dernier, accompagné du polar seventies Les Flics ne dorment pas la nuit, L'étrangleur de Rillington Place se place comme une œuvre marquante, à plus d'un titre, dans la riche filmographie du réalisateur étasunien. Dernier volet de son cycle criminel débuté en 1949 avec L'assassin sans visage, suivi dix ans plus tard par Le génie du mal, Ten Rillington Place s'inspire à l'instar de L’Étrangleur de Boston (3) de l'histoire vraie d'un tueur en série ayant sévi cette fois-ci en Angleterre au mitan du siècle dernier. Reconstitution d'un fait-divers atroce, L'étrangleur de Rillington Place est devenu au fil du temps un classique, et un vibrant plaidoyer contre la peine de mort. Mais n'allons pas trop vite...
 
Londres, 1949. Timothy (John Hurt) et Beryl Evans (Judy Geeson) emménagent avec leur petite fille Géraldine au 10 Rillington Place au dernier étage d'un immeuble situé dans le quartier populaire de Notting Hill. Ils sympathisent rapidement avec leurs voisins du rez-de-chaussée, les Christie. Or Beryl de nouveau enceinte, songe sérieusement à se faire avorter, le couple n'ayant pas les moyens d'élever un second enfant. John Christie (Richard Attenborough) apprend la nouvelle de la bouche de Bery. Lui déclarant qu'il a déjà suivi des cours de médecine, celui-ci propose au couple de pratiquer l'avortement. Mais derrière ses airs courtois et respectables se cache en réalité un meurtrier…


Tiré du livre éponyme de Ludovic Kennedy publié en 1961, L'étrangleur de Rillington Place suit de deux années l'abolition de la peine de mort en Grande Bretagne, à laquelle l'ouvrage fut une pièce importante dans le débat qui ébranla la couronne dans les années 60. Adoptant la même posture que celle de Kennedy, qui fut conseiller technique pour la production, Fleischer réalise ici sans conteste son film le plus engagé, et un de ses plus noirs sans nul doute. D'un récit glissant dans le sordide à mesure que l'on découvre les méfaits et la personnalité sinistre de John Christie, de 1944, date du meurtre de Muriel Eady à 1953, date de son arrestation, L'étrangleur de Rillington Place se pose clairement contre la peine de mort en exposant le sort tragique de Timothy Evans, exécuté et accusé à tort du double meurtre de son épouse et de sa fille.

Tour à tour thriller psychologique glaçant et drame social réaliste, le long métrage dépeint avec authenticité cette période d'après-guerre, Fleischer signant ici un modèle de mise en scène tantôt stylisé, tantôt ultra documentée (le film fut tourné pour les plans extérieurs à Rillington Place). Virtuose dans sa manière de filmer les espaces exigus (il n'use pas du subterfuge cinématographique du « 4ème mur »), depuis le remarqué L'énigme du Chicago Express (1952) dans lequel les trois quarts du métrage furent tournés dans un wagon grâce à la technique de la caméra portée, Fleischer tire profit d'une économie de moyens salutaires lui permettant de souligner le côté oppressant et la promiscuité de ces logements à la piteuse salubrité.


Techniquement et brillamment discret, le film jouit également d'une grande puissance allusive, dépassant le simple cadre de son sujet principal, celui d'un tueur en série. Fleischer ne s'appesantit pas sur les motivations de Christie (la scène introductive délivre suffisamment d'éléments et d'informations sur sa nécrophilie et son impuissance), mais davantage sur son pouvoir manipulatoire et le rapport de forces qu'il établit avec son entourage moins éduqué et d'un milieu social plus défavorisé. Porté par la prestation troublante de Richard Attenborough, le propos du film doit enfin beaucoup à celle du débutant John Hurt, nominé aux BAFTA, pour son interprétation mémorable du rustre et naïf Timothy Evans.
 





Crédit photos : L’ÉTRANGLEUR DE RILLINGTON PLACE © 1970, RENOUVELÉ 1998 COLUMBIA PICTURES INDUSTRIES, INC. Tous droits réservés.


