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Channel: The Rocky Horror Critic Show
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Les flics ne dorment pas la nuit - Richard Fleischer (1972)

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Chronique sur le quotidien d'une brigade de nuit de Los Angeles, librement adaptée du premier roman éponyme de Joseph Wambaugh (1) publié en 1971, The New Centurions, traduit en français par le pertinent Les flics ne dorment pas la nuit (on y reviendra), est sorti en DVD et Blu-Ray le 9 novembre dernier dans le cadre du coffret que lui consacrait Carlotta (accompagné de L'étrangleur de Rillington Place et Terreur aveugle). Mise en scène dans la foulée des deux films précités, ces derniers appartenant à sa brève parenthèse britannique, ce polar urbain situé au cœur des quartiers défavorisés de Los Angeles se présente aujourd'hui comme une des œuvres majeures du réalisateur de Soleil vert. Mais n'allons pas trop vite...

Roy Felher (Stacey Keach), Gus Plebesly (Scott Wilson) et Sergio Duran (Erik Estrada), trois nouvelles recrues, rejoignent la police de Los Angeles. Le premier, étudiant en droit, le second, père de famille, et enfin le dernier, ancien membre d'un gang, sont chacun affectés à un collègue expérimenté qui vont leur apprendre les ficelles du métier. Dans les forces de l'ordre depuis près d'un quart de siècle, Andy Kilvinski (George C. Scott), associé à Roy, a acquis une connaissance inégalée du terrain, appliquant ce qu'il appelle la loi de Kilvinski. Happé par ces nuits de ronde, Roy devient obsédé par ce métier, au détriment de son entourage, négligeant son couple et sa petite fille...


Cinéaste protéiforme, Richard Fleischer s'est illustré dans quasiment tous les genres que pouvait compter le cinéma made in Hollywood, de ses débuts dans la série B au mitan des années 40 jusqu'à la fin des années 80 (2). Mais s'il doit rester un genre, le film noir fut sans conteste celui qui attesta avec le plus de caractère sa qualité d'auteur (reconnu malheureusement sur le tard). Réalisateur de L'assassin sans visage en 1949, suivi dix ans plus tard par Le génie du mal, de L’Étrangleur de Boston en 1968 puis enfin de L'étrangleur de Rillington Place, Fleischer marqua ainsi chaque décennie son empreinte sur le genre. Coïncidence volontaire ou non, après s'être penché sur le cas des tueurs psychopathes, les deux projets suivants du réalisateur des Inconnus dans la ville (3) abordèrent strictement le point de vue des forces de l'ordre : des anonymes policiers du LAPD des Flics ne dorment pas la nuit au modeste détective du NYPD interprété par Charlton Heston dans Soleil vert

Aboutissement du film urbain couplé au film noir pour son atmosphère fataliste voire dépressive, Les flics ne dorment pas la nuit se démarque donc des productions policières de l'époque par son ambition paradoxale, celle de nous conter le quotidien nocturne d'une unité de police dans les quartiers défavorisés de La Cité des Anges (déchus). Peinture rigoureuse d'une vie professionnelle désespérée et destructrice pour ses protagonistes, le film décrit ces policiers comme des « centurions », selon les propres mots de Kilvinski, condamnés à rester seul dans leurs vies, sacrifiant leur existence au maintien d'un ordre désormais précaire. D'un ton proche du documentaire, la majeure partie du film ayant été tournée en décors réels, Les flics ne dorment pas la nuit dénote la rigueur habituelle de Fleischer, celui-ci évitant tout sensationnalisme ou complaisance autour du métier de flic. Au contraire, en accord avec la dimension sociale souhaitée par le réalisateur, Fleischer ne fait pas ambages de la violence qui touche la société étasunienne des années 70, et dont ces policiers de terrain en sont les premiers témoins, acteurs et victimes collatérales : maltraitance infantile, bavure policière, alcoolisme et suicide dans la police, etc.

 
Non dénué d'une certaine tendresse envers ces héros anonymes du quotidien, derniers remparts d'une société en mutation, le scénario bascule à mesure vers une profonde mélancolie en dépeignant des hommes rongés par leur travail, réduits à leur seule fonction sociétale, au détriment de leur proche. De ce constat pessimiste, la retraite de ces « petits » flics, quand ils ne sont pas abattus en service, ne signe pas que la fin de leur vie professionnelle... Avec un récit composé de séries d'épisodes, Fleischer évacue tout morceau de bravoure ou situations comiques comme le voudrait ce modèle de buddy movie. Mieux, de cette supposée banalité, le film, en plus d'ausculter les maux de la société étasunienne d'hier et d'aujourd'hui, écarte rapidement les positions réactionnaires que l'on pouvait craindre, pour dresser à l'inverse un point de vue moral progressiste détonant pour l'époque, à l'image de Kilvinski qui prend la défense d'immigrés clandestins exploités par leur logeur, ou la romance de Felher avec une infirmière afro-américaine.

Mise en scène épurée, interprétation des acteurs d'une émouvante sobriété à l'instar d'un George C. Scott qui trouve ici un de ses plus beaux rôles, Richard Fleischer signe avec Les flics ne dorment pas la nuit un film bouleversant, au rythme de la musique funky du grand Quincy Jones.

Un classique à (re)découvrir.



Crédits photos : LES FLICS NE DORMENT PAS LA NUIT © 1972, RENOUVELÉ 2000 COLUMBIA PICTURES INDUSTRIES, INC. Tous droits réservés.


The New Centurions (Les flics ne dorment pas la nuit) | 1972 | 103 min
Réalisation : Richard Fleischer
Production : Robert Chartoff & Irwin Winkler
Scénario : Stirling Silliphant d'après le roman de Joseph Wambaugh
Avec : George C. Scott, Stacey Keach, Jane Alexander, Scott Wilson, Rosalind Cash
Musique : Quincy Jones
Directeur de la photographie : Ralph Woolsey
Montage : Robert C. Jones
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(1) Son troisième roman The Onion Field fut adapté en 1979 sous le titre français Tueur de flics avec John Savage et James Woods.

(2) A l'exception de la comédie musicale, on ne voit pas très bien quel genre il n'a pas touché ! L'homme ayant toutefois goûté au genre musical avec le drame Le chanteur de jazz (1980) avec Neil Diamond.

(3) Les inconnus dans la ville (1955) avec Victor Mature, autre film noir notable, a pour sujet un hold-up.
 

Q (Épouvante sur New-York) - Larry Cohen (1982)

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Producteur, réalisateur et scénariste pour le petit puis le grand écran, Larry Cohen s'inscrit dans la liste des principaux artisans étasuniens, et autres parangons de la série B, assimilés aux genres horrifique et science-fictionnelle. Auteur de nombreux films d'exploitation, Larry Cohen a la première particularité d'avoir signé ses débuts au cinéma avec un des plus gros succès de la blaxpoitation,Black Caesar (1973) dont la postérité aura par la suite retenu la bande originale composée par James Brown (1). L'année suivante, le père de la non moins culte série tv, Les Envahisseurs (1967), réalise son premier long métrage fantastique avec It's Alive (Le monstre est vivant), Prix spécial du jury au Festival du film fantastique d'Avoriaz en 1975, et premier volet d'une future trilogie qui comptera rapidement une suite en 1978 (2).

Grand admirateur des œuvres de Raymond Chandler et des films noirs des années 40, par extension il signa plusieurs scénarios pour la série Columbo entre 1973 et 1974, Cohen fut recruté en 1981 pour écrire le scénario de l'adaptation de I, the Jury, premier roman de Mickey Spillane et premières aventures du célèbre détective privé Mike Hammer, avec Armand Assante dans le rôle-titre. Renvoyé en cours de production pour divergences, le futur réalisateur de The Stuff, jamais à court d'idées, lance dans la foulée son nouveau projet portnawak, Q, ou la renaissance par une secte du dieu aztèque Quetzalcoatl dans le New-York des années 80. Rien que ça.
  
La police de New-York doit résoudre une série de meurtres étranges depuis la découverte d'un laveur de vitres décapité après une chute de plusieurs centaines de mètres. Au même moment, les détectives Shepard (David Carradine) et Powell (Richard Roundtree) sont en charge d'une seconde enquête tout aussi insolite, un cadavre écorché de la tête au pied dans une chambre d'hôtel. Tandis que Shepard fait le lien entre cette victime et une série de meurtres rituels, Jimmy Quinn (Michael Moriarty), escroc minable qui participe au braquage d'une bijouterie, découvre au sommet du Chrysler Building l'existence d'un nid géant et de plusieurs cadavres...

   
Seconde production de Samuel Z. Arkoff (sans être crédité) pour Larry Cohen, dont la société Arkoff International Pictures finança par exemple les classiques Le corbeau (1963) de Roger Corman, La planète des vampires (1965) de Mario Bava, ou bien encore, dans le cas du réalisateur qui nous intéresse, la séquelle de Black Caesar, Casse dans la ville, Épouvante sur New-York, dans sa version française, s'apparente davantage à un hommage aux films de monstres des années 50 qu'à une opportuniste resucée du genre dans le sillage du King Kong de 1976 (clin d'œil détourné, après l'Empire State Building et les Twin Towers, on saluera la production d'avoir choisi le dernier gratte-ciel emblématique new-yorkais qu'est le Chrysler Building et une scène finale évoquant évidemment le funeste destin du roi Kong). Doté d'un budget des plus limités (un million de dollars environ), le film ne pouvait de toute façon nullement joué dans la même catégorie que le remake signé par la paire De Laurentiis / Guillermin, de là à se douter que Cohen userait de ficelles usées jusqu'à la corde en cachant la misère avec une intrigue secondaire des plus envahissantes. Quand l'ennui se confond avec la désagréable sensation de s'être fait duper.


Passé les quelques boulotages d'usage de new-yorkais par notre serpent volant géant (3), avec en prime une séance introductive gore, et un non moins sympathique et unique « plan nichon» proposé par madame Bobbie Burns, le constat est sans appel, l'histoire tourne à vide, Carradine tue le temps à dessiner des serpents volants sur son carnet, et le spectateur à compter les apparitions croquignolesque du dieu aztèque. On comprend dès lors les raisons qui ont poussé Cohen à développer plus que nécessaire l'histoire autour du personnage de Jimmy Quinn. Salué par les critiques de l'époque (dont Roger Ebert), la performance de Michael Moriarty (4) laisse aujourd'hui perplexe tant celle-ci s'accorde assez mal avec le matériau de base bisseux. Tour à tour brillant, tour à tour horripilant (surtout), Moriarty occupe, entre deux rares attaques reptiliennes, la majeure de l'espace au détriment de l'attendu cahier des charges, et de ses petits camarades de jeu ? Rien n'est moins sûr. Richard Roundtree attend son chèque, et David Carradine confirme son légendaire détachement / j'm'en foutisme (rayez la mention inutile), capable du meilleur, Le gang des frères James (1980) de Walter Hill, comme du pire ici présent, en attendant l'heroic-fantasy pouet-pouet Kaine le mercenaire (1984).

  
Comme évoqué plus haut, avec un budget aussi restreint, des acteurs diversement concernés, et une histoire à côté de la plaque, les effets spéciaux d'Épouvante sur New-York ne pouvaient décemment pas sauver un tel film. Créés par la paire David Allen (Hurlements, Willow) / Randall William Cook (la trilogie Le seigneur des anneaux), responsable du mésestimé Laserblast(on reconnait à l'écran leur style) et du talentueux Peter Kuran (Robocop, Beetlejuice), les trois spécialistes du genre font avec les moyens du bord. Pour amateurs de stop-motion. Dernière maigre consolation, le long métrage offre des vues aériennes soignées de New-York (5). On s'accroche à ce que l'on peut. C'est dire...

Un bel exemple de nanar foireux et de rendez-vous manqué.
   
A suivre...

En bonus : Quelques gifs du film sur notre tumblr.

Verdict du nanarotron :


Q (Épouvante sur New-York) | 1982 | 93 min
Réalisation : Larry Cohen
Scénario : Larry Cohen
Avec : Michael Moriarty, Candy Clark, David Carradine, Richard Roundtree, Eddie Jones, Mary Louise Weller
Musique : Robert O. Ragland
Directeur de la photographie : Fred Murphy
Montage : Armond Lebowitz
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(1) Un succès qui sera suivi par sa séquelle Hell Up in Harlem la même année avec toujours son quatuor d'acteurs, Fred Williamson, Gloria Hendry, Julius Harris et D'Urville Martin. A noter que la bande originale de Hell Up in Harlem fut cette fois-ci composé par Edwin Starr, auteur du hit War en 1970.

(2) Le premier film ne fut un succès qu'à partir de sa seconde sortie en 1977, expliquant ainsi les raisons qui poussèrent la séquelle à être tournée dans la foulée.

(3) Un Quetzalcoatl sans plume mais muni de pattes...

(4) Epouvante sur New-York marque le début de la collaboration entre Cohen et Moriarty qui jouera par la suite dans The Stuff, It's Alive III (La vengeance des monstres), et Les enfants de Salem (séquelle des Vampires de Salem).

(5) Hélicoptère piloté par piloté par un des as du métier Al Cerullo (on lui doit encore cette année celle du dernier Jason Bourne).

Funky front covers - Part X

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Jouez hautbois, résonnez musettes ! Elles sont de retour, chantons tous l'avènement de la dixième saison des Funky front covers ©, ou une fois encore, le meilleur du pire des pochettes les plus insolites ou sexuées des musiques funk, disco et consorts des années 70 et 80.

Commençons en douceur, et offrons à notre lectorat féminin en guise d'apéritif quelques conseils avisés en matière de mode capillaire eighties :

  

Cousine du grand Sam Cooke, Carolyn Strickland, plus connue sous le nom Carol Douglas, débuta dès l'âge de 15 ans sa carrière de chanteuse professionnelle en 1963 avec le single I Don't Mind (Being Your Fool). Dernier album de sa carrière (1), I Got Your Body pourrait apparaître de prime abord bien timoré, surtout pour ceux qui gardaient en mémoire le sémillant déshabillé de la dame en couverture de son précédent album Come Into My Life (1979). Erreur ! Le préposé en veut pour preuve la prestation de miss Douglas pour la télévision néerlandaise et son single You're Not So Hot. Premier album de Meli'sa Morgan, Do Me Baby (1986), du nom de sa reprise de la ballade de Prince, originellement sortie sur Controversy (1981), confirme au besoin la folie capillaire qui déferla sur les années 80. Version ultime de la choucroute gaufrée, miss Morgan offrait en quelque sorte une réponse à sa consœur Shannon et son electro-pouet-pouet sur son Do You Wanna Get Away (1985).

Des délires capillaires au mise en scène débridée, il n'y a qu'un pas... 

  

Troisième album de la formation Shalamar, introduisant par la même occasion le chanteur Howard Hewett, en remplacement de Gerald Brown, le bien nommé Big Fun (1979) poursuivait la fantaisie graphique de Disco Gardens. Encore plus débridé que leur précédent disque, Big Fun signait également le plus grand succès commercial de ce groupe emblématique du disco étasunien avec les tubes Right in the Socket ou Take Me to the River. Autre trio évoquant cette fois-ci une version féminine du Parliament de George Clinton, de par leur look carnavalo-science-fictionnel, le trio Stargard composé de Rochelle Runnells, Debra Anderson Janice Williams fit parler d'elles en 1977 avec un des tubes R&B de cette année What You Waitin' For, chanson éponyme de leur deuxième album. Dernier trio de notre exposé, Lady Flash, soit Debra Byrd, Lorraine Mazzola et Monica Burruss, fut le trio vocal et chœurs attitrés de Barry 'Copacabana' Manilow durant les années 70. Unique album des dames, avant que celles-ci ne se séparent, Beauties in the Night sorti en 1976 marquait également l'une des dernières collaborations avec Manilow, ce dernier faisant office pour ce disque de compositeur, producteur et arrangeur.  

