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Il était une fois en Amérique (Once upon a time in America) - Sergio Leone (1984)

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Ressorti par Carlotta dans les salles françaises en version restaurée en juin 2011 (1), le dernier chef d'œuvre de Sergio Leone, Il était une fois en Amérique, réapparaît de nouveau sur grand écran mercredi prochain, par l'intermédiaire du même éditeur avisé, dans une version inédite incluant vingt deux minutes supplémentaires. Disponible depuis septembre dernier outre-Atlantique en DVD et Blu-Ray, cette ultime version se rapproche au mieux de celle souhaitée par le réalisateur. Perdues, puis retrouvées à partir d'une pellicule positive utilisée comme copie de référence, et enfin restaurées par L'Immagine Ritrovata et la Cineteca di Bologna, ces scènes coupées furent réinsérées avec l'aide des collaborateurs de l'époque et de la famille du metteur en scène. 

Tourné entre le 14 juin 1982 et le 22 avril 1983, et présenté en avant-première à Cannes l'année suivante dans une version de 229 minutes, l'exploitation d'Il était une fois en Amérique connut des fortunes diverses. Devant par contrat livrer un métrage d'environ 2 heures et 45 minutes, les distributeurs étasuniens (2) coupèrent drastiquement le film pour n'en retenir qu'une version expurgée d'environ 139 minutes. Pire, non contents d'ôter des scènes, les studios changèrent également la structure narrative pour ne retenir que l'ordre chronologique de l'histoire. Victime de cette purge, l'enfance des personnages fut sacrifiée au profit des scènes relatant l'âge adulte. Ironie du sort, cette version aseptisée étasunienne, assainie de toutes volutes opiacées, et au récit supposé clarifié, fut un véritable échec critique et public, tandis que la version européenne de 229 minutes fut célébrée comme le parachèvement de l'œuvre de Leonienne et un sommet de l'histoire du cinéma

 
  
Adaptation du roman The Hoods d'Harry Grey, Il était une fois en Amérique relate la vie de David 'Noodles' Aaronson (Robert de Niro) et de sa bande, de leur délinquance dans le quartier juif de Brooklyn, au gangstérisme de la fin de la Prohibition, jusqu'au retour new-yorkais de Noodles, après trente cinq années d'exil à la suite de l'exécution de ses anciens amis un soir de 1933. Chronique désenchantée, le film s'inscrit une fois de plus, de la part de son auteur italien, dans la démystification d'une période de l'Amérique, celle de l'avènement du grand banditisme des années 30. Au-delà de sa reconstitution du New-York du Lower East Side, de son esthétisme exceptionnel ou de sa distribution, Il était une fois en Amérique marque davantage par sa dimension nostalgique et la mélancolie qui en découle, de ces portraits tragiques de vies gâchées, à ces amours perdus sacrifiés par la violence. Complexe, la structure non linéaire du récit s'inspire, du propre aveu de Leone, des effets que peuvent provoquer l'opium sur l'inconscient. Le scénario s'attache dès lors à dépeindre les souvenirs et les visions de Noodles, réfugié dans une fumerie d'opium clandestine après le meurtre de Max, Patsy et Cockeye. Ambitieux tant par le fond que par la forme, ce dernier long métrage qui deviendra son testament est également le film le plus personnel de Sergio Leone, les rêveries opiacées de Noodles se conjuguant aux rêves cinématographiques de son auteur (3).

Des nouvelles scènes ajoutées, force est de constater, et malgré le soin et les efforts apportés par L'Immagine Ritrovata et la Cineteca di Bologna, que ces dernières du fait de leur qualité détériorée sont facilement visibles. De quoi laisser penser que ces ajouts n'ont qu'une utilité commerciale ? Nullement, car celles-ci transcrivent à un plus haut degré la perception de Sergio Leone, et permettent de mieux comprendre certains personnages à l'instar de Eve, la compagne de Noodles, ou Jimmy Conway.