10 Rillington Place (L'étrangleur de Rillington Place) | 1971 | 111 min
Réalisation : Richard Fleischer
Scénario : Clive Exton d'après le livre de Ludovic Kennedy
Avec : Richard Attenborough, Judy Geeson, John Hurt, Pat Heywood
Musique : John Dankworth
Directeur de la photographie : Denys N. Coop
Montage : Ernest Walter
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(1) Si sa boulimie ne l'empêcha pas d'être responsable de plusieurs faux-pas, on restera pas contre plus mesuré quant aux films réalisés après la seconde moitié des années 70, sa filmographie se concluant par les affreux Amityville 3D, Conan le destructeur et Kalidor.

(2) Sans compter un troisième long métrage la même année : Les complices de la dernière chance avec George C. Scott.

(3) Le titre français de 10 Rillington Place jouant justement la proximité avec le film de 1968.
 

La Colline a des yeux - Wes Craven (1977)

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Apparu en 1972 avec le sulfureux La Dernière Maison sur la gauche, lointaine relecture trash de La Source d'Ingmar Bergman, Wes Craven revenait cinq ans plus tard avec La Colline a des yeux. Inspiré d'un faits divers écossais qui se serait déroulé entre le XIIIème et XVIème siècle (1), ce second film s'inscrit une fois encore, sous l'apparat du film d'exploitation, comme un portrait au vitriol de la famille américaine. Après un premier opus, réminiscence de la fin des utopies flower power, qui décrivait la vengeance brutale de parents après le viol et le meurtre de leur fille, Craven poursuit sa réflexion, du moins sa description, de la décomposition du modèle familial avec ce second film apparenté au genre survival. Récit d'une famille WASP aux prises avec une tribu de cannibales, La Colline a des yeux est de nouveau dans les salles ce 23 novembre prochain dans une nouvelle version restaurée 4K, avant la sortie de l'édition collector du 40ème anniversaire le 7 décembre. A bon entendeur.

La famille Carter a quitté son Ohio natal pour rejoindre Los Angeles. En chemin, le patriarche Bob (Russ Grieve), officier de police à la retraite, décide de faire un détour par le désert du Nevada pour visiter une mine d'argent désaffectée. En dépit des avertissements du propriétaire de la station-service, les Carter se dirigent vers la mine située dans une zone d'essai de l'aviation américaine. Quand survient un accident de la route, la famille se sépare afin d'aller chercher du secours. Mais ils ignorent encore qu'ils sont espionnés par Jupiter (James Whitworth) et sa tribu...


Avant de connaitre un succès planétaire avec le premier volet de la franchise Freddy Krueger, Les Griffes de la nuit (1984), précédant l'échec critique de son troisième film (2) La Ferme de la terreur (1981) et du décevant La Créaturedu marais l'année suivante, Wes Craven s'est distingué par la production de deux longs métrages à petit budget qui marquèrent durablement l'inconscient du cinéma indépendant US des années 70. Tourné deux ans avant le fameux Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, l'éprouvant La Dernière Maison sur la gauche amorçait ainsi le renouvellement d'une terreur cinématographique exploitant au mieux le relâchement de la censure (ce qui n'empêcha pas le premier film de Craven, tout comme le second, d'être censuré dans plusieurs pays, et de subir de nombreuses coupes (3) afin de ne pas être classé Rated X aux USA).

D'une intrigue évoquant le chef d'œuvre de Hooper précité, à savoir l'intrusion d'un groupe d'individus sur le territoire d'une famille d'anthropophages, Craven permute à dessein les traditionnels jeunes innocents par une famille américaine à tendance conservatrice plongée dans une nature hostile. Collusion brutale d'un modèle dit civilisé contre la sauvagerie d'une bande de primitifs, le réalisateur du Sous-sol de la peur (1991) malmène sans ménagement ses personnages WASP, à l'image de la confrontation entre les deux patriarches qui se conclura par la mise à mort de l'ex-chef Carter. Enfin à l'instar de The Last House on the Left, Craven prolonge sa thématique de dislocation des mœurs civilisés en faisant basculer les Carter vers une animalité et une violence psychotique, à la fois guidées par leur instinct de survie renaissant et catalysées par l'environnement aride et rocailleux du désert. Un sentiment de perdition et de radicalité que la fin abrupte ne manque pas d'accentuer (4).  