Que ne serait les Funky front covers sans un florilège de nos plus beaux mâles avec cette année une spéciale fratrie! 

  

Auteurs du tube Never My Love pour le groupe The Association en 1967 pour leur album Insight Out, les Addrisi brothers purent à loisir profiter des royalties de cette bluette easy listening tant celle-ci fut reprises par une multitude de chanteurs et de musiciens : d'Astrud Gilberto à Grant Green, de David Hasselhoff à Billy Crawford ! Dix ans plus tard, Don et Dick remirent le couvert et les pieds dans la piscine pour leur second album éponyme, avec une version que n'auraient pas renié les frères Gibb. Musiciens pour Bobby Womack et Billy Preston, avant de se lancer dans une carrière en duo entre 1976 et 1988, les Brothers Johnson cassèrent littéralement la baraque en 1980 avec leur quatrième album, et dernière collaboration avec Quincy Jones qui les suivait depuis leurs débuts. Porté par leur tube Stomp!, ce disque qui déborde sans équivoque d'émotion lumineuse bien placée fut enregistré, pour la petite histoire, en même temps que le multi-platiné Off The Wall, qui non content d'avoir le même producteur, partageait également nombre de musiciens, Michael Jackson participant en sus aux chœurs et à l'écriture de This Had to Be. Quant aux amatrices et amateurs d'éphèbes permanentés tout de cuir vêtu, After Midnight des Valverde Brothers devrait réjouir les derniers récalcitrants ! A l'écoute de leur seul et unique album, et de leurs reprises disco du classique de J.J. Cale ou du Layla de Derek and the Dominos, on comprend très vite que le disque fut enregistré afin de profiter du succès de Santa Esmeralda...

Que la température monte d'un cran, que les t-shirts se pâment de volupté transparente, humide ou non...

  

Inconnue (à peu de chose près) en France, María del Rosario Mercedes Pilar Martínez Molina Baeza, dit Charo, incarna à partir des années 60 l'archétype de la starlette dans son pays d'adoption, les Etats-Unis, celle-ci multipliant les apparitions télévisuelles dans divers shows, dont celui d'Ed Sulllivan, jusqu'à obtenir l'ultime consécration avec pas moins de huit apparitions dans la série La croisière s'amuse. Mariée à 15 ans au maestro Xavier Cugat (de cinquante et un an son aîné), Charo se lança dix ans plus tard en 1977 dans une carrière solo. Accompagnée du  Salsoul Orchestra pour ses trois premiers albums, l'équivoque Cuchi-Cuchi marquait dès lors ses débuts discographiques. Caliente. Amorçant leur virage vers une musique davantage destinée aux clubs, avant de gagner le titre honorifique d'auteur de la première chanson rap avec King Tim III (Personality Jock), précédant de quelques mois le culte Rapper's Delight du Sugarhill Gang, Yum-Yum (1975) du Fastback band, mené par le batteur Bill Curtis, eut le bon goût d'éviter toute néfaste ambiguïté en ajoutant une innocente sucette afin de dissiper tout malentendu. En attendant le fameux postérieur évoqué lors de la première édition des FFC sur Night Fever un an plus tard. Your Love, premier album de la formation canadienne Lime, composée de monsieur et madame Denis & Denyse LePage : est-ce l'effet conjugué de la perruque, du chemisier transparent ou du pantalon rayé, la chanson éponyme propulsa toujours est-il le couple montréalais numéro 1 du top dance étasunien. Étonnant, non ?  
 
Dernier tour de piste, les corps se dévoilent... 

  

Avec cet unique album, Jungle Drums (1978), la paire Honey Simone / John Brown put séduire les amateurs d'exotisme en toc, et d'amours saphiques pourrait-on enchérir. Pas seulement, il suffisait pour cela de retourner ledit 33 tours des Wild Fantasy, et de découvrir par la même occasion un autre genre d'amitié somme toute plus virile. Second album du Charles Blackwell disco orchestra, Boogie Down ! (1978) jouait de nouveau la carte des corps dénudés après un Mess Around qui annonçait déjà la couleur deux ans plus tôt. Du constat premier que les filles sont décidément bien joueuses dès qu'il s'agit de se découvrir entre elles, on ne s'étonnera plus de remarquer que les rollers étaient dans les années 70 aussi un accessoire des plus érotiques, à l'image du 45 tours Get Up Get Down Your feet des producteurs Peter Yellowstone & Steve Voice, alias Carte blanche (huitième du nom !). 

En vous donnant déjà rendez-vous l'année prochaine pour une nouvelle saison des Funky front covers © !


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(1) A titre d'exemple, de ses six albums enregistrés entre 1975 et 1983, l'amateur éclairé de déviance musicale retiendra davantage la pochette pastel floral de son disque Full Bloom (1977) que sa reprise disco rancie des Doors, Light my Fire

Cris et chuchotements - Ingmar Bergman (1972)

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Présenté hors compétition au festival de Cannes en 1973, Cris et chuchotements d'Ingmar Bergman marqua durablement les esprits lors de sa sortie sur la scène internationale. Glanant de nombreuses récompenses durant ses trois premières années, du Grand prix technique à Cannes, à l'Oscar de la meilleure photographie pour le chef opérateur Sven Nykvist l'année suivante (1), au David di Donatello du meilleur film étranger accompagné d'un prix spécial pour la performance de ses quatre actrices, le long métrage soulignait, une fois encore, la place unique tenue par le cinéaste au-delà même des frontières suédoises. Portait brut de quatre femmes hantées par la mort, Bergman abordait dans Cris et chuchotements plusieurs de ses thèmes de prédilection avec un sens inégalé de l'esthétisme. Dans les salles depuis le 21 décembre dans une nouvelle version restaurée 2K, la ressortie du film offre un avant-goût de la prochaine rétrospective Bergman qui se tiendra à partir du 4 janvier 2017, où pas moins de douze longs métrages (2) du maître seront à (re)découvrir en version restaurée au cinéma.

Fin du 19ème siècle en Suède, quatre femmes sont réunies dans le manoir familial où l'une d'elle, Agnès (Harriet Andersson), se meurt d'un cancer. Entourée de ses deux sœurs, Karin (Ingrid Thulin) et Maria (Liv Ullman) qui se succèdent à son chevet, Agnès ne trouve qu'un semblant d'apaisement auprès de sa servante Anna (Kari Sylwan), avec qui elle entretient une relation privilégiée. La proximité qui s'est installée entre les femmes fait resurgir en chacune d'elles de vieux souvenirs…
 

A l'instar de PersonaCris et chuchotements s'inscrit dans ce même élan de liberté créative, Bergman allant de son propre aveu aussi loin qu'il le pouvait. Offrant une place prédominante et une confiance absolue en ses actrices, les « muses bergmaniennes » Harriet Andersson, Liv Ullmann et Ingrid Thulin, et la nouvelle venue Kari Sylwan, le cinéaste s'émancipe donc une fois encore, en rejetant les méthodes de travail qu'il avait précédemment utilisées. D'un scénario transformé en partition musicale libertaire dans Persona, celui de Cris et chuchotements trouve son origine, comme souvent chez Bergman, dans une vision faite trois ans auparavant, dans laquelle il vit trois femmes en blanc qui chuchotaient dans une pièce rouge. A partir de cette esquisse, le réalisateur livra une série de lettres envoyées à ses acteurs dans lesquelles il décrivit ses rêves. Tour à tour imprégné par la psychanalyse jungienne et par les propres souvenirs du cinéaste, le film se donne à voir comme une succession de tableaux construit autour de voix off et d'apparentés flashbacks centrés sur chacun des personnages féminins, ces derniers à l'image du titre antagoniste du film jouant avec l'ambiguïté de ces situations situées entre le rêve, le fantasme et le passé (on pourra juste regretter que contrairement à ses précédents films l'aspect irréel ou fantastique n'ait pas été davantage développé).


Filmé au manoir de Taxinge-Näsby, décor principal du film, dont les murs furent entièrement repeints en rouge pour les besoins du tournage (3), Cris et chuchotements se distingue également par la douceur de sa mise en scène, en contrepoint à la violence des rapports amour/haine entre les personnages et l'omniprésence de la mort qui rode, et ce même après le décès d'Agnès. De la virtuosité des costumes au travail d'orfèvre du directeur de la photographie, Sven Nykvist, répondant au choix difficile du réalisateur de filmer uniquement en lumière naturelle, le long métrage offre tout un panel de contemplation : variation subtile des lumières, en particulier sur les visages des actrices, omniprésence de certaines couleurs dont le rouge, jeu avec les ombres. 

Dernière collaboration du réalisateur de Monika avec son interprète Harriet Andersson, Cris et chuchotements est sans doute le film le plus bergmanien de son auteur. Peinture des plus violentes de la condition féminine, le cinéaste dresse un constat sans appel et sans complaisance vis à vis des conventions sociales et des conséquences dramatiques de l'éducation rigoriste.

Radical.





Crédits photos : CRIS ET CHUCHOTEMENTS © 1973 AB SVENSK FILMINDUSTRI. Tous droits réservés.


Viskningar och rop (Cris et chuchotements) | 1972 | 91 min
Réalisation : Ingmar Bergman
Production : Lars-Owe Carlberg
Scénario : Ingmar Bergman
Avec : Harriet Andersson, Kari Sylwan, Ingrid Thulin, Liv Ullmann, Erland Josephson, Georg Åhrlin, Henning Moritzen
Son : Owe Svensson
Directeur de la photographie : Sven Nykvist
Montage : Siv Kanälv-Lundgren
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(1) Le film fut également nominé à l'Oscar du meilleur film, du meilleur réalisateur, meilleur scénario original et meilleurs costumes, faits rares pour un long métrage étranger tourné en langue non anglophone.

(2) soit Musique dans les ténèbres, La prison, Jeux d'été, Monika, Sourires d'une nuit d'été, Le septième sceau, Les fraises sauvages, La source, Les communiants, Persona, Scènes de la vie conjugale et Sonate d’automne

(3) Pratiquement en état de délabrement avant le tournage, le manoir est désormais une attraction touristique. 

Brigitte Lahaie, Le Disque de Culte - Alain Goraguer (2016)

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Rappel des faits. En octobre 2015, Cédric GrandGuillot et Guillaume Le Disez lancent leur projet de livre consacré, dixit les auteurs, « aux exploits cinématographiques de Brigitte Lahaie ». Projet mûri depuis deux ans, la paire souhaitait rendre un hommage appuyé, et jusqu'à présent inédit, à l'icône de l'âge d'or du cinéma pornographique hexagonale, ainsi qu'à sa carrière dans le cinéma bis (chronique à venir). En supplément de cette annoncée bible, était également prévu lors de la première campagne de financement participatif le pressage d'un vinyle inédit comportant une sélection de musiques composées par Alain Goraguer, pour les films La Rabatteuse et Auto-stoppeuses en chaleur, tous deux signés par Burd Tranbaree alias Claude Bernard-Aubert, ou l'un des trois grands réalisateurs de films X des années 70 en France avec Gérard Kikoïne et José Bénazéraf. Septembre 2016, le duo lance une seconde campagne de financement principalement axée sur le disque, ce dernier devant comporter désormais onze morceaux inédits, numérisés, restaurés et remastérisés pour l'occasion, tous issus cette fois-ci de six films de Burd Tranbaree avec Brigitte Lahaie. 

La loi X (n°75-1278) du 30 décembre 1975 publiée au Journal officiel et mise en application le 1er janvier 1976 relégua les films pornographiques dans des salles spécialisées, les excluant par voie de fait des circuits de distribution traditionnel. Cerise sur le gâteau fiscal, ces films étaient désormais soumis à une TVA majorée (de 33 % contre 17,6 %), plus 20 % sur les bénéfices (pour soutenir les films dits « de qualité »), l'importation des films étrangers se voyant également prohibée par l'instauration d'une taxe forfaitaire de 300 000 francs. Attribué par une « commission du classement des œuvres cinématographiques » dépendante du ministère de la Culture, le classement X avait donc pour rôle de triller le (supposé) bon grain cinématographique de l'ivraie pornographique (1), et de participer ainsi activement, ni plus, ni moins, à la ghettoïsation d'un genre qui avait connu son heure de gloire sur tous les écrans français entre 1974 et 1975. Dont acte. Tandis que le nombre de salles spécialisées chute irrémédiablement entre 1975 et 1981, de 200 en 1975 à 136 en 1976 et 72 en 1981, certains professionnels du X, à défaut de pouvoir organiser une véritable résistance (2), vont paradoxalement composer avec ces contraintes nouvelles pour développer ce que l'on nommera l'âge d'or du cinéma X, à l'image du fondateur de la société Alpha France, Francis Mischkind (3).

Réputés pour leur production soignée, les longs métrages Alpha France verront l'émergence de nouveaux réalisateurs, tel Gérard Kikoïne, ou d'autres venus des circuits classiques à l'instar de Claude Bernard-Aubert, réalisateur de L'Affaire Dominici avec Jean Gabin dans le rôle titre en 1973, qui suite à l'annulation d'un de ses films en 1976 fut ruiné, et se lança dans la mode du cinéma X pour éponger ses dettes. Or tout en considérant, du moins à l'époque, ses films comme seulement de "très bons produits de consommation" (ces derniers s'inscrivant parmi les meilleures productions de la société de Francis Mischkind), le dénommé Burd Tranbaree n'avait pourtant nulle tendance à cacher un quelconque dilettantisme de la part de Claude Bernard-Aubert. Au contraire, en dépit d'un manque de moyens avérés, le réalisateur de Nuits brûlantes soignait la technique, et travaillait par exemple avec le même monteur et le même compositeur que pour ses autres films, soit respectivement Gabriel Rongier et Alain Goraguer sous les pseudonymes Roger Brigelain et Paul Vernon.

Alain Goraguer, arrangeur de Bobby Lapointe et de Serge Gainsbourg de la fin des années 50 au mitan des années 60, auteur de la bande originale du culte La Planète Sauvage de René Laloux, signa ainsi l'intégralité des musiques de Tranbaree (on lui doit également les musiques des films X de Serge Korber, sous le pseudonyme John Thomas, ou d'Alain Nauroy, sous le pseudonyme  Lino Ayranu). Avec le même professionnalisme et la même application que son partenaire réalisateur (4), Goraguer devint une figure incontournable du paysage X. Compositions célébrant le chic du porno de ces années dorées nourries au groove du jazz funk, celles-ci se démarquaient notablement des habituelles « musiques au mètre » généralement d'usage pour ce genre de production à budget limité.

Avec ses onze morceaux tirés de six films différents dont Parties de chasse en Sologne (1979) (aka La grande mouille lors de son exploitation en salles, puis renommé par Francis Mischkind pour sa ressortie en VHS), Brigitte Lahaie, Le Disque de Culte compile, à l'exception des deux extraits provenant de La Perversion d'une jeune mariée (Excès pornographiques) (1977) et Esclaves sexuelles sûr catalogue (Sarabande porno) (1977) le meilleur du compositeur pour Alpha France (précision : si les deux films cités ne furent pas exploité dans les salles par Alpha France, ils le furent par la suite en vidéo par Francis Mischkind), dont une face B entièrement consacrée à La rabatteuse. Du très groovy Denise se fait prendre en stopà l'évanescent funky L'ouvreuse fait son cinéma, la compilation offre donc un large éventail du talent de Goraguer/Vernon, ce dernier n'hésitant pas au besoin à ouvrir d'autres portes musicales, des ambiances carnavalo-brésilienne du Disco symphonie en rut majeur aux expérimentations électroniques de Marianne, la grande jouisseuse.