 

Parmi les sept scènes supplémentaires, on retiendra en particulier dans cette nouvelle version celle décrivant la  première rencontre, succédant dans la soirée au catastrophique rendez-vous (4) avec Deborah (Elizabeth Mcgovern) et à son viol, entre Noodles et Eve interprétée par Darlanne Fluegel. Saoul, Noodles se fait aborder par une prostituée nommée Eve. La scène est d'autant plus tragique, que le frustre Noodles la nomme Deborah, et fera preuve d'une tendresse qu'il était incapable d'offrir à son amour d'enfance. D'autres scènes coupées s'attachent à expliciter comment le vieux Noodles fait le lien entre sa vie passée et le ministre Bailey : au mausolée, il fait la connaissance de la directrice du cimetière (Louise Fletcher) et constate qu'une voiture le suit, celle-ci explosant, peu de temps après, devant ses yeux au sortir de la propriété du ministre. Enfin quelques minutes avant l'entrée de Noodles dans le bureau de Max / Bailey (James Woods), nous sommes les témoins d'une conversation entre le ministre déchu et le leader syndical joué par Treat Williams. Loin de son ancien sobriquet "les mains propres", Conway est devenu cynique et corrompu. Donnant plus d'indications sur les malversations financières dont les deux hommes sont les acteurs, la position de Bailey apparaît manifeste : sa mort est attendue pour la soirée.

A défaut d'être essentielles (elles ne bouleversent en rien notre jugement vis à vis d'Il était une fois en Amérique), ces nouvelles scènes enrichissent et approfondissent ce classique du cinéma. Mieux, elles rendent justice à Sergio Leone.





Once Upon A Time In America (Il était une fois en Amérique) | 1983 | 251 min
Réalisation : Sergio Leone
Production : Arnon Milchan
Scénario : Sergio Leone, Leonardo Benvenuti, Piero De Bernardi, Enrico Medioli, Franco Arcalli, Franco Ferrini d'après le roman d'Harry Grey "The Hoods"
Avec : Robert De Niro, James Woods, Elizabeth Mcgovern, Joe Pesci, Burt Young, Treat Williams, Danny Aiello, William Forsythe, Jennifer Connelly
Musique : Ennio Morricone
Directeur de la photographie : Tonino Delli Colli
Montage : Nino Baragli
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(1) 2011 ou l'année de la présidence du jury au Festival de Cannes par Robert de Niro.

(2) Difficile de ne pas penser à Blade Runner de Ridley Scott puisque le ou les responsables sont les mêmes : la Ladd Company ou la Warner.

(3) Il était une fois en Amérique n'en reste pas moins un hommage aux anciens films de gangster : Little Caesar, Cry of the City, Angels with Dirty Faces, Dead End, etc. 

(4) En préambule à ce rendez-vous, il existe dans cette version une conversation entre Noodles et le chauffeur, joué par le producteur Arnon Milchan.


Cinquante nuances de Grey - Sam Taylor-Johnson (2015)

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Fort du succès littéraire de la trilogie, il était évident que Cinquante nuances de Grey allait être vite adapté sur grand écran, et pouvait-il en être autrement, les droits ayant été cédés dès mars 2012 à Focus Features et Universal (le premier roman a été publié aux Etats-Unis en juin 2011). Aussi générationnel, du moins vendu comme tel, que pouvait l'être Twilight (1), certaines mauvaises langues allant jusqu'à insinuer que le public visé serait le même, à savoir de jeunes dames ayant troqué leur désir frustré pour le vampire d'obédience mormone Edward Cullen pour une bonne fessée prodiguée par le jeune et fringuant tycoon cynique Christian Grey (mais n'allons pas trop vite), Cinquante nuances de Grey - le film fut présenté en avant-première à la Berlinale avant d'envahir stratégiquement les cinémas du monde entier la semaine de la saint Valentin (2). Deuxième film le plus rentable à l'heure actuelle pour l'année 2015 (3), et ceci en dépit d'un bouche-à-oreille catastrophique et sanctionné par une chute notable des fréquentations (plus de 70%) pour sa deuxième semaine en salle aux USA, ces Cinquante nuances auront au moins eu le mérite de remplir les bourses de certains, à défaut d'émoustiller les autres. 