Filmé en 16 mm par un chef opérateur, Eric Saarinen, rompu à l'exercice documentaire, et fort d'un directeur artistique, Robert A. Burns, ayant fait ses preuves dans The Texas Chainsaw Massacre, The Hills Have Eyes distille un climat brut propice aux divers débordements barbares des deux camps susmentionnés. Images granuleuses, atmosphère sale mêlée de sang et de poussière, autochtones dégénérés au physique déformé (Michael Berryman dans un de ses premiers rôles), le film déploie un abécédaire horrifique en marge des traditionnelles mises en scène hollywoodiennes.
 
Un film emblématique du cinéma d'horreur des années 1970 à (re)découvrir.



Crédits photo : © 1977 BLOOD RELATIONS COMPANY. Tous droits réservés.


The Hills Have Eyes (La Colline a des yeux) | 1977 | 89 min
Réalisation : Wes Craven
Production : Peter Locke
Scénario : Wes Craven
Avec : Susan Lanier, Robert Houston, Martin Speer, Dee Wallace, Russ Grieve, John Steadman, Michael Berryman, Virginia Vincent et James Whitworth
Musique : Don Peake
Directeur de la photographie : Eric Saarinen
Montage : Wes Craven
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(1) Ou l'histoire du clan du dénommé Alexander "Sawney" Bean qui aurait tué et mangé plus d'une centaine de malheureux bougres.

(2) Tout aussi moyen, voire carrément mauvais n'hésitons pas à l'écrire, L'été de la peur (1978), s'il fut exploité au cinéma en Europe, était à l'origine un téléfilm.

(3) Le montage initial, non content d'en faire les frais, est désormais perdu.

(4) L'édition collector proposera une version avec fin alternative.

The 'Burbs - Joe Dante (1989)

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Deux années après sa relecture délirante et parodique du Voyage fantastique de Richard Fleischer nommée L'aventure intérieure, Joe Dante revenait aux affaires avec cette fois-ci une comédie satirique, The 'Burbs, portrait caustique de l'American way of life et de la vie en banlieue dans les petites villes étasuniennes. Obscur long métrage en France, ce dernier n'ayant bénéficié d'aucune sortie en salles dans l'hexagone (on y reviendra), The 'Burbs a connu Outre-Atlantique une autre destinée. Au départ succès modeste lors de sa sortie, celui-ci accéda au cours de la décennie suivante au statut de film culte. Et une comédie mordante signée du père des Gremlins disponible pour la première fois en Blu-Ray le 1er décembre en version restaurée 2K dans le cadre des coffrets ultra collectors de Carlotta (1).

Missouri. Ray Peterson (Tom Hanks) habite Mayfield Place, rue sans issue située dans la ville de banlieue Hinkley Hills. En congé pour une semaine, ce père de famille a choisi de profiter de la quiétude de son quartier, en dépit des remontrances de son épouse Carol (Carrie Fisher). Or d'étranges événements ont lieu depuis qu'une nouvelle famille, les Klopek, s'est installée dans la rue. Non contents de rester invisibles aux yeux du voisinage, de négliger l'entretien de leur demeure et de leur terrain, ces derniers sont rapidement soupçonner par Ray, Art (Rick Ducommun), et le lieutenant vétéran Mark Rumsfield (Bruce Dern) d'être responsables de la disparition de leur voisin Walter. Les trois voisins décident alors de les espionner...
 

Filmé à la fin du mandat de Ronald Reagan, The 'Burbs s'inscrit par son ton subversif comme une attaque en règle contre la vision utopique et caricaturale des banlieues présentée durant la décennie 80. Mieux, Dante exploite les stéréotypes des banlieues pavillonnaires pour davantage satiriser certaines valeurs conservatrices de l'Amérique des classes moyennes. Ridiculisant le comportement de ces habitants à la vie hyper codifiée, à travers le fouineur Art ou le vétéran Rumsfield, avec peignoir à l'imprimé camouflage en sus, le réalisateur dénonce, du moins se moque ouvertement, de l'atmosphère paranoïaque régnant en ces lieux. Élément perturbateur aux codes du savoir-vivre des banlieues, les Klopek, voisins murés, quasi invisibles, constituent une anormalité dans ce milieu policé. Avec leur physionomie toute droite sortie d'un film de monstres, du neveu lycanthrope Hans au savant fou Werner, sus un thème musical et divers effets cinématographiques caricaturaux associés au film d'horreur, ces nouveaux riverains de Mayfield Place incarnent idéalement le cliché du voisin bizarre... Avant d'apparaître par la suite aux yeux de Ray et consorts en dangereux satanistes (à l'instar de l'adolescent de Vampire, vous avez dit vampire ? de Tom Holland qui croit reconnaître en face de chez lui un congénère du comte Dracula) après la disparition de Walter.