Un disque rare (5) et un objet précieux (6).





  
 
Titres :

Face A (16'36") : 01. Le journal intime de Marie-Christine (La Perversion d'une jeune mariée) / 02. Denise se fait prendre en stop (Auto-stoppeuses en chaleur) / 03. Chassez le naturel... (Parties de chasse en Sologne) / 04. Brigitte, femme libérée (Esclaves sexuels sur catalogue) / 05. Fièvres nocturnes pour Marianne (Nuits brûlantes) - 06. Marianne, la grande jouisseuse (Nuits brûlantes)

Face B (16'31") : 01. La Comtesse se dévergonde (La rabatteuse) / 02. Plaisir partagé d'une rencontre impromptue (La rabatteuse) / 03. Jocelyne et l'hôtesse s'envoient en l'air (La rabatteuse) / 04. L'ouvreuse fait son cinéma (La rabatteuse) / 05. Disco symphonie en rut majeur (La rabatteuse)
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(1Les films jugés incitant à la violence n'étaient plus seulement interdits au moins de 18 ans mais également classés X.

(2) A défaut de résistance, les professionnels joueront plutôt au chat et à la souris avec les censeurs en leur donnant des copies expurgées faites spécialement pour la commission. Un faux jeu de dupe, du moins jusqu'en 1981, car les censeurs étaient au fait de ces pratiques, mais acceptaient ces contournements à la règle tant l'industrie du X rapportait des sous aux caisses de l'Etat...


(3) Autre figure incontournable de cette époque, Jean-François Davy, dont les productions "contrairement aux pornos de luxe distribués par Alpha France", apparaissaient davantage comme "des séries B classées X, aux microbudgets" comme l'indique le spécialiste Christophe Bier.

(4) On peut lire dans le livre de Cédric Grand Guillot et Guillaume Le Disez à propos de l'application de Bernard-Aubert et Goraguer que "le mixage sonore d'un film X pouvait prendre jusqu'à quatre jours où un film classique en prenait cinq".

(5) Rare dans tous les sens du terme car il ne sera ni repressé ni commercialisé par la suite, et qui aurait gagné à bénéficier de plus de titres !

(6) Le vinyle est richement doté de quelques photos sulfureuses... dont où l'on reconnait sa consœur Karine Gambier.
 

Brigitte Lahaie les films de culte - Cédric GrandGuillot Guillaume Le Disez (2016)

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Résumé de l'épisode précédent : octobre 2015, assurés du soutien de Brigitte Lahaie, Cédric Grand Guillot et Guillaume Le Disez se lancent dans le projet inédit de raconter la carrière cinématographique de l'icône du cinéma d'exploitation hexagonal, de ses jeunes années Xà sa carrière dans le bis européen de la fin des années 70 au mitan des années 2000. Après deux collectes réussies sur une plateforme de financement participatif (la seconde étant consacrée principalement à la réalisation de la nouvelle mouture du Disque de culte), et un passage remarqué au Forum des Images lors du Festival du Film de Fesses les 22 et 23 juin 2016, où un hommage à Brigitte Lahaie fut organisé par Cédric Grand Guillot et Guillaume Le Disez (1), le projet se concrétisa fin de l'année 2016 avec la sortie du livre tant attendu.

Deux kilos deux cent trente grammes sur la balance, trois cent cinquante-deux pages au compteur pour plus de cinq cent photos (2), Brigitte Lahaie, les films de culte a tout d'une bible. D'un contenu centré sur l'icône Brigitte Lahaie, le livre n'en demeure pas moins un précieux témoignage d'une époque à jamais révolu, que l'on soit fan ou non de la dame. Actrice de plus d'une centaine de films, dame Brigitte imposa sa sculpturale présence dans à peu près tous les genres que comptaient le cinéma d'exploitation des années 70-80, en marge des grosses productions, la sexploitation bien évidemment hard ou softcore, mais également le cinéma fantastique en devenant la muse du réalisateur Jean Rollin (on y reviendra), plus d'autres apparitions diverses et variées comme sa collaboration avec la société familiale Eurociné de Marius Lesoeur (3), sa parenthèse policier hard boiled dans L'exécutrice (1985) de Michel Caputo (4), sans oublier sa rencontre avec René Château, qui produira Les prédateurs de la nuit (1988) réalisé par Jess Franco.   



De cette louable ambition de nous faire découvrir les faits marquants de la filmographie de Brigitte Lahaie, vingt-six films auront ainsi droit à une attention toute particulière, avec à chaque fois la présentation de « La scène culte », les deux auteurs font, n'hésitons pas à l'écrire, acte de salubrité bis. De ses débuts dans le cinéma pornographique en février 1976 (elle répondit à une annonce qui, sous couvert de rechercher un mannequin à forte poitrine, recherchait en fait une jeune femme pour filmer des inserts hard), ces derniers coïncidant avec l'année de l'application de la loi n°75-1278, le livre a la judicieuse de rappeler l'historique du X français, de l'avant à l'après 1975, jusqu'à la fin de l'âge d'or du X hexagonal. Riche en témoignages des personnalités du métier qui ont croisé son chemin, tel Gérard Kikoïne ou Burd Tranbaree, le livre aborde également les conséquences qu'auront sur la profession l'instauration de ladite loi, et la réponse des professionnels de l'époque en décrivant les spécificités techniques de ce cinéma de genre très particulier.

Avec les confidences de la première intéressée, Brigitte Lahaie, les films de culte offre un aperçu intentionnellement subjectif, mais toutefois représentatif, de la filmographie de « notre actrice la plus culte », selon les propres mots des auteurs. De ses premiers pas à son arrêt du X en 1980 après Les petites écolières de Claude Mulot, le livre, comme énoncé en préambule, dresse également le portrait d'un cinéma d'exploitation protéiforme dont la figure de Jean Rollin apparait, sinon indissociable, du moins liée à ses débuts d'actrice. L'histoire est connue des initiés. Une première fois croisée dans Vibrations sexuelles (1976), soit un des nombreux films pornographiques alimentaires du réalisateur de Requiem pour un vampire, signé de son habituel pseudonyme Michel Gentil, Jean Rollin resta en contact avec Brigitte, lui envoyant de temps en temps des cartes postales lui rappelant son envie de tourner ensemble un film fantastique. Deux ans plus tard, il lui proposa un rôle dans les Raisins de la mort (1978), premier film gore français, puis l'année suivante dans Fascination, où dame Brigitte troque son drapée blanc et ses deux molosses (en référence au personnage incarné par Barbara Steele dans le culte Masque du démon de Mario Bava), pour un drapé noir et une faux. Deux films, deux scènes cultes qui resteront à jamais gravées dans l'inconscient collectif des amateurs de bis. Suivrons d'autres collaborations dont La nuit des traquées (1980), et deux apparitions amicales dans Les deux orphelines vampires (1997) et La Fiancée de Dracula (2002).


D'une seconde moitié consacrée à sa carrière post-X, Brigitte Lahaie, les films de culte laisse par contre, au corps défendant des auteurs et de leur idole, une impression en demi-teinte, sa reconversion n'ayant pas été à la mesure de son désir de poursuivre une carrière classique, qu'elle mit en pause à la fin de la décennie 80. Face à la frilosité ou l'indifférence des professionnels du cinéma traditionnel, cantonnée à des rôles dans des films érotiques anecdotiques, et des apparitions sexy dans les sempiternelles comédies franchouillardes 80's, les auteurs nous faisant grâce de celles signées par Richard Balducci et consorts (N'oublie pas ton père au vestiaire..., Te marre pas... c'est pour rire!), dame Brigitte put néanmoins compter sur l'appui de quelques pointures et franc-tireurs au cours de la décennie, dont sa rencontre avec le fameux producteur/réalisateur suisse Erwin C. Dietrich et donc celle avec René Château (5), qui prendra en main sa carrière au mitan des années 80, pour le meilleur (il réédita en VHS l'intégralité de ses films Alpha France, créant pour elle la collection « Les grands classiques du X »), et pour le pire (difficile de prétendre que les Prédateurs de la nuit soit une réussite). Enfin, Cédric Grand Guillot et Guillaume Le Disez n'oublient pas d'évoquer les OFNIS de sa filmographie, le premier, un vrai, ADN, le dernier homme (1983) d'Ali Borgini, film fantastique maudit et inachevé, et le second, par son incongruité dans la filmographie bis de la dame, Les volets bleus d'Haydée Caillot, film produit par les Films du Losange pour la chaîne La Sept/Arte.

A ceux qui douterait finalement du bien fondé de l'entreprise et du statut culte attribué à Brigitte Lahaie, la dernière partie du livre s'intéresse à l'étude de la « légende Brigitte », dont les auteurs actent la naissance à la publication de son autobiographie, Moi, la scandaleuse, et son passage dans la foulée à l'émission phare d'Antenne 2 présenté par Bernard Pivot, Apostrophes, en 1987. Icône des productions érotiques et pornographiques durant les décennies 70-80, l'actrice devint dès lors aux yeux du grand public l'incarnation d'une « liberté sexuelle », les médias se rappelant au bon souvenir de son passé « sulfureux » au titre d'intervenante sur la sexualité, future transition à sa carrière d'animatrice radio à partir de 2001.

Un DVD bonus est inclus dans le livre avec la master-class du 23 juin 2016 (6).

Salutaire (7).



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(1) Le 22 juin, le film Erotica, inédit en salles fut projeté avec Brigitte Lahaie et Richard Allan, tandis que le lendemain, une rencontre prenant la forme d'une master-class fut organisée avant la projection de Prisonnières de l'île aux rats (Gefangene Frauen) d'Erwin C. Dietrich en version intégrale.

(2) Photos à caractère exclusivement érotique. Le livre est interdit au moins de 16 ans.

(3) A découvrir absolument le documentaire Eurociné 33 Champs-Elysées de Christophe Bier consacré à cette société de production unique dans le paysage hexagonal à qui l'on doit le culte Horrible docteur Orlof de Jess Franco, mais aussi Le lac des morts-vivants signé Jean Rollin sous le pseudonyme J.A. Lazer.

(4) Michel Caputo, réalisateur de nombreux films pornographiques dans les années 70-80 sous le pseudonyme Michel Baudricourt, et également coupable de la comédie Arrête de ramer, t'attaques la falaise !, sommet de la comédie foutraque.

(5) René Château a géré la gestion de l'image de Jean-Paul Belmondo de 1967 jusqu'au mitan des années 80, participant activant à la construction du mythe Bébel.

(6) Un DVD dont la fonction bonus n'est pas usurpé, le documentaire annoncé est en fait la master-class, avec une prise de son totalement infecte. Quant aux interviews et bande-annonces promises (celles que l'on peut voir sur la chaîne Youtube, Brigitte Lahaie, les films de culte), elles sont présentées durant ladite master-class et non dans le menu du DVD. Grosse déception.

(7) Dommage que le livre n'évoque pas la chanson Caresse tendresse (1987) composée par Claude Lemesle (vieux briscard ayant écrit pour Carlos, Douchka et Julio Iglesias pour qui il a écrit, excusez du peu, Je n'ai pas changé) et Mat Camison.

Chien enragé (Nora inu) - Akira Kurosawa (1949)

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Après une première rétrospective en mars de l'année dernière, qui voyait le passage en salle de pas moins de huit films en version restaurée (1) du maitre japonais Akira Kurosawa, dont les classiques Le château de l'araignée (1957), Les salauds dorment en paix (1960) et Yojimbo (1961), Carlotta complète ce premier cycle entamé avec huit nouveaux films (2) couvrant de nouveau trois décennies, des inédits Le plus dignement (1944) et Un merveilleux dimanche (1947) à Barberousse (1965).

De cette impressionnante filmographie débutée à l'âge de 25 ans au titre d'assistant-réalisateur pour la Toho, Chien enragé, second film de Kurosawa réalisé en 1949, fut longtemps considéré comme un classique oublié. Sorti deux ans avant le début de sa reconnaissance internationale avec le Lion d'or à la Mostra de Venise pour son film suivant, Rashōmon, ce film noir teinté de néoréalisme s'inscrit aujourd'hui ni plus, ni moins comme son premier chef d'œuvre. A (re)découvrir dans les salles à partir du 25 janvier.
  
Japon, été 1949. Le jeune inspecteur Murakami (Toshirô Mifune) se fait voler son arme de service par un pickpocket dans un autobus. Rongé par la culpabilité, il donne sa démission à son supérieur qui la refuse. Murakami décide dès lors d'enquêter lui-même en traînant dans les bas-fonds de Tokyo, où il découvre l'existence d'un trafic d'armes volées. Apprenant que son colt a servi à tuer une femme innocente, il est chargé par son supérieur d'assister le commissaire Sato (Takashi Shimura) en charge de retrouver le coupable. En interrogeant un trafiquant d'armes, ils apprennent que le criminel qu'ils recherchent n'est autre qu'un ancien soldat démobilisé dénommé Yusa (Isao Kimura)...

 
Troisième long métrage d'Akira Kurosawa avec son acteur fétiche Toshirô Mifune (ils tourneront ensemble seize films en dix-sept ans), Chien enragé poursuit la mue engagée par le cinéaste une année plus tôt avec L'ange ivre. D'une forme proche du film noir américain (Kurosawa indiquera s'être inspiré entre autre du classiquede Jules Dassin Naked City), avec son montage nerveux, ses personnages type et son atmosphère oppressante, Chien enragé appartient à la catégorie rare des films hybrides. A la croisée de multiples influences, d'un univers fortement dostoïevskien (le thème du double, récurrent chez Kurosawa, est symbolisé par les deux personnages Murakami et Yusa, soldats démobilisés aux trajectoires opposées) et d'un scénario tiré d'un roman écrit par le réalisateur lui-même à la manière de Georges Simenon, le film dépasse bien vite le simple cadre du film de genre. Marqué par les précurseurs du néoréalisme italien, le réalisateur livre un regard critique, sans concession, sur la société japonaise d'après-guerre. Insalubrité, prostitution, trafics en tous genre, le film ne fait nul ombrage de la situation des quartiers défavorisés de la capitale nippone. Point d'orgue de ce portrait au réalisme saisissant, la scène clef, d'une durée de presque dix minutes, qui montre le jeune détective déguisé en sans-abri errer dans les rues à la recherche de son arme (3).

Long métrage marquant la première collaboration d'Akira Kurosawa avec Ryûzô Kikushima (il signera par la suite les scénarios de nombreux classiques du réalisateur dont Le château de l'araignée, Yojimbo ou Les salaudsdorment en paix), Chien enragé compte également sur la présence d'un autre fidèle du cinéaste, Takashi Shimura (vingt et un films ensemble : de La légende du grand judo, premier long métrage officiel de Kurosawa, à Kagemusha, l'ombre du guerrier). Composant avec Mifune, l'archétype du duo de policiers, le jeune inspecteur idéaliste et le vieux détective, les deux acteurs reforment un duo, après leur première rencontre dans L'ange ivre, où chacun livre une prestation à la mesure des attentes du cinéaste. D'une rare authenticité (Kurosawa prend un soin particulier à décrire par exemple le travail de la police scientifique), fort d'une mise en scène au cordeau et d'une photographie inspirée, le film surprend encore aujourd'hui par sa modernité.