Etudiante en littérature anglaise, Anastasia Steele (Dakota Johnson) remplace au pied levé sa colocataire et amie Kate, et part interviewer l'homme d'affaires Christian Grey (Jamie Dornan) pour le journal de son université. Séduite et intimidé par cet homme de six ans son aîné, celui-ci va rapidement proposer à la naïve et innocente Ana une relation particulière, basée sur la domination et la soumission, et régie par les clauses d'un contrat qui lui est demandé de signer. Ana lui avoue être encore vierge. Décidé à « rectifier la situation » avant d'aller plus loin, Christian lui offre sa première relation sexuelle...

Attention. Cet homme ne fait pas l'amour. Il baise

Rarement un film prétendument sulfureux, du moins présenté de la sorte, n'aura paru si convenu et si tristement morne. Apôtre d'un romantisme ranci à la morale pathétique (voire nauséabonde - il s'agit ni plus ni moins d'un homme qui attendait une vierge consentante pour assouvir ses désirs de domination - amies rétrogrades bonsoir), Cinquante nuances de Grey ne décevra par contre nullement celles et ceux qui voulaient goûter, en tout état de cause, à un consommé de navet relevé d'un léger soupçon sadomaso en toc. Libre à chacun de choisir, de temps en temps, un concentré de malbouffe pour mieux se rappeler le parfum enivrant de mets autrement plus savoureux et transgressifs. Quant à celles venues s'encanailler sur le dos d'un érotisme moribond, autant l'écrire tout de suite, on aura plus d'empathie pour celles qui cherchaient en vain une alternative à la sempiternelle comédie romantique cul-cul la praline. Las.

 Trois fessées cul nu au programme sur les genoux de monsieur : bienvenue dans son monde
 
Faut-il être ainsi à ce point frustré(e) ou inexpérimenté(e) à l'instar de notre héroïne pour ressentir le moindre trouble devant le triste programme proposé : des situations aux jeux des deux acteurs principaux, rien n'éveille au désir, à l'exception des quelques nécrophages venus se repaître devant ce spectacle morbide. Éludons dès à présent le cas de Jamie Dornan, interprète de sieur Grey (4) (à sa décharge, il n'est qu'un second choix, puisque l'acteur Charlie Hunnam de Sons of Anarchy s'est fait porter pâle) pour nous intéresser à la progéniture de Don Johnson et Melanie Griffith, soit l'un des couples les plus bandants des années 80. Son rôle d'Anastasia Steele n'avait pas vocation à concurrencer les Holy Body et Audrey Hankel jouées par sa piquante maman en d'autres temps (5). Cependant consentons toutefois à la trouver tout simplement à côté de la plaque, certes moins constipée qu'une Bella / Kirsten Stewart, mais pas plus concernée ou juste. Ajoutons des dialogues aussi relevés qu'un plat de blettes mal décongelé (6) (« c'est tellement triste cette musique. Quand tu joues du piano, c'est triste ») et où un des rares arguments comiques revient à troquer une permission de fist-fucking contre une soirée cinéma hebdomadaire, ces Cinquante nuances n'inspire en somme que l'ennui, brisé par moment par un rire nerveux devant tant de ridicule.

 Et la question pourquoi ? Parce qu'il a cinquante nuances de tourments (de fucked up en VO svp) ! Imparable.

De ce néo 9 semaines ½ du pauvre, que retenir finalement, à part un long soupir, pas grand chose. La romance sent le faisandé (7), l'érotisme le renfermé (8), et le SM prend la pose (9). 

Bref, ça faisait longtemps que le docteur Furter ne s'était pas enfilé un si gros navet.

En attendant des nuances plus sombres...



Fifty Shades of Grey (Cinquante nuances de Grey) | 2015 | 125 min
Réalisation : Sam Taylor-Johnson
Scénario : Kelly Marcel d'après le roman de E.L. James
Avec : Dakota Johnson, Jamie Dornan, Jennifer Ehle, Eloise Mumford, Victor Rasuk
Musique : Danny Elfman
Directeur de la photographie : Seamus McGarvey
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(1) Le roman est d'ailleurs issu à l'origine d'une fanfiction de Twilight...