Grand adepte de l'hybridation des genres, Joe Dante n'oublie pas de faire entrecroiser dans The 'Burbs ses familières inclinations tant du point de vue narratif que visuel. A partir d'un environnement des plus quelconques, le réalisateur de Small Soldiers étoffe en premier lieu différents aspects de la comédie : de la satire à l'humour noir, en passant par le burlesque estampillé cartoon (la scène où Art se fait électrocuté), avant de lorgner vers le thriller et le fantastique, à mesure que le récit décrit les activités louches ou supposées de ces singuliers voisins.


Doté d'un budget de 18 millions de dollars, The 'Burbs en rapporta plus du double. Succès public modéré (il fut toutefois en tête du box-office US hebdomadaire deux semaines de suite), le film rencontra par contre un accueil critique des plus sévères. Ajoutons un sujet qu'on pourrait taxer trivialement d'américano-américain, il n'en fallait sans doute pas plus aux distributeurs français pour snober la sortie du nouveau film de Joe Dante (le titre Les banlieusards étant réservés à la Belgique). Choix d'autant plus étonnant que Tom Hanks avait connu un certain succès l'année précédente en France avec Big. Fin de l'aparté.
 
Tourné dans les studios d'Universal, dans la fictive Colonial Street (qui sera utilisée deux décennies plus tard pour matérialiser Wisteria Lane dans la série Desperate Housewives), le film a la particularité d'avoir été filmé lors de la grève des scénaristes de 1988. D'un scénariste désormais interdit de plateau (2), Dante profita de ce nouvel espace de liberté pour offrir plus de place à l'improvisation en s'appuyant sur l'imagination de ses acteurs, devenus, par ce concours de circonstances, coscénaristes de fortune. Enfin, le réalisateur de L'aventure intérieure pouvait compter, en plus des acteurs principaux dont Bruce Dern débridé, sur plusieurs figures récurrentes de son cinéma telles Wendy Schaal, Henry Gibson, ou le duo Dick Miller / Robert Picardo (3). Comme en famille.


Long métrage signant la sixième collaboration entre Jerry Goldsmith et Joe Dante, The 'Burbs offre au final une amusante vision décalée de l'American way of life. Le réalisateur y opère ici avec brio et malice une farce gentiment grinçante où sa cinéphilie fait une fois encore merveille.

Le coffret contient comme suppléments une préface de Frank Lafond, la copie de travail d'origine, issue de la VHS personnelle de Joe Dante, comparaison des principales différences entre la copie de travail et la version cinéma du film, la fin alternative, un entretien exclusif avec le réalisateur, plusieurs archives promotionnelles et Les monstres de Mayfield Place, le livre de 200 pages qui revient sur la genèse du film, y explore certains thèmes clés et retrace la carrière Joe Dante, de Jerry Goldsmith et de l'ensemble des acteurs.

A (re)découvrir.



Crédits Photos : THE ‘BURBS (LES BANLIEUSARDS) © 1988 UNIVERSAL CITY STUDIOS, INC. Tous droits réservés. TM & © 2016 UNIVERSAL STUDIOS INTERNATIONAL BV. Tous droits réservés.


The 'Burbs (Les banlieusards) | 1989 | 101 min
Réalisation : Joe Dante
Scénario : Dana Olsen
Avec : Tom Hanks, Bruce Dern, Carrie Fisher, Rick Ducommun, Corey Feldman, Wendy Schaal, Henry Gibson & Dick Miller
Musique : Jerry Goldsmith
Directeur de la photographie : Robert M. Stevens
Montage : Marshall Harvey
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(1) Ce cinquième coffret fut précédé par ceux consacrés à Body Double, L'année du dragon, Panique à Needle Park et Little Big Man.

(2) A défaut de pouvoir participer à une éventuelle réécriture du script lors du tournage, Dana Olsen put contourner cet obstacle en qualité de producteur du film et acteur (il joue un des policiers de la scène finale).

(3) Plus Corey Feldman, alias le jeune Pete Fountaine dans Gremlins, qui allait désormais tomber dans les limbes de l'oubli / du ridicule / etc.
 
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