Augurant avec dix ans d'avance, Les salauds dorment en paix, un autre classique hybride du maitre japonais, Chien enragé s'inscrit parmi les grands films de son auteur.





Crédits photo : CHIEN ENRAGÉ © 1949, TOHO Co., Ltd. Tous droits réservés.


Nora inu (Chien enragé) | 1949 | 122 min
Réalisation : Akira Kurosawa
Scénario : Ryûzô Kikushima, Akira Kurosawa
Avec : Toshirô Mifune, Takashi Shimura, Keiko Awaji, Eiko Miyoshi
Musique :Fumio Hayasaka 
Directeur de la photographie : Asakazu Nakai
Montage : Toshio Gotô, Yoshi Sugihara
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(1) Qui marche sur la queue du tigre… (1945), Je ne regrette rien de ma jeunesse (1946), Vivre dans la peur (1955), Le château de l'araignée (1957), Les bas-fonds (1957), Les salauds dorment en paix (1960), Yojimbo (1961), Entre le ciel et l'enfer (1963).

(2) Le plus dignement (1944), Un merveilleux dimanche (1947), L'ange ivre (1948), Chien enragé (1949), Vivre (1952), La forteresse cachée (1958), Sanjuro (1962) et Barberousse (1965).

(3) Pour cette séquence, Kurosawa a utilisé des plans provenant d'un documentaire réalisé par Ishirô Honda, futur réalisateur de Godzilla.
 

La forteresse cachée - Akira Kurosawa (1958)

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Dans le cadre de la seconde rétrospective (1) consacrée à Akira Kurosawa débutée le 25 janvier dernier, il est désormais possible de (re)voir sur grand écran en copie restaurée La forteresse cachée, premier film au format panoramique du cinéaste, et lauréat de l'Ours d'argent du meilleur réalisateur au festival de Berlin en 1959. Succès critique et populaire lors de sa sortie, le film laissait le cinéaste quitter momentanément l'univers sombre et pessimiste de ses précédentes adaptations qui lui valurent des échecs commerciaux, Le château de l'araignée et Les Bas-Fonds (2), pour aborder un sujet plus léger et à grand spectacle de son propre aveu. D'une histoire originale se situant dans le Japon féodal du 16ème siècle, La forteresse cachée eut un impact notable sur le cinéma mondial tant sa réalisation et le traitement de son sujet étaient novateurs, une influence qui dépassa les frontières et les époques, à l'instar d'un certain George Lucas qui s'en inspira pour créer sa trilogie Star Wars. A (re)découvrir.
 
Japon, 16ème siècle. La guerre opposant les clans Yamana et Akizuki s'est conclue par la défaite de ce dernier. Tahei (Minoru Chiaki) et Matashichi (Kamatari Fujiwara), deux paysans pauvres et querelleurs cherchent à contourner la ligne de front pour retourner chez eux. Après s'être échappés du château des Akizuki où ils étaient emprisonnés et forcés à retrouver le trésor de 5 000 pièces d'or du clan vaincu, les deux hommes découvrent dans une rivière un morceau d'or dans une branche d'arbre. Peu de temps après, ils font la rencontre d'un homme dont ils ignorent la véritable identité, qui n'est autre que le général Rokurota Makabe (Toshirô Mifune), l'un des derniers survivants des Akizuki, et en charge de la protection de la Princesse Yuki Akizuki (Misa Uehara), héritière du clan...
    
  
D'un scénario évoquant Les Hommes qui marchèrent sur la queue du tigre, réalisé par Akira Kurosawa en 1945 (3), inspiré de l'histoire vraie au 12ème siècle du seigneur Minamoto no Yoshitsune qui accompagné de ses samouraïs dut fuir Kyoto et les hommes de son demi-frère Yoritomo désormais à la tête du clan familial, le metteur en scène japonais signe avec La forteresse cachée une fresque épique d'une richesse rarement égalée. Tourné en grande partie en décors naturels, ce premier film du réalisateur des Sept samouraïs au format large anamorphosé, plus précisément en TohoScope du nom du studio nippon, confirme une fois encore sa maîtrise visuelle unique : objectifs de longue focale, caméras multiples, format large, toutes ces techniques confèrent à rendre certaines scènes des allures de véritables tableaux, Akira Kurosawa exploitant au maximum les possibilités offertes par la profondeur de champ ou le nouveau format (par exemple lors de la scène du duel entre les deux généraux Makabe et Tadokoro). 

De même, La forteresse cachée conforte le soin particulier qu'apportait le cinéaste à ses scénarios. Derrière une apparente simplicité, ou le périple d'une princesse accompagnée d'un fidèle général et deux paysans devant traverser les lignes ennemies pour pouvoir rejoindre leurs terres, l'histoire entrecroise avec brio les genres et les niveaux de lecture. Film d'aventure mêlant action et humour, le scénario écrit à huit mains (Hideo Oguni, Shinobu Hashimoto et Ryûzô Kikushima ont coécrit avec le réalisateur le scénario du Château de l'araignée, tandis que les deux premiers sont également les coauteurs de celui des Sept samouraïs) alterne autant les moments burlesques que dramatiques. A ce titre, les deux paysans apportent une touche de légèreté manifeste, leurs nombreuses disputes, motivées ou non par leur cupidité et leur lâcheté, les définissent par essence comme des personnages comiques ; manipulés par le noble général Rokurota Makabe, qui utilise leur soif de l'or pour transporter le trésor du clan en lieu sûr, Tahei et Matakishi pourraient apparaître rapidement comme de simples bouffons. Or ils n'en demeurent pas moins dangereux du fait de leur faiblesse et pauvreté : peu digne de confiance, sans illusion, ils sont prêts à tout moment à s'enfuir avec le trésor ou à dénoncer leurs camarades de fortune. Moderne par son traitement narratif où nul personnage est blanc ou noir, La forteresse cachée l'est également par l'introduction du personnage de la princesse Yuki. Féministe avant l'heure, l'héritière Akizuki, qui fut élevée comme un garçon par son père, lutte pour la survie de son clan, n'hésitant pas à remettre en cause les traditions paternalistes comme le sens de l'honneur et du sacrifice de ses sujets. 

 
Comme indiquée en préambule, si le film eut une influence manifeste par la suite, La forteresse cachée, contrairement àYojimbo ou aux Sept samouraïs, n'a pas connu d'adaptation directe en Europe ou Outre-Atlantique. Quant au rôle que joua le chef d'œuvre de Kurosawa sur George Lucas, ce dernier eut l'intelligence de s'en inspirer en transposant plusieurs éléments sans effectuer de copier-coller. Au-delà de l'histoire qui rappelle le film de 1977, Lucas indiqua maintes fois s'être davantage inspiré des deux paysans comme source des deux droïdes C-3PO et R2-D2, le récit dans les deux films étant vu par les personnages les plus faibles ; et une influence qui touchera toutefois l'ensemble de la trilogie, la poursuite à cheval du général Makabe évoquant étrangement une autre poursuite en speeder sur Endor dans Le Retour du Jedi (1983)...
  
Un classique.






Crédit photos : LA FORTERESSE CACHÉE © 1958, TOHO Co., Ltd. Tous droits réservés.


Kakushi-toride no san-akunin (La forteresse cachée) | 1958 | 139 min
Réalisation : Akira Kurosawa
Scénario : Ryûzô Kikushima, Hideo Oguni, Shinobu Hashimoto & Akira Kurosawa
Avec : Toshirô Mifune, Misa Uehara, Minoru Chiaki & Kamatari Fujiwara
Musique : Masaru Satô
Directeur de la photographie : Kazuo Yamazaki
Montage : Akira Kurosawa
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(1) Le plus dignement (1944), Un merveilleux dimanche (1947), L'ange ivre (1948), Chien enragé (1949), Vivre (1952), La forteresse cachée (1958), Sanjuro (1962) et Barberousse (1965).

(2) Ces deux films étaient inclus dans la première rétrospective de mars 2016 avec : Qui marche sur la queue du tigre… (1945), Je ne regrette rien de ma jeunesse (1946), Vivre dans la peur (1955), Les salauds dorment en paix (1960), Yojimbo (1961), Entre le ciel et l'enfer (1963).

(3) Censuré par les autorités d'occupation américaines, le film ne sortit que sept ans plus tard, soit une année après le Traité de San Francisco (ou Traité de paix avec le Japon) provoquant la fin de l'administration militaire des forces alliées (SCAP) qui était chargée de gérer l'occupation de l'archipel.


Barberousse - Akira Kurosawa (1965)

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Deuxième volet de sa trilogie dite « de la misère », après Les Bas-Fonds (1957) et avant Dodes'ka-den (1970), Barberousse signe la fin de la collaboration entre Akira Kurosawa et son acteur fétiche Toshirô Mifune, long métrage pour lequel Mifune remporta la Coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine à la Mostra, quatre années après sa première récompense à Venise en 1961 pour Yojimbo également réalisé par Kurosawa. Adaptation du roman éponyme de l'écrivain Shûgorô Yamamoto (1) et de Humiliés et offensés de l'écrivain russe Dostoïevski, ou l'une des influences majeures du cinéaste japonais, Barberousse parachève la fin d'un cycle initié vingt ans auparavant, le film marquant l'arrêt d'une période d'intense productivité pour Akira Kurosawa, le réalisateur japonais tournant quasiment au rythme d'un film par an depuis La Légende du grand judo en 1943 (vingt-quatre films en vingt-deux ans). A (re)découvrir dans les salles en copie restaurée depuis le 25 janvier.    

Tokyo, quartier de Koishikawa, début du 19ème siècle. Le jeune docteur Noboru Yasumoto (Yûzô Kayama) vient de finir de brillantes études de médecine dans une école hollandaise à Nagasaki, et se prépare à être affecté au poste prestigieux de médecin personnel du Shogun. Contre toute attente, il est nommé dans un dispensaire d'un quartier défavorisé de la capitale tenu par le docteur Kyojio Niide (Toshirô Mifune), surnommé Barberousse à cause de la couleur de sa barbe. Se sentant rabaissé, Yasumoto refuse dans un premier temps d'exercer la médecine dans l'espoir d'être renvoyé. Mais la personnalité de Barberousse, un homme à l'apparence sévère mais plein de compassion et entièrement dévoué à ses patients, et les patients qu'il va croiser, tous victimes de la misère sociale et humaine, lui ouvrent les yeux et remettent en question ses aspirations et sa responsabilité de médecin...


Film-fleuve de plus de trois heures, d'un premier chapitre centré sur Yasumoto, personnage principal du film (bien que le titre laisse présager le contraire), de sa rébellion à sa « rédemption », à un second chapitre basé sur la renaissance physique et morale de la jeune Otoyo (Terumi Niki) sauvée par Barberousse d'une maison close (segment inspiré par l'œuvre précitée de Dostoïevski), Barberousse a la caractéristique première d'être ainsi divisé en deux parties distinctes, séparées par un entracte musical. A l'instar de L'ange ivre ou Chien enragé qui s'inspiraient de l'histoire contemporaine du Japon d'après-guerre, le cinéaste ne cache rien de la misère sociale qui touchaient les quartiers miséreux de la capitale nippone au 19ème siècle. De ce constat brutal sans misérabilisme, le long métrage s'éloigne toutefois du pessimisme des précédents films signés par Kurosawa de par son message humanitariste.

Bonté, sens du sacrifice, par-delà son aspect rustre et froid, Barberousse est dépeint comme un personnage de contraste, n'hésitant pas à défier l'autorité, voire même à user de violence si besoin, pour aider les plus faibles ; Toshirô Mifune qui interprète de nouveau une figure tutélaire non-conformiste, comme il avait déjà pu l'incarner trois ans plus tôt dans la suite de Yojimbo, tandis qu'à l'opposé, Yasumoto, joué par Yûzô Kayama, neveu du chambellan capturé dans Sanjuroet personnage principal du mélodrame de Mikio Naruse Une femme dans la tourmente, incarne la figure du « fils », autrefois dévolu à Mifune quand celui-ci avait pour partenaire Takashi Shimura.

D'une histoire riche en intrigues secondaires, la mort du vieux Rokusuke (Kamatari Fujiwara) ou le destin tragique de Sahachi (Tsutomu Yamazaki), le scénario de Barberousse coécrit avec les fidèles Hideo Oguni et Ryûzô Kikushima (La forteresse cachée, Les salauds dorment en paix), et le nouveau venu Masato Ide, prend donc la forme d'un récit initiatique dans sa première partie où chacun des patients du dispensaire que croisera Yasumoto auront une influence manifeste sur sa perception du métier de médecin, la seconde partie du film et la rencontre avec la jeune Otoyo mettant en lumière quant à elle la thérapie altruiste de Barberousse : le premier remède aux maux, physiques et psychologiques, passe par soigner autrui.
   
Dernier film en noir et blanc du maître japonais (2), Barberousse dévoile une fois encore le perfectionnisme de Kurosawa (le tournage s'est étiré sur deux ans), du cadrage à la photographie, aux décors, chaque détail conférant à rendre le long métrage unique en son genre.

Un classique.





Crédit Photo : BARBEROUSSE © 1965, TOHO Co., Ltd. Tous droits réservés.


Akahige (Barberousse) | 1965 | 185 min
Réalisation : Akira Kurosawa
Scénario : Masato Ide, Hideo Oguni, Ryûzô Kikushima & Akira Kurosawa
Avec : Toshirô Mifune, Yûzô Kayama, Tsutomu Yamazaki, Reiko Dan, Miyuki Kuwano
Musique : Masaru Satô
Directeur de la photographie : Asakazu Nakai, Takao Saitô
Montage :
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(1) Sanjuro (1962), la suite de Yojimbo et Dodes'ka-den sont également des adaptations de romans écrits par l'auteur japonais. 

(2) Barberousse est également le premier film de Kurosawa en stéréo, ce dernier expérimentant les possibilités que pouvaient lui donner les quatre pistes de la stéréo.

La Bête - Walerian Borowczyk (1975)

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Dans le cadre de la rétrospective Walerian Borowczyk qui se tiendra au Centre Pompidou du 24 février au 19 mars 2017, Carlotta édite le 22 février prochain un coffret collector (1) consacré au cinéaste polonais incluant sept longs métrages en version restaurée 2K, réalisés entre 1968 et 1981 : Goto, l'île d’amour, Blanche, Contes Immoraux, Histoire d'un péché, Docteur Jekyll et les femmes et celui qui nous intéresse, La Bête

Sans aucun doute son film le plus scandaleux (il faudra attendre 2001 pour que la censure britannique autorise finalement l'exploitation en salles de la version intégrale) et le plus populaire (ce fut tant un succès critique que commercial en France), La bête faisait suite au virage explicitement érotique de Walerian Borowczyk initié l'année suivante avec le déjà subversif Contes immoraux. Initialement conçu comme cinquième épisode des dits contes sous le nom "La véritable histoire de la Bête du Gévaudan" (2), le volet fut intégré à La Bête sous la forme d'une séquence onirique désormais passée à la postérité. Mais n'allons pas trop vite.