(2) Les sorties des deux autres volets sont déjà programmées pour coïncider de nouveau avec cette date en 2017 et 2018. Marketing is my business, and my business is good.

(3) « Quatorze fois la mise de fond ! » me souffle, en cachant difficilement son émotion qui déborde, notre agent comptable.

(4) Dire que monsieur Grey a le même prénom que Christian 'super queutard' Troy...

(5) Soit les héroïnes du thriller Body Double (1984) de Brian de Palma et de la comédie Dangereuse sous tous rapports (Something Wild) (1986) de Jonathan Demme.

(6) C'était la dernière image culinaire de la chronique de ce film sans saveur. Pouf pouf.

(7) Comme une grosse envie de se pincer le nez en constatant que l'ami amoureux d'Ana n'est autre qu'un dénommé José Rodriguez. Au moins la minorité visible n'est pas morte dans un accident.

(8) Des scènes torrides accompagnées par le meilleur du pire de la soupe à quelques exceptions près (Rolling stones et Sinatra). Qui s'attendait à entendre Closer de NIN ou l'intégrale de Die Form ? Sérieusement...

(9) Pouet pouet.

Cronico Ristretto : Dave Holland & Prism - New Morning, Paris, 5 mai 2015

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Vu une première fois par le préposé à la chronique il y a tout juste dix ans, quand le contrebassiste Dave Holland était accompagné de son quintette (1) constitué du vibraphoniste Steve Nelson, du tromboniste Robin Eubanks, du batteur Nate Smith et de son fidèle saxophoniste Chris Potter, son passage annoncé au New Morning et l'excellent souvenir de ce mémorable concert rouennais pouvaient difficilement laisser indifférent. Dont acte.

Premier britannique à compter dans les rangs de la formation électrique de Miles Davis au tournant des années 60-70, quand le trompettiste enregistra les retentissants et fondateurs In A Silent Way et Bitches Brew (2), le musicien Dave Holland signa justement en 2013 avec Prism un disque d'autant plus notable, que celui-ci rappelait le groove davisien de ses jeunes années, sans céder toutefois aux sirènes d'une stérile nostalgie.


De cette formation originale baptisée du même nom que le dit album, le contrebassiste s'entoura une fois encore d'un casting impeccable, croisant ancien, récent et nouveau sideman : le retour du guitariste Kevin Eubanks, frère de Robin, avec qui Holland enregistra il y a un peu plus de vingt ans le très remarqué Extensions, la nouvelle participation depuis Pass It On (2008) d'Eric Harland ou l'un des plus talentueux et incontournables batteurs des années 2000, et enfin le claviériste et pianiste Craig Taborn, comparse de Chris Potter depuis presque dix ans, soit un nouveau partenaire de jeu idéal pour ce versatile et aventureux jazzman.


Comme attendu, le concert de ce 5 mai fit la part belle au métissage des genres, brassant autant les influences extra-jazz (funk, blues, rock) que les orchestrations (tantôt électrique par la guitare et le Fender Rhodes, tantôt acoustique par la contrebasse et le piano). Or si la prestation en studio du quartette faisait déjà l'unanimité, les deux sets joués furent d'un tout autre calibre. Menée tambour battant par la batterie explosive d'Eric Harland (3), la formation de Dave Holland débordait d'une énergie rare autour des claviers funky de Craig Taborn et la guitare bluesy de Kevin Eubanks. Passé un tour de chauffe d'une heure, la première partie céda sa place à un assourdissant second set de soixante-quinze minutes de musique non-stop, où Dave Holland et consorts remirent d'une certaine manière les pendules à l'heure en redéfinissant à eux seuls ce qu'aurait dû être le jazz fusion.

Grosse claque. En attendant (on l'espère) un nouvel album de cette enthousiasmante formation.
  


Dave Holland & Prism
Dave Holland (Contrebasse)
Kevin Eubanks (Guitare)
Craig Taborn (Fender Rhodes, piano)
Eric Harland (Batterie)
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(1) Le quintette enregistra par la suite l'album Critical Mass qui sortit l'année suivante en 2006.

(2) Le second étant bien sûr le guitariste John McLaughlin. A noter que Dave Holland participa également à l'album précédent, Filles de Kilimandjaro

(3) Une deuxième grosse caisse à sa gauche servait d'appoint à la charleston.

L'invention de Morel - Claude-Jean Bonnardot (1967)

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Adapté du roman argentin du même nom, La invención de Morel, édité en 1940 et signé par l'auteur Adolfo Bioy Casares, L'invention de Morel s'inscrit comme un cas relativement unique dans le paysage culturel français. Produit et réalisé pour la télévision, ce film diffusé en décembre 1967, non content d'être un des tout premiers tournés en couleur, fait figure d'OTNI (Objet Télévisuel Non Identifié) tant son contenu s'éloigne des usuelles fictions produites par jadis l'ORTF. Edité en DVD par l'INA depuis 2012 sous la collection Les inédits fantastiques (1), L'invention de Morel n'est pas sans évoquer les autres essais fantastiques et science-fictionnelles qui seront réalisés quelques années après par d'autres auteur français à l'instar du Je t'aime je t'aime d'Alain Resnais ou Le temps de mourir d'Alain Farwagi. Mais n'allons pas trop vite.

11 janvier 1935. Débarqué depuis la veille, Luis (Alain Saury) est venu se cacher sur une île lointaine, Villings, dans l'archipel des Ellice. L'île est désormais abandonnée de tous, et nul ne s'y approche depuis que l'équipage et les passagers d'un bateau furent retrouvés morts, atteints d'une « maladie mystérieuse qui tue de la surface vers le dedans ». Dans cette île déserte subsiste néanmoins d'anciens vestiges modernes ; s'y dresse au nord, non loin d'un oasis, un hôtel particulier qualifié de « musée » avec piscine construit en 1925. Prisonnier et seul, n'ayant plus aucun moyen de repartir, Luis s'adapte tant bien que mal à cette nouvelle vie. Deux semaines après son arrivée, il découvre par surprise la présence de visiteurs. Habillés de vêtements semblables à ceux que l'on portait dix ans plutôt, ces derniers ne lui prêtent aucune attention. Invisible aux yeux de tous, Luis s'éprend au fil du temps d'une jeune femme, Faustine (Juliette Mills). Mais celle-ci, à l'instar de ses compagnons, ne le voit pas. Détail encore plus troublant, les faits et gestes de ses visiteurs se répètent et se déroulent de manière identique chaque semaine. Un soir, le maître des lieux, le dénommé Morel (Didier Conti), avoue lors d'un dîner avoir créé une machine qui enregistre la vie dans toutes ses dimensions...
   
 

A la fois récit fantastique et conte philosophique, L'invention de Morel surprend encore plus de quatre décennies après sa diffusion. Certes, l'intérêt premier suscité par ce téléfilm provient de son récit originel, mais on aurait pourtant tort de minorer les qualités de cette adaptation fidèle signée par la paire Claude-Jean Bonnardot et Michel Andrieu. Le film n'écarte en rien les thèmes principaux du roman que sont l'amour, la mort, et par extension la question de l'immortalité et de son prix.

Doté d'un budget relativement appréciable (comprendre : pour une production télévisuelle française des années 60), si les scènes situées dans et autour du dit musée furent filmées en studio, le caractère factice de certains décors, et en particulier le jardin autour de la propriété de Morel, pouvant difficilement faire illusion, une partie du tournage de L'invention de Morel fut néanmoins réalisée en extérieur. Mieux, Bonnardot évite le piège du théâtre filmé, sa caméra nullement statique suit au plus près les mouvements mécaniques des protagonistes, ainsi que l'entrée et la difficile acclimatation du narrateur à cette île mystérieuse.

Point plus dissonant que l'artificialité des décors, celle du jeu des acteurs secondaires (2) nous rappelle qu'il s'agit bien d'une production de l'ORTF : daté, théâtral ; l'interprétation accuse malheureusement un sérieux coup de vieux. Reste Alain Saury, parfait en fugitif décidé à découvrir le fonctionnement de la machine pour vivre éternellement aux côtés de sa bien-aimée Faustine.