Pierre de l'Espérance (Guy Tréjan) veut redorer le blason de sa famille en mariant son fils Mathurin (Pierre Benedetti) à la jeune et belle Lucy Broadhurst (Lisbeth Hummel), riche héritière américaine. Seule condition exigée par le défunt père de Lucy notifiée dans son testament, l'union doit être célébrée par l'oncle de Pierre, le cardinal Joseph do Balo. Mais les rêves érotiques et bestiaux de la jeune femme inspirée par l'histoire de Romilda de l'Espérance (Sirpa Lane), aïeul de la famille qui aurait eu une relation sexuelle avec une bête deux siècles auparavant, vont ébranler ce mariage arrangé en révélant un terrible secret de famille…
   
 
Inspiré par la nouvelle de Prosper Mérimée, Lokis, ou l'histoire d'un comte qui lacère mortellement sa jeune épouse lors de leur nuit de noces (nouvelle qui fut adaptée par le réalisateur polonais Janusz Majewski en 1971), La Bête trouve avant tout son origine dans l'influence surréaliste buñuelienne. Détournement subversif du conte La Belle et la Bête en comédie noire irrévérencieuse, Walerian Borowczyk se joue des convenances et du « bon goût » dès les premières minutes du film par l'accouplement de deux chevaux, avec gros plans sur les parties génitales de la jument et de l'étalon. Un premier coït bestial dont Lucy sera la témoin involontaire, et qui déclenchera en elle son éveil au désir et sa quête du plaisir. Shocking !

Satire sociale anticléricale tournant en dérision à la fois les conventions de l'aristocratie et de la grande bourgeoisie (3), des préparatifs du mariage avec en point d'orgue l'absurde dîner de fiançailles, au curé vénal (Roland Armontel) accompagné de ses deux très chers et charmants enfants de chœur, La Bête est à prendre avant tout sous l'angle de la parodie, Borowczyk jouant également avec malice avec les clichés communs de la pornographie et de l'horreur (château isolé, plans de pénétrations) ; l'incapacité du couple formé par le majordome noir (Hassane Fall) et la sœur de Mathurin (Pascale Rivault) à faire l'amour, ces derniers étant toujours dérangés par les appels de Pierre de l'Espérance, allant également dans le même sens. Provocante, l'apparition de cette bête mi-loups mi-ours dans le rêve de l'innocente Lucy, le sexe dressé éjaculant des décilitres de semence, avant de violer la belle Romilda, s'inscrit enfin dans le même registre grotesque, la musique de Scarlatti au clavecin offrant un judicieux contrepoint.


Tourné en juin 1973 dans le parc de Noisiel pour sa séquence onirique, puis d'avril à mai 1975 au Château de Nandy situé également en région parisienne, le long métrage cultive une atmosphère étrange et décalée qui toutefois dépasse le simple cadre de sa controverse. Film louant le désir féminin en opposition aux traditions patriarcales, La Bête n'est donc pas (seulement) un exercice de style déviant réussi ; ce qui n'empêcha, on s'en doute, quelques petits malins italiens (au hasard) de s'en inspirer pour produire une relecture science-fictionnelle La bestia nello spazio par Alfonso Brescia avec l'actrice finlandaise Sirpa 'Romilda' Lane.

En guise de suppléments, le DVD/Blu-Ray propose en sus de la bande-annonce originelle et l'introduction du critique Peter Bradshaw (4), un document rare : des extraits du tournage commentés par le caméraman Noël Véry. Cinéaste ayant fait ses débuts dans le cinéma d'animation, les extraits nous renseigne sur ses méthodes de travail héritées de son passé : précis jusqu'à l'obsession, ne négligeant aucun détail (décors, costumes, maquillage, coiffure, barbe - c'est lui qui taille et rase Pierre Benedetti), Boro jouait les scènes devant les acteurs leur demandant de reproduire exactement ses faits et gestes.  

A (re)découvrir.

 

Crédit Photos : La Bête © Argos Films. Tous droits réservés.


La Bête | 1975 | 94 min
Réalisation : Walerian Borowczyk
Production : Anatole Dauman
Scénario : Walerian Borowczyk
Avec : Sirpa Lane, Lisbeth Hummel, Elisabeth Kaza, Pierre Benedetti, Guy Tréjan, Roland Armontel & Marcel Dalio
Directeur de la photographie : Bernard Daillencourt, Marcel Grignon
Montage : Walerian Borowczyk
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(1) Le coffret originel, Camera Obscura: The Walerian Borowczyk Collection, fut édité par la société de distribution indépendante britannique Arrow en 2014.

(2) La version intégrale des Contes présentée au Festival de l'Âge d'Or avec ce segment bestial est incluse en supplément dans le DVD/Blu-Ray du film.

(3) La présence de Marcel Dalio dans le rôle du Duc Rammendelo De Balode, oncle du père de Mathurin, offre un clin d'œil à La règle du jeu de Jean Renoir.

(4) S'y ajoute également le court métrage Escargot de Vénus réalisé en 1975 par Boro et le bonus nommé Folie de l'extase : L'évolution de la bête où l'on apprend que le réalisateur avait l'idée d'une suite intitulée Maternité.    

Goto, l'île d'amour - Walerian Borowczyk (1968)

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Après s'être fait remarqué en France à partir de la fin des années 50 par ses courts métrages d'animations, dont plusieurs reçurent des prix dans divers festivals internationaux, dont Rosalie lauréat de l'Ours d'Argent à Berlin en 1966, et un premier long métrage d'animation, Théâtre de Monsieur & Madame Kabal en 1967, le polonais Walerian Borowczyk se lançait l'année suivante dans la réalisation de son premier long métrage en prise de vues réelle, Goto, l'île d'amour. Œuvre à l'image de ses précédents métrages, le dénommé Goto se distinguait par sa singularité, tant formelle que thématique, dépassant ainsi la seule critique évidente du totalitarisme (le film fut interdit à la fois par la Pologne communiste et par l'Espagne de Franco). A redécouvrir dans les salles à partir du 24 février dans le cadre de la rétrospective qui se tiendra au Centre Pompidou, et en DVD dans le coffret collector (1) qui sort ce 22 février. 

Condamné à mort pour avoir volé la paire de jumelles du Lieutenant Gono (Jean-Pierre Andréani), Grozo (Guy Saint-Jean) est gracié par Goto III (Pierre Brasseur), gouverneur-dictateur de Goto, île coupée du monde depuis le terrible tremblement de terre de 1887 au cours duquel sa superficie fut réduite à 90 %, et sa population décimée à 99 % dont la famille royale. Désormais préposé au cirage des chaussures du gouverneur et de son épouse Glossia (Ligia Branice), à l'extermination des mouches et au soins du chenil, Grozo ne rêve que de posséder la belle Glossia, mais celle-ci aime Gono...

 
 
Étrange, absurde, voici les premiers adjectifs qui viennent à l'esprit après la découverte de Goto, l'île d'amour. Par son « surréalisme inconscient et involontaire » selon les propres mots de par Walerian Borowczyk, ce deuxième long métrage se nourrit des multiples influences de son auteur, du théâtre de l'absurde d'un Beckett, à l'univers de Kafka, en particulier La colonie pénitentiaire (que Boro pensa à adapter quand il vivait encore en Pologne), au surréalisme d'un Buñuel. Parodie de dictature dans un monde resté au 19ème siècle, symbolisé par sa technologie rétrograde et sa nature fatiguée (les pommiers ne produisent que tous les trois ans), le scénario écrit par Walerian Borowczyk avec la collaboration de Dominique Duvergé (producteur de plusieurs de ses courts métrages dont Rosalie) brosse un univers déphasé, brisé, dysfonctionnel. Aucune explication ou réponse n'est donnée. Le monde de Goto vit dans sa propre logique, le beau-père du gouverneur (René Dary) gère par le chenil, tandis que sa belle-mère (Ginette Leclerc), au titre de mère-maquerelle, s'occupe de la maison-close de l'île, chaque habitant porte un prénom commençant par la lettre G, et enfin tout délit, du plus petit au plus grave, est puni par la même sentence : la mort par décapitation pour le perdant du procès/combat qui oppose deux condamnés sur la scène d'un théâtre

  
Surréaliste par son récit, Goto, l'île d'amour l'est tout autant dans sa forme. Mieux, le film, de par les choix stylistiques de Walerian Borowczyk, souligne autant sa maîtrise que son souci obsessionnel du détail, tous deux hérités de son expérience dans l'animation. Du souhait premier de vouloir tout diriger, Boro le plasticien crée ainsi de ses propres mains un nouveau monde avec ses propres règles et son propre cadre, il fabriqua lui-même les fameuses cages à mouches ou le portrait à trois visages exposé dans la salle de classe au début du film. Avec ses acteurs devenus personnages d'animation, voire « accessoires vivants », dévoilant un Pierre Brasseur dans un registre inédit, Goto se caractérise par son formalisme minimaliste. Filmé en noir et blanc, la photographie du long métrage s'écarte de la norme de l'époque : éclairage neutre, absence d'ombre, utilisation unique de longues focales et de travellings horizontaux, absence de panoramique. De même, les cadrages et le choix d'utiliser une caméra fixe afin de filmer principalement en plan large évoque le cinéma muet. Des partis pris qui font de Goto un réel OFNI à l'image enfin de ses persistances rétinienne et auditive insérées par Borowczyk prenant la forme de plans en couleurs pastels (chaussures bleues, seau d'eau ensanglantée, etc.), ou de moment de silence brisé par le Concerto pour orgue d'Haendel (en G mineur, Opus 7). 


En guise de suppléments, le DVD propose en sus de la bande-annonce et l'introduction de l'artiste Craigie Horsfield, deux documents : les souvenirs de tournage de Noël Véry et Guy Saint-Jean, ainsi que la présentation des sculptures mobiles sonores fabriquées par Borowczyk et exposées au Musée-Château d'Annecy.

A (re)découvrir.



Goto, l'île d'amour | 1968 | 91 min
Réalisation : Walerian Borowczyk
Production : Louis Duchesne et René Thévenet
Scénario : Walerian Borowczyk avec la collaboration de Dominique Duvergé
Avec : Pierre Brasseur, Ligia Branice, Jean-Pierre Andréani, Guy Saint-Jean, Ginette Leclerc, René Dary
Directeur de la photographie : Guy Durban
Montage : Charles Bretoneiche
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(1) Coffret regroupant douze de ses courts métrages et sept longs métrages en version restaurée 2K : Théâtre de Monsieur & Madame KabalGoto, l'île d’amour, Blanche, Contes Immoraux, La Bête, Histoire d'un péché, Docteur Jekyll et les femmes.

Contes immoraux - Walerian Borowczyk (1974)

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Premier succès commercial de Walerian Borowczyk en France, Contes immoraux marqua une étape notable dans la filmographie du réalisateur de Goto, l'île d'amour. Sur une idée d'Anatole Dauman, producteur de son premier court métrage français (Les Astronautes) en 1959, celui-ci lui proposa de profiter de l'assouplissement de la censure cinématographique, qui précéda l'élection giscardienne, en mettant en scène son premier long métrage explicitement érotique. Film constitué d'une série de courts métrages ayant le sexe comme sujet central (1), et inspiré sans nul doute par le succès de la « trilogie de la vie » (2) de Pier Paolo Pasolini, Contes immoraux est à considérer avant tout comme le prolongement naturel des thématiques du réalisateur. Débutant par l'une des Maximes de La Rochefoucauld : "L'amour, tout agréable qu'il est, plaît encore plus par les manières dont il se montre que par lui-même", ce film à sketches avait donc vocation à explorer le sexe sous ses aspects les plus subversifs : l'initiation à la fellation d'une jeune cousine, la découverte des plaisirs solitaires d'une jeune fille dévote, le lesbianisme sanglant de la Comtesse Bathory et enfin les relations incestueuses des Borgia (la zoophilie ayant été finalement retirée de la carte des réjouissances, mais n'allons pas trop vite). Auréolé du titre de second film érotique au box-office hexagonal de l'année 1974, loin derrière le phénomène Emmanuelle, Contes immoraux est désormais dans les salles depuis le 24 février dans le cadre de la rétrospective Walerian Borowczyk au Centre Pompidou, et en DVD et Blu-Ray dans le coffret collector (3) sorti le 22 février dernier.

Adaptation de « La marée », d'après le récit homonyme écrit par André Pieyre de Mandiargues dans son recueil Les mascarets, ce premier conte s'ouvre par la citation « Julie, ma cousine, avait seize ans, j'en avais vingt, et cette petite différence d'âge la rendait docile à mes commandements. », ou l'histoire d'André (Fabrice Luchini), qui sous couvert d'expliquer à sa cousine de quatre ans (Lise Danvers) sa cadette le mécanisme des marées, l'initie à l'art de la fellation au rythme de la marée montante sur une plage de Normandie. Premier volet d'un catalogue d'une sexualité transgressive, « La marée » se démarque en premier lieu par le thème récurrent de l'enfermement. Prise au piège par la mer, Julie n'a qu'une seule issue, celle de s'abandonner à la sexualité et savourer le plaisir que lui offre son cousin faussement autoritaire. Une soumission libératrice en quelque sorte.
 
 
 
S'ouvrant par la mention : « 10 juillet 1890. Les habitants de notre région demandent la béatification de Thérèse H., la pieuse jeune fille violée par un vagabond. La Gazette du Dimanche. », « Thérèse philosophe » conte l'histoire d'une jeune fille (Charlotte Alexandra, que l'on retrouvera deux ans plus tard dans le premier long métrage de Catherine Breillat, Une vraie jeune fille) punie par sa tante pour être rentrée trop tard de la messe, et dont la sanction est d'être enfermée trois jours et trois nuits dans un débarras. En proie à une dévotion extatique par sa lecture du Chemin de croix et le dialogue fantasmé qu'elle échange avec Jésus, la jeune Thérèse découvre, inséré dans une roue en bois, un roman pornographique aux illustrations suggestives qui éveilleront sa conscience onaniste, les deux concombres en guise de repas frugal faisant les frais de sa nouvelle conversion. D'une réclusion catalyseur de pulsions sexuelles réprimées, au transfert d'une foi adolescente à la béatitude exacerbée vers des plaisirs solitaires interdits à la vue d'images évocatrices, ce deuxième conte démontre autant le goût de Walerian Borowczyk pour les objets et le fétichisme qui lui est associé (collectionneur d'objets artisanaux érotiques, le cinéaste signa le court métrage Une collection particulière en 1973,  disponible dans les suppléments du DVD/Blu-Ray), que son irrévérence envers la religion. En d'autres termes, les élans sexuels refoulés de Thérèse ne sauraient être canalisés davantage par sa foi, comme pouvait le témoigner ses caresses sensuelles prodiguées aux tuyaux de l'orgue de l'église, avant d'adresser en plein orgasme un "Je viens vers toi [...]. Mon cœur est prêt."à son amour fantasmatique.

 
 
Le volet « Erzsébet Báthory » présente « En 1610, la comtesse [...], accompagnée de son page, visite les villages et hameaux de son comtat de Nyitra en Hongrie». Chapitre le plus saisissant et ambitieux par son esthétique, ce troisième conte immoral est également celui qui consacre le mieux le voyeurisme assumé de son auteur et des protagonistes. Choisies par la comtesse (Paloma Picasso) pour satisfaire, dans un premier temps, son appétit sexuel sous couvert de leur donner sa protection, les jeunes paysannes sont conduites au château afin d'être préparées, lavées et prêtes à s'offrir à leur maîtresse, après avoir ingurgité une mystérieuse potion. Du sinistre destin de ces jeunes vierges sacrifiées à la représentation prédatoire d'Erzsébet Báthory, Walerian Borowczyk livre ici un essai troublant et onirique à l'image de la prestation de la mutique Paloma Picasso. Les espaces confinés chers à l'auteur de Goto, l'île d'amour prennent désormais la forme de couloirs labyrinthiques menant à des espaces concentrationnaires. Le sexe comme seul échappatoire à cet enfermement ne propose plus qu'une seule issue, fatale, une chambre où seront conviés Éros et Thanatos, avant qu'Erzsébet ne soit arrêtée, trahie par son page Istvan (Pascale Christophe).

 
   
« En 1498, Lucrezia Borgia (Florence Bellamy), accompagnée de son mari Giovanni Sforza, rend visite à son père, le pape Alexandre VI (Jacopo Berinizi), et à son frère, le cardinal Cesare Borgia (Lorenzo Berinizi). Le dominicain Hyeronimo Savonarola dénonce la vie dissolue du milieu ecclésiastique ». Dernier conte, « Lucrezia Borgia » est du fait de son sujet le plus satirique en prenant le parti d'évoquer cette sombre page de l'Église catholique. Usant du même procédé que cité précédemment, des protagonistes placés, dans une unique pièce, confrontés à un élément déclencheur, cette fois-ci des dessins d'étalon en érection (annonçant en guise de fil conducteur le début de La Bête), Walerian Borowczyk répète à l'envie la thématique principale de ses Contes immoraux. De la résolution de l'impuissance du mari de Lucrezia par son dénouement incestueux, se concluant par le baptême de cette union impie, ce dernier récit paie donc son plus « juste » tribut à l'immoralité promise (paradoxalement il s'agit aussi de l'épisode le plus faible).          

 

En explorant à sa manière le thème de la sexualité sous toutes ses formes, Walerian Borowczyk réalisa avec ses Contes immoraux une fantaisie érotique subversive sans renier cependant l'essence même de son art. Fétichiste avec cette succession d'images révélatrices (bougies, seins, pubis, bijoux, etc.), transgressif par ces récits, les quatre courts métrages s'inscrivent également dans l'œuvre Borowczykienne par leur esthétique, en particulier le soin obsessionnel de son réalisateur pour ses cadrages composés de plans larges pour les décors, de plans moyens pour l'action et de gros plans pour les détails, par la photographie des quatre chef opérateurs réquisitionnés ou encore par ses personnages manipulés par leurs pulsions. 

A l'origine constitué d'un cinquième conte intitulé « La Bête du Gévaudan », placé entre « Thérèse philosophe » et « Erzsébet Báthory » (4), la version longue du film reçut en 1974 le prix de l'Âge d'Or décerné par La Cinémathèque royale de Belgique et le musée du cinéma de Bruxelles, prix récompensant l'auteur d'un long métrage qui « par l'originalité, la singularité de son propos et de son écriture, s'écarte délibérément des conformismes cinématographiques ». L'histoire aura retenu que ce cinquième segment abandonné pour l'exploitation en salle des Contes fut réemployé en grande partie par Walerian Borowczyk l'année suivante pour son film La Bête.

En guise de suppléments, le DVD/Blu-Ray propose en sus de la bande-annonce et l'introduction du critique Daniel Bird, la version originelle de deux heures de l'Âge d'Or, les souvenirs de tournage à travers deux documents L'amour se révèle : tournage de Contes immoraux et Boro Brunch : réunion d'équipe, et enfin le court métrage Une collection particulièreévoqué plus haut. 

A (re)découvrir.






Crédit Photos : Contes immoraux © Argos Films. Tous droits réservés.


Contes immoraux | 1974 | 103 min
Réalisation : Walerian Borowczyk
Production : Anatole Dauman
Scénario : Walerian Borowczyk, segment "La marée" d'après André Pieyre de Mandiargues
Avec : Lise Danvers, Paloma Picasso, Charlotte Alexandra, Fabrice Luchini, Florence Bellamy
Musique originale : Maurice Leroux
Directeurs de la photographie : Noël Véry, Guy Durban, Bernard Daillencourt Et Michel Zolat
Montage : Walerian Borowczyk
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(1) Une première production érotique d'Anatole Dauman suivie de La Bête de Walerian Borowczyk l'année suivante, L'empire des sens(1976) et L'empire de la passion (1978) de Nagisa Ôshima, puis Les fruits de la passion de Shûji Terayama, séquelle d'Histoire O avec Klaus Kinski.

(2) Le Décaméron (1971), Les Contes de Canterbury (1972) et Les Mille et Une Nuits (1974).

(3) Coffret regroupant douze de ses courts métrages et sept longs métrages en version restaurée 2K : Théâtre de Monsieur & Madame KabalGoto, l'île d’amour, Blanche, Contes Immoraux, La Bête, Histoire d'un péché, Docteur Jekyll et les femmes.

(4) Cinquième conte placé à la troisième place afin de suivre l'ordre chronologique inversé des histoires. 

The Second Civil War - Joe Dante (1997)

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Parrain de la cinquième édition du Festival international du film restauré, le réalisateur Joe Dante Film était invité à la Cinémathèque française ce samedi à revenir sur ses films et sur sa carrière le temps de la Master Class qui lui était consacrée. En préambule, le cinéaste avait souhaité la projection d'un de ses films les plus rares, The Second Civil War (1997). Satire politique visionnaire (mais n'allons pas trop vite comme le veut la formule), ce téléfilm produit par la chaine du câble HBO, mérite amplement d'être réévaluée, à l'instar de l'entière filmographie de son auteur.

Dans un futur proche, après l'explosion nucléaire d'une bombe envoyée par l'Inde sur le Pakistan, une agence américaine non-gouvernementale décide d'amener des orphelins pakistanais en Idaho. Le gouverneur de l'État, Jim Farley (Beau Bridges), décide de fermer les frontières de l'Idaho contre l'avis du Président étasunien (Phil Hartman), afin d'empêcher l'arrivée de ces jeunes réfugiés. En réaction, le Président réunit à la Maison Blanche ses ministres et ses conseillers dont le lobbyiste Jack Buchan (James Coburn). Décidé à avoir une attitude ferme envers ce gouverneur sécessionniste, le Président lui impose un ultimatum avant que l'US Army n'intervienne. Témoin de ces débordements, la chaine d'information continue News Net relate les évènements de la manière la plus sensationnaliste jusqu'à influer sur les relations entre les deux adversaires.


Tourné en 1997, The Second CivilWar fut proposé à Joe Dante par le producteur réalisateur Barry Levinson, qui allait mettre en scène un autre film sur un sujet similaire, Des hommes d'influences (Wag The Dog). Écrit par le documentariste Martyn Burke, cette production HBO revêt des accents, on l'aura vite compris à la lecture du synopsis, quasi prophétiques vingt ans après sa diffusion. Avec son slogan de campagne post-Reaganien « L'Amérique telle qu'elle devrait être », évoquant un récent « Rendre l'Amérique à nouveau grande », le gouverneur Jim Farley n'est pas sans rappeler un nouveau Président magnat de l'immobilier, Donald Trump qui avait déjà inspiré un autre personnage clé d'un précédent long métrage de Joe Dante, le milliardaire Daniel Clamp (1) dans la séquelle des Gremlins.

Comédie grinçante dont l'ironie glisse à mesure vers une catastrophe annoncée par le titre de cette fiction, TSCW s'inscrit dans la même veine politique que l'épisode Homecoming réalisé par Dante pour la série Masters of Horror en 2005, dans lequel des vétérans morts en Irak revenaient voter pour désavouer la politique de leur gouvernement. Contestataire et subversif par son habilité à faire glisser derrière le canevas humoristique une opinion critique, à l'image de son attaque en règle contre la vision utopique et caricaturale des banlieues 80's dans son mésestimé The 'Burbs, Joe Dante se pare de son plus beau sourire narquois pour régler ses comptes avec ceux qui prétendent incarner les valeurs de l'Amérique.
 
Du populiste gouverneur Farley davantage préoccupé par son aventure sentimentale avec la journaliste correspondante de News Net (Elizabeth Peña), au versatile Président cherchant vainement à suivre les traces de ses anciens et illustres prédécesseurs (Roosevelt, Eisenhower), qui réduira l'échéance de 72 heures à de 67 heures et demi afin que l'ultimatum ne déborde pas avec la diffusion de All My Children, un des soap opera les plus populaires des USA, le film offre une galerie de personnages hallucinantes de bêtise crasse, tour à tour acteurs et témoins d'une tragicomédie dont le melting-pot deveint à la fois la victime et le bouc émissaire de la crise politique américaine, le tout sous l'œil carnassier du cynique directeur de l'info de News Net (Dan Hedaya).

Accompagné de ses comédiens fétiches (Dick Miller, Robert Picardo, Kevin McCarthy) et d'un riche casting (James Coburn, James Earl Jones), Joe Dante livre avec The Second Civil War une satire politique de premier plan, dont la diffusion limitée n'entache en rien deux décennies après sa cruelle acuité.

 


The Second Civil War | 1997 | 97 min
Réalisation : Joe Dante
Scénario : Martyn Burke
Avec : Beau Bridges, Elizabeth Peña, Joanna Cassidy, Dan Hedaya, James Coburn, James Earl Jones, Ron Perlman, Kevin Dunn, Kevin McCarthy, Dick Miller, Robert Picardo
Musique : Hummie Mann
Directeur de la photographie : Mac Ahlberg
Montage : Marshall Harvey  ___________________________________________________________________________________________________

(1) Le milliardaire Clamp était un savant mélange des magnats de l'immobilier et des médias Donald Trump et Ted Turner.

Master Class de Joe Dante - 4 mars 2017, Cinémathèque française, Paris

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Joe Dante est-il l'un des réalisateurs américains les plus sous-estimés d'Outre-Atlantique ? Si la Master Class à laquelle le cinéaste participa de bon gré ne répondit pas ouvertement à cette question, les presque quatre-vingt minutes passées en compagnie du réalisateur avec Jean-François Rauger, l'après-midi du samedi 4 mars, confirma toutefois clairement une affirmation qui apparaissait déjà comme une évidence : Joe Dante est l'un des cinéastes les plus importants de sa génération.

Né en 1947, le cinéaste originaire du New-Jersey s'est nourri à l'instar des enfants des années 50 d'une cinéphilie provenant essentiellement du petit écran (Joe Dante souligna qu'à cette époque diffuser des films était la programmation la moins coûteuse pour les chaines de télévision). De ses débuts dans l'écurie de Roger Corman, Joe Dante commença au titre de monteur de bandes annonces, avant de co-réaliser avec Allan Arkush Hollywood Boulevard en 1976. Vraie école du cinéma de ses propres mots, les productions Corman lui permirent d'apprendre toutes les ficelles du métier. Lui qui n'avait jamais vu auparavant une table de montage apprit, avec les maigres moyens mis à sa disposition (en clin d'œil à sa parcimonie légendaire, Roger Corman interprète dans The Second Civil War le directeur de News Net qui refuse de payer toutes heures supplémentaires de ses employés), comment utiliser au mieux la lumière, à poser un rail, etc. Cet apprentissage sur le tas permit ainsi à ce débutant, au même titre que d'autres illustres inconnus passés chez Corman (Francis Ford Coppola, Jonathan Kaplan, Martin Scorsese, etc.) à devenir le plus efficace possible, ces leçons pouvant par la suite être justement réutilisées dans des films à plus grand budget.
  

Film emblématique et seul véritable succès commercial du cinéaste, Gremlins occupa sans surprise, avec son lot d'anecdotes et de révélations, la majeure partie de cet entretien. Découvert par Steven Spielberg après Piranhas (1), le réalisateur de Jaws invita Joe Dante à mettre en scène un des quatre épisodes du film Twilight Zone, avant de lui envoyer un peu plus tard le scénario de Gremlins, du moins sa première version. Gore (le chien se faisait bouloter et la mère de Billy finissait décapitée, sa tête rebondissant dans les escaliers !), il apparut rapidement à l'esprit de Dante que ce long métrage ne pouvait se cantonner au seul genre horrifique, les recettes potentielles ne pouvant couvrir le coût des effets spéciaux et en particulier celui de la conception des créatures. D'un film à l'origine envisagé par Spielberg comme une "séquelle" de Hurlements, la production dut dès lors éviter l'interdiction aux enfants afin de toucher un plus large public, ce qui n'empêcha pas de provoquer aux États-Unis une controverse suite aux sorties quasi simultanées d'Indiana Jones et le Temple Maudit et de Gremlins (2) du fait de leur contenu.

Engagé après avoir créé le storyboard et quelques dessins, Dante se confronta rapidement aux limites et contraintes techniques des marionnettes, nombre de scènes décrites dans le script originel ne pouvant être réalisées. A cette occasion, il confia à l'assistance que l'une des solutions fut le recours à l'improvisation. Plusieurs feuilles blanches furent à l'occasion affichées dans le studio dans le but de faire participer les équipes à trouver "quelles choses affreuses pourrait-on faire subir à Gizmo ?". De ces séances de brainstorming, le réalisateur révéla que la scène du jeu de fléchettes, avec le Mogwai pris pour cible par les méchants Gremlins, en était justement issue. Succès inattendu de 1984, son réalisateur le définissant comme un "sleeper", soit un projet dont personne n'a connaissance mais qui dès qu'il sort devient un succès, Dante avoua ne toujours pas s'expliquer les véritables raisons : "le bon film au bon moment". Parmi les explications évoquées, on notera toutefois la contribution notable à porter au crédit à son producteur, celle d'avoir corrigé le scénario original en faisant vivre Gizmo jusqu'à la fin du film, alors que celui-ci devait se transformer au départ en Gremlin dès la première demi-heure.
 
Conquis par les bénéfices engendrés, le studio tenta vainement de lancer dans la foulée une séquelle avec Dante, qui les remercia tant ce dernier en avait par "dessus la tête de ces marionnettes !". Après moult tentatives vaines, la Warner Bros. revint vers le réalisateur lui offrant comme promesse de lui donner une entière carte blanche pour son prochain projet (Panic sur Florida Beach en 1993). Profitant des évolutions techniques de l'époque, Gremlins 2 permit à Dante de pouvoir réaliser des séquences impossibles en 1984. Mieux, la suite s'abstint de toute répétition en lorgnant vers la parodie cartoonesque avec ses multiples références (une habitude chez le cinéaste). Cerise sur le gâteau, pouvant cette fois-ci justifier l'accueil mitigé du long métrage, Dante et son scénariste Charles S. Haas en profitèrent pour régler leurs comptes aux années 90 naissantes à travers le portrait du milliardaire Daniel Clamp, hybride des magnats de l'immobilier et des médias Donald Trump et Ted Turner (à la plus grande surprise de son producteur Steven Spielberg).