 

Mais le seul véritable regret, le terme défaut serait disproportionné et mal venu, vient du manque d'audace formelle de cette adaptation. Limité tant par sa production que par le diffuseur, le montage de L'invention de Morel aurait sans doute gagné à expérimenter plus. Le roman fut l'une des sources d'inspiration du long métrage d'Alain Resnais, L'année dernière à Marienbad, Lion d'or en 1961. Or difficile de ne pas faire le rapprochement entre ce scénario, et ce qu'aurait pu donner le film avec le montage déconstruit de Je t'aime, je t'aime sorti l'année suivante.

A noter enfin que le roman de Casares fut une seconde fois adapté, pour le grand écran cette fois-ci, en 1974 par le réalisateur italien Emidio Greco avec dans le rôle de Faustine, Anna Karina.

A découvrir.




L'invention de Morel | 1967 | 95 min
Réalisation : Claude-Jean Bonnardot
Scénario :  Michel Andrieu d'après le roman d'Adolfo Bioy Casares
Avec : Alain Saury, Juliette Mills, Didier Conti, Anne Talbot, Jean Martin,
Directeur de la photographie : Georges Leclerc
Montage : Lucienne Barthélemy
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(1) Autre curiosité de la collection : l'adaptation télévisuelle d'E.C. Tubb, Le navire étoile, par Alain Boudet et Michel Subiela en 1962.

(2) On retiendra le visage familier de Jean Martin, connu du grand public pour son rôle du commissaire divisionnaire Sabin dans Peur sur la ville (1975) d'Henri Verneuil, et bien sûr dans celui du Colonel Mathieu dans La bataille d'Alger (1966) de Gillo Pontecorvo.

Commando - Mark L. Lester : Tribute to Bennett (1985)

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Que sait-on finalement du capitaine Bennett ? Peu de choses. Des bribes. A nous de les recomposer et de rendre un hommage appuyé à cet homme dont la réputation fut ternie par un ex-allemand de l'Est, à la solde de l'impérialisme nord-américain, un colonel des Forces spéciales à la retraite connu sous le nom d'emprunt de John Matrix.

Resté à jamais graver dans la mémoire des fans de gilet en cotte de mailles, Bennett, dont l'extrême modestie le poussa à ne jamais divulguer son prénom, souffre d'un procès d'intention qui a trop duré depuis trois décennies. Il était temps de mettre en lumière, et avec une objectivité certaine, les qualités mais également les coups bas reçus par cet héroïque soldat, qui rappelons le, n'avait pas besoin d'arme à feu pour battre ses ennemis. 

Rappel des faits. Expulsé par Matrix de son unité au cours d'une périlleuse mission à Val Verde, dont le dessein était de destituer le bon président Arius au profit du fantoche et servile Velásquez, Bennett n'eut pas droit à une retraite dorée pour services rendus à la nation. Pire. Professionnel et passionné par son travail, le capitaine Bennett ne récolta qu'incompréhension et jalousie auprès de ses supérieurs. Rendu à la ville civile, notre homme entama une nouvelle carrière. Désormais marin pêcheur, propriétaire d'un modeste bateau, Bennett attendait patiemment que la destinée lui offre une seconde chance en la personne du président destitué Arius.
 
  
Parmi les griefs retenus contre lui, il est souvent souligné sa supposée soif de vengeance. Grave erreur de jugement, il s'agit davantage le besoin de réparer une injustice, quand bien même pour se faire il faudra kidnapper la fille de son ancien colonel pour lui faire admettre ses anciens torts. Bennett, corrompu ? Au contraire, c'est un homme de conviction, refusant même les cent mille dollars que lui proposait Arius. Enfin passé maître dans le maniement du poignard, si celui-ci accuse une légère méforme au niveau de la silhouette, il peut toutefois compter sur son intelligence intacte et son sens aiguë de la stratégie : "j'ai un atout maître. J'ai sa fille".
   