Comme tant d'autres cinéastes avant lui, Joe Dante dut au cours de sa carrière se plier aux exigences des grands studios, le privant par exemple du précieux final cut (Hurlements est le dernier film dans lequel il fut également monteur). Protégé à l'image d'un Corman par Spielberg durant Gremlins, les conditions autour de son film suivant, Explorers, furent tout autre comme l'indiqua la dernière partie de cet entretien. Dante, qui venait de refuser l'adaptation de Batman (l'une des causes étant, confia-t-il, qu'il était davantage intéressé par le personnage du Joker), hérita ainsi du projet délaissé quant à lui par Wolfgang Petersen (3). Avec sur les bras un scénario qui méritait nombre de corrections (à l'origine le film devait se conclure par une partie de Baseball entre les jeunes terriens et les jeunes extraterrestres), et un calendrier des plus serrés (le studio Paramount voulait sortir le film à la fin du mois d'août alors que la pré-production ne commença qu'en octobre), Joe Dante et le scénariste Eric Luke n'eurent d'autres solutions que d'improviser durant le tournage. Mais Explorers connut une conclusion brutale en post-production au cours de son montage. Subissant un changement de direction, alors qu'il était prévu un montage de quatre mois, le studio décida de sortir en l'état le long métrage (le 12 juillet) après seulement deux mois de montage (une précipitation qui se solda par un échec commercial). Sentiment d'inachevé, film ne correspondant pas à son idée, Explorers est le seul long métrage du propre aveu du cinéaste que ce dernier refuse de revoir. Reste le plaisir intact de Joe Dante d'avoir travaillé avec deux gamins talentueux nommés Ethan Hawke et River Phoenix.

En conclusion, s'il apparaissait évident dès le départ la nature improbable de pouvoir conter l'ensemble de la filmographie de Joe Dante en quatre-vingt minutes, cette Master Class confirma au besoin le talent d'un cinéaste désormais reconnu à sa juste valeur.
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(1) Spielberg défendit cette production Corman, dissuadant même la Columbia d'intenter une action en justice pour plagiat, déclarant qu'il s'agissait avant tout d'un pastiche et que sa sortie coïncidant avec celle des Dents de la mer 2 n'avait rien de préjudiciable. 

(2) Controverse qui fut à l'origine de la création en juillet 1984 du label PG 13 (sur une suggestion de Spielberg).

(3) Réalisateur de L'histoire sans fin en 1984, le metteur en scène de Das Boot fut embauché pour le projet Enemy, son premier sur le sol étasunien avec Dennis Quaid, Louis Gossett Jr. et Brion James, en remplacement du britannique Richard Loncraine congédié par le producteur Stephen Friedman et le studio 20th Century Fox.

Live report : Thurston Moore - 12 String Acoustic Set @ La Maroquinerie, Paris, 11 mars 2017

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Moins de cinq mois après sa dernière venue dans l'hexagone, en première partie de Dinosaur Jr à l'Élysée Montmartre le 31 octobre 2016, Thurston Moore revenait en France pour une série de deux concerts en solo, le 11 mars à La Maroquinerie et le lendemain au CAPC musée d'art contemporain de Bordeaux. Annoncé comme un concert acoustique, où l'ex-leader et fondateur de Sonic Youth allait réviser son répertoire actuel à la douze-cordes, le set proposé ce samedi soir fut loin de se limiter qu'aux seuls accents folk. Au contraire. Mais n'allons pas trop vite.


De Best Days (2014), son dernier album en date, Mr Moore débuta le concert par son premier titre,Speak to the Wild, avant de jouer au cours du set deux autres extraits, l'épique Forevermore puis Grace Lake ; une set-list nullement déstabilisante pour les parisiens qui étaient venus assister à la première partie du groupe de J. Mascis en octobre dernier, Moore jouant ce soir-là également Turn On et Cease Fire (joué sur scène depuis 2015, et désormais disponible depuis début mars en téléchargement sur les plateformes dédiées). Hypnotique, onirique, la musique prit un premier virage quand le guitariste délaissa après trois chansons sa douze-cordes pour saisir sa fameuse Fender pour une démonstration bruitiste enflammée de huit minutes.


Après une courte pause, le temps de remettre en place le micro (et d'offrir à l'assistance une brève imitation de Lemmy Kilmister en prime), Thurston Moore entama une seconde moitié de concert marquant définitivement l'arrêt des inflexions folk pour aborder un set « électro-acoustique ». Riche d'effets abrasifs provenant du parterre de pédales du maître es distorsions, les dernières chansons reflétèrent ainsi davantage la musique originale du guitariste à l'instar du noisy Grace Lake.

Pour conclure cette soirée qui évoquera au préposé plusieurs fois les ambiances de l'excellent Murray Street de SY (1), Thurston Moore offrit au public parisien en guise de rappel l'inédit Mx Liberty.

Une belle soirée.

 

Plus de photos sur notre tumblr.

Setlist :
01. Speak to the Wild / 02. Cease Fire / 03. Turn On / 04. Improvisation électrique / 05. Forevermore / 06. Aphrodite / 07. Grace Lake / Rappel : Mx Liberty
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(1) Impression renforcée depuis la découverte du Set acoustique enregistré par Sonic Youth pour la promotion de l'album le 13 août 2002 dans les locaux de la radio de Boston, WERS Radio.
 
 

Brigitte Lahaie, l'amour c'est son métier - L'indic, Noir magazine n°28

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Brigitte Lahaie : céder à la tentation de vouloir résumer ses cinq années dans le cinéma de X par le titre d'un des films de l'iconoclaste José Benazeraf, L'amour c'est son métier, est des plus séduisantes.
  
Mais si l'amour pouvait prendre diverses formes sur grand écran chez cette icône du cinéma d'exploitation, les métiers exercés par la belle l'étaient tout autant. A charge pour le rédacteur de ce billet de répertorier, consciencieusement, les professions fantasmatiques (du moins présentées comme telle) pratiquées par celle qui imposa, avec grâce, sa sculpturale présence dans les productions Alpha France et consorts, de ses premiers pas en 1976 à son arrêt du X en 1980. 
   
La suite dans le 28ème numéro de la revue L'Indic, Noir magazine.

Pour plus d'informations : Fondu Au Noir et sur Facebook.

Dr Jekyll et les femmes - Walerian Borowczyk (1981)

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Dernier volet de notre cycle consacré à Walerian Borowczyk, Dr Jekyll et les femmes, connu sous le nom premier Le cas étrange du Dr Jekyll et Miss Osbourne en référence au livre de Stevenson et à sa supposée version originelle, est sans conteste l'un des films du réalisateur polonais les plus perturbants, ou du moins celui qui se rapproche le plus du cinéma déviant célébré en ces lieux. De cette adaptation de la première version du roman, qui aurait été brûlée par la femme de Robert Louis Stevenson, celle-ci ne supportant pas son sulfureux contenu, Borowczyk livre un hommage personnel en accord avec ses propres obsessions. Lauréat du prix de la mise en scène en 1981 au Festival international du film de Catalogne, le film est désormais disponible en DVD et Blu-Ray dans le coffret collector (1) sorti le 22 février dernier.

Londres, époque victorienne. Le brillant Docteur Henry Jekyll (Udo Kier), qui vient de publier un essai sur la médecine transcendante, organise une cérémonie pour ses fiançailles avec la belle Fanny Osbourne (Marina Pierro). Les proches et les amis de la haute société, dont le Docteur Lanyon (Howard Vernon), le Général Danvers (Patrick Magee) accompagné de sa fille Charlotte et le Révérend Donald Regan (Clément Harari) sont invités dans la demeure familiale, qui lui sert de laboratoire à ses mystérieuses expérimentations. Après le souper, la réception tourne à l'horreur après la découverte du cadavre de la jeune Victoria violée par un inconnu.

 

Seconde collaboration entre Walerian Borowczyk et l'acteur allemand Udo Kier, qui avait campé l'année précédente une autre figure horrifique, Jack l'Éventreur dans Lulu (1980) (2), Dr Jekyll et les femmes marque également la troisième rencontre du réalisateur polonais avec sa seconde muse, l'actrice italienne Marina Pierro, après Intérieur du Couvent (1978) et Les héroïnes du Mal (1979). Dernier long métrage notable de son auteur, Dr Jekyll et les femmes s'affirme comme la quintessence de son art, Borowczyk y associant brillamment nombre d'éléments formels et narratifs passés. Mieux, transposition radicale et unique du classique de Stevenson, la noirceur et la violence sont à mettre au crédit de la réussite de ce film libertaire, qui fut taxé à sa sortie par « certains critiques de complaisance sado-masochiste » comme l'évoqua Jean-François Rauger en préambule à sa projection lors de la Soirée bis consacrée à Boro le 10 mars dernier.

 

Du choix délibérée de trahir l'œuvre originelle en y ajoutant une compagne au docteur Jekyll (3) et un acteur différent pour jouer Hyde (le saisissant Gérard Zalcberg), Borowczyk s'affranchit du modèle et de la thématique du dédoublement, et des autres adaptations, pour en livrer une lecture transgressive, jusqu'au-boutiste et multiple à travers cette étrange histoire mettant en scène deux êtres amoureux consumés par la folie. Inspiré par ce roman d'épouvante décrivant avec mordant l'hypocrisie sociale de la haute société victorienne, Boro prolonge cette critique en la corrigeant à sa convenance. Préambule et avertissement à cet amoralisme libérateur, la mise à mort de la petite fille par Hyde en début de film suit ainsi le même processus que le fameux coït bestial déclenchant l'éveil au désir de la jeune Lucy dans La Bête, la découverte de la canne contondante et le récit de ce sordide fait divers auprès des convives provoquant leurs condamnations à mort. Mais si le phallus proéminent de cette bête mi-loup mi-ours revêtait la forme du fantasme initiatique d'une innocente jeune femme, celui de Mr Hyde, de taille grotesquement équivalente, devient désormais une arme létale. Hyde n'incarne plus dès lors seulement l'hideuse face cachée de la haute société victorienne, il devient également le bourreau des responsables et complices du patriarcat qui réprime la femme Borowczykienne (Charlotte qui s'adonne au plaisir en s'offrant à Hyde devant son père, et Fanny qui par amour se transforme en « Miss Hyde »).

 

Film dont l'action est concentrée dans un espace spatio-temporel clos, dans une maison durant une seule nuit, Dr Jekyll et les femmes emprunte aussi nombre d'aspects au volet « Erzsébet Báthory » des Contes Immoraux du même auteur. L'histoire du point de vue de Fanny Osbourne s'apparente ainsi à une relecture du troisième conte, la fiancée du Docteur Jekyll synthétisant à elle seule l'ensemble des personnages féminins, de la comtesse, à son amante le page, aux jeunes paysannes : le lieu, une demeure labyrinthique composé d'un enchevêtrement de couloirs et de chambres, le voyeurisme des différents protagonistes, la potion désinhibante, et enfin le duo amoureux meurtrier. Différence notable pour le dernier point, alors que le page Istvan trahissait finalement Erzsébet Báthory rétablissant par la même l'ordre patriarcal, Fanny au contraire se joint à son amant destructeur en poignardant sa propre mère.

Premier film du cameraman Noël Véry en qualité de chef opérateur, le premier ayant pris congé quelques jours après le tournage pour incompatibilité d'humeur avec le cinéaste, ce proche de Boro (leur première collaboration date de 1968 avec Goto, l'île d'amour) livre ici une photographie en phase avec l'esthétique Borowczykienne : une image brumeuse surréelle à l'apparence faussement douce, et des cadrages soignés inspirés par l'œuvre du peintre Vermeer (dont un des tableaux est offert aux Jekyll par les Osbourne en guise de dote). Point final à ce film à la beauté vénéneuse, la musique composée par Bernard Parmegiani, un des pères de la musique concrète qui avait déjà collaboré avec Boro en 1965 pour son court métrage Le dictionnaire de Joachim (4), conforte l'ambiance malsaine et dissonante tissée par le cinéaste.

 

En guise de suppléments, le DVD/Blu-Ray propose en sus de la bande-annonce plusieurs suppléments dont un entretien avec Udo Kier qui évoque son incarnation de Jekyll, un essai vidéo superposant le tableau de Vermeer et l'esthétique Borowczykienne, un hommage à Bernard Parmegiani, et le court métrage Jouet joyeux de 1979.

A (re)découvrir.





Crédit Photos : AB DROITS AUDIOVISUELS. Tous droits réservés.


Docteur Jekyll et les femmes (Le cas étrange du Dr Jekyll et Miss Osbourne) | 1981 | 92 min
Réalisation : Walerian Borowczyk
Production : Robert Kuperberg & Jean-Pierre Labrande
Scénario : Walerian Borowczyk D'après "L'étrange cas du Dr Jekyll et de M. Hyde" de Robert Louis Stevenson
Avec : Udo Kier, Marina Pierro, Patrick Magee, Gérard Zalcberg, Howard Vernon, Clément Harari
Musique : Bernard Parmegiani
Directeur de la photographie : Noël Véry
Montage : Khadicha Bariha
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(1) Coffret regroupant pour rappel douze de ses courts métrages et sept longs métrages en version restaurée 2K : Théâtre de Monsieur & Madame Kabal, Goto, l'île d'amour, Blanche, Contes Immoraux, La Bête, Histoire d'un péché, et Docteur Jekyll et les femmes.

(2) Boro s'était approché auprès de Kier à la fin des années 70 quand celui-ci avait pour projet un film retraçant le procès du sinistre Gilles de Rais.

(3Fanny Osbourne était le nom de l'épouse de Robert Louis Stevenson avant qu'elle ne divorce de son premier mari (d'autres personnages du film portent également le nom de personnes ayant réellement existé).

(4) Leur dernière collaboration sera le court métrage Scherzo infernal en 1984.

Phantom of the Paradise - Brian De Palma (1974)

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Décembre 2015, Carlotta initiait sa collection coffret Ultra Collector avec Body Double. Avril 2017, le 12, la sixième édition se penche de nouveau sur le cas du réalisateur d'Obsession avec son Phantom of the Paradise dans une nouvelle version restaurée 2K. Fraîchement accueilli à sa sortie par la critique et le public, à l'exception notable de Winnipeg au Canada (1) et en France, où il remporta le grand prix au Festival d'Avoriaz en 1975 restant à l'affiche à Paris une dizaine d'années consécutives, ce long métrage a gagné au fil des années ses galons de film culte, mention ô combien galvaudé qui trouve toutefois cette fois-ci tout son sens ici, mais n'allons pas trop vite...

Jeune compositeur inconnu, Winslow Leach (William Finley), est repéré par le plus grand producteur de musique de tous les temps, Swan (Paul Williams), lors de l'entracte d'un concert des Juicy Fruits, groupe pop à la mode et dernière création lucrative de Swan. Séduit par sa cantate "Faust", Swan veut cette musique pour inaugurer le Paradise, son Palais du Rock, et demande à son bras droit Arnold Philbin (George Memmoli) de voler la partition de Leach sous couvert de vouloir le produire. Un mois plus tard, Winslow se rend au siège du label de Swan, Death Records, et se fait éconduire brutalement. Il décide alors de s'introduire déguisé en femme au domicile de Swan où une audition est organisée pour les postes de choristes. Il y rencontre Phoenix (Jessica Harper), une apprentie chanteuse, qu'il considère parfaite pour sa musique, mais celle-ci est exclue des sélections ayant refusé de coucher avec Philbin. Repéré par Swan et expulsé par ses hommes de main, Winslow est condamné, Swan ayant acheté le juge, à vingt ans de prison pour possession de stupéfiant. Six mois plus tard, Winslow entend à la radio les Juicy Fruits chanter l'une de ses chansons. Il parvient à s'échapper bien décidé à se rendre de nouveau au siège de Death Records...
    
 

Un an après son premier film de genre, le thriller hitchcockien Sœurs de sang (Sisters) en 1973, Brian De Palma réalise un second projet en marge de ses anciennes réalisations indépendantes. De l'idée première d'une corruption d'une musique originale, après avoir entendu une chanson des Beatles en musique d'ascenseur, De Palma s'inspire pour son scénario de sa récente déconvenue, qui vit la Warner Bros. le renvoyer et remonter sans son accord son film Get to Know Your Rabbit (1972). Devenu cinéaste à Hollywood luttant pour porter ses idées originales à l'écran, et désormais hanté par la peur d'être finalement récupéré par le système, Phantom of the Paradise va se nourrir de la vision ironique et acide de De Palma, associé à son goût pour l'humour macabre, sous la forme démentielle d'un opéra rock fantastique.

 

D'une histoire centrée sur l'industrie du disque, Phantom of the Paradise n'en demeure pas moins (aussi et surtout) le portrait déguisé d'un monde du cinéma gangrené par la manipulation. Ersatz musical d'Hollywood, Death Records représente ainsi son avatar pourvoyeur de tubes frelatés appliquant cyniquement les mêmes recettes, avec à sa tête, Swan, hybride parodique de Phil Spector et de Howard Hugues. Excessif dans tous les sens du terme (comédie, romance, thriller, horreur, fantastique, musical, le film est tout à la fois), flirtant allègrement avec le mauvais goût, ce bouillon de culture baroque qui revisite Le Fantôme de l'opéra, tout en s'inspirant des mythes de Faust, Frankenstein et Dorian Gray, se démarque toutefois autant par ses clins d'œil que par ses diverses mises en abyme, formelles ou non. De la référence au plan séquence de La Soif du mal d'Orson Welles lors de la scène en split screen de la bombe dans le coffre de la voiture des Juicy Fruits, à la scène parodique de la douche empruntée à Psychose, en passant par les décors de la scène du Paradise créés par Jack Fisk (2) inspirés par Le Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene, ou le patronyme du bras-droit de Swan en hommage à Mary Philbin, interprète de Christine dans la version muette de Phantom of the Opera de 1925 avec Lon Chaney, De Palma offre une réflexion sur le cinéma étasunien contemporain. Au-delà de la thématique « voyeuriste » signalée par ces différents jeux de miroirs, écrans de contrôle, caméras et autres télévisions (3) qui rejoint celle de la manipulation citée plus haut, le cinéaste remet en cause de l'intérieur le manque d'ambition des Studios en mettant en scène un film sur le recyclage en recyclant le passé. Brillant.

 

Produit comme Sœurs de sang par Edward R. Pressman, Phantom of the Paradise offrit à William Finley son seul grand rôle. Après avoir interprété l'année précédente l'inquiétant docteur Émile Breton, cet acteur intimement lié aux longs métrages de la période new-yorkaise de De Palma, du court métrage Woton's Wake (1962) à Dionysus in '69 (1969), incarnait cette fois-ci un personnage ambivalent, le timide et gauche Winslow Leach se métamorphosant en le vengeur Phantom. Le visage défiguré masqué sous un casque en tête d'oiseau, le corps engoncé dans une combinaison de cuir et parlant d'une voix métallique (4), le Phantom pouvait désormais insuffler un vent d'anarchie dans l'univers de Swan. 

 

Film musical, Brian De Palma fit appel à Paul Williams pour composer ce mélange extravagant de pop, glam et hard rock 70's. Si le studio aurait volontiers confier le rôle de Swan à David Bowie, le choix de Williams d'incarner ce Dr Mabuse de l'industrie du spectacle s'avéra judicieuse tant son physique est à l'opposé de ce que l'on pouvait attendre de cette icône monstrueuse corrupteur d'âme (jeune ingénue au départ, Phoenix sous son influence devient une garce cynique et arriviste).   

Sorti aux Etats-Unis le 31 octobre 1974, après moult problèmes juridiques durant sa production (5), d'abord à New-York et Los Angeles, le film fut un échec. Film à part dans la filmographie de De Palma, Phantom of the Paradise, à l'instar du The Rocky Horror Picture Show l'année suivante, ne réussit pas à concilier le public rock et les fans d'horreur, avant de connaitre, l'un comme l'autre, une réévaluation auprès du public. 


 

Le coffret contient comme suppléments une présentation de Gerrit 'Beef' Graham, un entretien avec le réalisateur, un second de Paul Williams par Guillermo Del Torro, un retour sur les démêlées judiciaires qui poussèrent la production à changer le nom de Swan Song Enterprises à Death Records, une carte blanche à la costumière du film Rosanna Norton, une sélection de scènes coupées ou alternatives, six chansons en mode karaoké et le livre de 160 pages « Dr. Brian and Mr. De Palma » qui revient sur la genèse du film et regroupe un entretien avec le réalisateur et diverses analyses, agrémenté des paroles de toutes les chansons du film et de 40 photos d'archives.

CULTE.






Phantom of the Paradise | 1974 | 92 min
Réalisation : Brian De Palma
Production : Edward R. Pressman
Scénario : Brian De Palma
Avec : Paul Williams, William Finley, Jessica Harper, Gerrit Graham, George Memmoli
Musique : Paul Williams
Directeur de la photographie : Larry Pizer
Montage : Paul Hirsch
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(1) Le succès fut tel que la bande-originale fut certifiée disque d'or au Canada sur les seules ventes issues de Winnipeg !

(2) Avant d'incarner Carrie du même De Palma deux ans plus tard, Sissy Spacek fut pour le film décorateur ensemblier, et assista son futur époux Jack Fisk.

(3) Posté sur le toit, le Phantom regarde le couple s'ébattre mais une caméra de surveillance reliée à la chambre le surplombe. Swan jouit alors doublement de se regarder lui-même et de se (sa)voir regardé.

(4) En apprenant que son ami George Lucas rendit visite à Brian De Palma durant le tournage, on comprends rapidement de qui s'est il inspiré pour son Darth Vader.

(5) La production fut menacée de diverses poursuites : Universal détenait les droits du Fantôme de l'opéra, Swan Song Records, créé par Led Zeppelin, était une sous-division du label Atlantic Records et King Features avait un comics nommé Phantom.

Live report : Shabaka & the Ancestors @ La Maroquinerie, Paris, 28 mars 2017

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2017 l'année Shabaka Hutchings ? Sans nul doute, tant le saxophoniste britannique, figure de proue du renouveau de la scène jazz londonienne, après avoir multiplié les apparitions remarquées auprès de grands musiciens (Anthony Joseph, Sun Ra Arkestra, les Heliocentrics), alterne désormais à un rythme effréné les formations, les styles différents et les concerts en qualité de leader avec Sons of Kemet, The Comet is coming et Shabaka & the Ancestors (1). 

Bref retour en arrière. Découvert par le préposé à la chronique un soir de février 2015 où il accompagnait le susmentionné poète Trinidadien Anthony Joseph, la puissance et le souffle free de Hutchings avait déjà à l'époque fait forte impression et marqué les esprits. Cumulant depuis les expériences et les brassages culturels en tout genre, ce natif de Birmingham enregistrait cette même année à Johannesburg en Afrique du Sud l'album (en une journée) Wisdom of the Elders, premier de la formation Shabaka & the Ancestors, composé exclusivement de musiciens du cru. Psaume en neuf parties, fruit du voyage immersif du saxophoniste à travers le riche héritage musical du pays, Wisdom of the Elders s'inscrivait comme un des albums marquants de 2016. Rien de moins.

 

Après quatre concerts en terre Sud-Africaine en février dernier, Shabaka & the Ancestors entamaient fin mars, le 20 à Zurich en Suisse, le début de leur première tournée européenne, celle-ci se concluant le 9 avril au Brdcst Festival à Bruxelles en Belgique (2). Dernier des cinq concerts donnés dans l'hexagone, avant celui à Saint Denis de la Réunion (le 6 avril), le groupe s'arrêtait le 28 mars à Paris à la Maroquinerie. Un lieu globalement inattendu pour ce genre de concert, davantage habitué aux déflagrations rock, raison de plus dès lors d'y assister !

Entre prières et vibrations incantatoires, entre transes et fulgurances free, les six musiciens présents (3) ce soir là offrirent une prestation des plus spontanées et remarquables. Conviant la spiritualité d'un Coltrane aux débordements soniques d'un Sun Ra à la richesse harmonique d'un Ornette Coleman (4), Shabaka & the Ancestors revisitèrent au cours des quatre-vingt dix minutes du concert l'intégralité de Wisdom of the Elders, chaque musicien se distinguant par une réelle générosité et ce plaisir non feint de partager avec le public leur art.

 

Mémorable.

Pour les retardataires, les absents et les nouveaux convertis, Shabaka & the Ancestors reviendront sur Paris au New Morning le 20 juillet prochain dans le cadre de leur festival estival  « ALL STARS ». En attendant à cette même salle le 23 mai le passage de The Comet is coming, le trio psyché de jazz, d'électro, d'afrobeat et de punk de King Shabaka !
Plus de photos sur notre tumblr.



Shabaka & the Ancestors
Shabaka Hutchings (Saxophone ténor)
Mthunzi Mvubu (Saxophone alto)
Siyabonga Mthembu (Voix)
Ariel Zomonsky (Contrebasse)
Tumi Mogorosi (Batterie)
Gontse Makhene (Percussions)

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(1) Du 20 janvier au 26 mai on dénombre sur son site officiel pas moins de quarante-six concerts avec ses trois formations actuelles et le groupe autrichien Shake Stew

(2) Le lendemain, le 10 avril, Shabaka Hutchings revenait en France au New Morning pour un concert complet avec cette fois-ci son brass band punk Sons of Kemet !

(3) De l'octette originel manquait à l'appel le trompettiste Mandla Mlangeni et le pianiste/organiste Nduduzo Makhathini.

(4) Impression renforcée par la présence du seul musicien blanc du sextette, le contrebassiste Ariel Zomonsky, rappelant évidemment son honorable pair Charlie Haden. 

La vierge des tueurs - Barbet Schroeder (1999)

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Dans le cadre de la rétrospective Barbet Schroeder qui se tient au Centre Pompidou du 21 avril au 11 juin 2017, Carlotta édite le 26 avril prochain un coffret collector DVD & Blu-Ray consacré au cinéaste suisse incluant cinq longs métrages, réalisés entre 1974 et 1999 : Général Idi Amin Dada, Autoportrait, Maîtresse, Koko, le gorille qui parle, Tricheurs et celui qui nous intéresse, La vierge des tueurs dans une version restaurée. Ajoutons à ce coffret la sortie simultanée, des Charles Bukowski Tapes (pour la première fois en DVD) ou l'intégralité des cinquante entretiens réalisés par Barbet Schroeder avec l'auteur Des contes de la folie ordinaire, trois années avant leur projet commun, le désormais classique Barfly (1987).

Après trente ans d'absence, l'écrivain Fernando Vallejo (Germán Jaramillo) qui a perdu le goût de vivre revient à Medellín pour y mourir. Dans un bordel de garçons tenu par une de ses plus anciennes connaissances, il rencontre Alexis (Anderson Ballesteros), un adolescent de seize ans issu des quartiers pauvres. Une relation d'amour s'établit immédiatement entre le vieil écrivain et le jeune homme. Dernier survivant d'un gang dont tous les membres ont été éliminés, désormais condamné à mort par une bande rivale d'un autre quartier, la vie d'Alexis à l'instar de celle de Fernando est en sursis. Ils s'installent ensemble chez Fernando, passant leurs journées à déambuler dans la ville gangrenée par la violence. Malgré les protestations de Fernando, Alexis tue plusieurs fois pour le défendre, le poussant irrémédiablement vers une spirale morbide à l'issue fatale…

 

Sélectionné à la Mostra de Venise en 2000, La vierge des tueurs est né du souhait récurrent de Barbet Schroeder de pouvoir tourner un film dans son pays de cœur, la Colombie, où il y passa cinq années de son enfance. Après deux décennies à chercher un écrivain colombien à la fois capable d'écrire un scénario, et d'être intéressé par un projet de film, le cinéaste suisse fit la découverte de Fernando Vallejo. Un véritable choc pour Schroeder qui place l'œuvre du colombien au même niveau que celle de Charles Bukowski. L'écrivain lui proposa dès lors d'adapter son livre semi-autobiographique La vierge des tueurs. Passé de très longues négociations du propre aveu du réalisateur avec Vallejo sur le nombre de meurtres à garder (le seuil des dix-huit meurtres du livre apparaissant insurmontable pour Schroeder), un scénario original fut finalement écrit. Car contrairement à ce que pourrait laisser transparaître le film, aucune ligne de dialogue n'est improvisée, au mieux certaines furent ajoutées lors du tournage telles celles du jeune frère vengeur d'Alexis après son exécution. Ne restait plus qu'à trouver les interprètes de ce film pensé 100 % colombien, à savoir, Germán Jaramillo un acteur de théâtre, et Anderson Ballesteros, un jeune vendeur d'encens recommandé par l'ami de Fernando qui lui avait présenté le vrai Alexis.

Réalisé en marge de sa période hollywoodienne (en 2002, il signa en guise de dernier chapitre Calculs meurtriersavec Sandra Bullock et Ryan Gosling), La vierge des tueurs s'inscrit comme une histoire d'amour tragique dénuée de tout sensationnalisme. D'une romance homosexuelle traitée comme un fait donné, sans préjugé, sentimentalisme ou militantisme, Barbet Schroeder se fonde avant tout sur une approche naturelle. Tourné dans les conditions du documentaire, témoin de la réalité brute de Medellín La vierge des tueurs fut ainsi filmé principalement au Steady Cam. Mieux, le long métrage se distingue par la volonté de son réalisateur à tourner en haute définition, une première à l'époque, et une norme désormais, cette nouvelle technologie offrant un caractère immersif inédit par la qualité et la netteté de sa profondeur de champ. Personnage à part entière du récit, la ville Medellín occupe désormais en permanence chaque plan tel que le voulait le cinéaste. 

 

Ancré dans la réalité par ses diverses musiques d'ambiance, salsa, boléro, tango, La vierge des tueurs se singularise également par ses passages oniriques, le faisant basculer du côté de l'irréel, appuyé par la musique originale signée par Jorge Arriagada, collaborateur de Raoul Ruiz ; un aspect surnaturel mis en image lors de la scène hallucinatoire où Fernando aperçoit des ruisseaux rouges du sang de son amant se jetant dans un lagon bleu. De par son travail sur la couleur, le jaune, le bleu et le rouge (celles du drapeau colombien) sont omniprésents (tandis que la couleur orange est bannie), Schroeder conforte son parti pris de départ, traiter cette réalité crue par la fiction à travers un travail esthétique « hollywoodien » et un personnage principal qui n'est pas sans évoquer celui de James Stewart dans le Vertigo d'Alfred Hitchcock

En guise de suppléments, le DVD/Blu-Ray propose, à l'instar des autres films du coffret, un entretien inédit avec Barbet Schroeder par Jean Douchet, et un making-of où sont évoquées notamment les difficultés liées au tournage dans la ville de Medellín (le film fut tourné sans assurance sous la protection deux gardes du corps).

Drame hanté par la mort et la souffrance d'un homme, miroir d'une ville rongée par la violence et la drogue, La vierge des tueurs s'inscrit comme l'une des plus belles réussites Barbet Schroeder.

A voir.





Crédit Photos : La vierge des tueurs © Les films du Losange. Tous droits réservés.


La virgen de los sicarios (La vierge des tueurs) | 1999 | 101 min
Réalisation : Barbet Schroeder
Scénario : Fernando Vallejo d'après son roman "La Virgen de los sicarios"
Avec : Germán Jaramillo, Anderson Ballesteros, Juan David Restrepo, Manuel Busquets
Musique : Jorge Arriagada
Directeur de la photographie : Rodrigo Lalinde
Montage : Elsa Vásquez
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