Malheureusement, non content de mal supporter le poids des années "tu te fais vieux, John", Matrix est également adepte de méthodes expéditives. La mission était pourtant simple. Il suffisait d'éliminer Velásquez à Val Verde, et sa fille Jenny lui serait rendue saine et sauve. Las. Mauvais compétiteur et tricheur, le colonel prit en otage une hôtesse de l'air afin de se jouer de Sully, avant de revenir sur sa parole et de le supprimer lâchement "J'avais promis de te tuer en dernier, non ? J'ai menti". Ajoutons à cela, sa jalousie maladive, contrarié par sa rupture avec Bennett, Matrix prend désormais un malin plaisir à détruire les amitiés viriles : adieu Sully, adieu Henriques (alors que ce dernier s'était justement proposé pour lui tenir compagnie pour le vol Los Angeles/Val Verde). Quelle ingratitude. Une cinquantaine de morts plus tard, feat. faux soldats moustachus mais vrais patriotes aimant trancher les gorges des petites filles comme du beurre chaud, trampolines cachés et destruction de maquettes en balsa, Matrix retrouvait finalement son Bennett "Bienvenue, John. Content que tu sois au rendez-vous". Or la suite était prévisible et programmée.

    

Acte I : remettre en cause la virilité de Bennett (1) "Jette ton arme, trouillard". Le piège était tendu. Matrix et son trio de scénaristes n'avaient plus qu'à récolter leur fruit. Acte II : lui promettre moult plaisir lorsque son couteau s'enfoncerait dans la chair de Matrix. Acte III : lui faire perdre son atout maître et son pistolet "J'ai pas besoin de ta fille. Pas besoin d'une arme non plus, John". Épilogue : une cruelle tragédie s'abat sous nos yeux impuissants. Le combat loyal tant espéré n'est qu'une illusion, car malgré la dextérité de notre héros et sa capacité à supporter les électrocutions, c'était sans compter une fois de plus sur la ruse malsaine de Matrix. Bennett était condamné à mourir. "Crache ta vapeur" furent ainsi les derniers mots plein de morgue et d'arrogance qu'il entendit. Dégueulasse. C'était pas non plus sa guerre.

En bonus : Quelques gifs de Bennett sur notre tumblr.

Verdict du Nanarotron : 


Commando | 1985 | 92 min
Réalisation : Mark L. Lester
Production : Joel Silver
Scénario : Steven E. de Souza d'après une histoire de Jeph Loeb, Matthew Weisman & Steven E. de Souza
Avec : Arnold Schwarzenegger, Rae Dawn Chong, Dan Hedaya, Vernon Wells, Alyssa Milano
Musique : James Horner
Directeur de la photographie : Matthew F. Leonetti
Montage : Glenn Farr, Mark Goldblatt & John F. Link
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(1) Et de fait la nouvelle apparence vestimentaire de son ex-capitaine : sa moustache, son pantalon en cuir et son gilet en maille.

La bête dans l'espace - Al Bradley (Alfonso Brescia) (1980)

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Figure oubliée de l'âge d'or du cinéma d'exploitation italien, dont il fut l'un des témoins privilégiés en réalisant pas moins d'une quarantaine de longs métrages entre les années 60 et 80 (1), Alfonso Brescia, plus connu des initiés sous le pseudonyme Al Bradley, méritait bien que l'on s'y attarde davantage. Après avoir fait ses gammes avec trois péplums, dont le bien nommé Goldocrack à la conquête de l'Atlantide (1965), Brescia fit donc sa révérence aux culturistes en jupette pour se lancer par la suite dans le western. La mode passée, les pistoleros cédèrent leur place à des thématiques plus dispersées (dont en 1971 la sexy comédie La vie sexuelle de Don Juan avec la débutante et prometteuse Edwige Fenech), avant que n'arrive sur les écrans du monde entier Star Wars, et sa cohorte de clones fauchés. Responsable d'une trilogie fleurant bon la récupération et l'opportunisme (2) entre 1977 et 1978 : La guerre de l'espace, La bataille des étoiles et La guerre des robots, Brescia continua néanmoins à diversifier en parallèle ses sujets, tel le polar camorriste, autre sujet de prédilection du romain. Au plus fort de sa production, l'homme signa ainsi pas moins de quinze films entre 1978 et 1981, dont en 1979 et 1980, deux nouvelles incursions dans la SF bon marché, Space Odyssey, et celui qui nous intéresse : La bête dans l'espace (La bestia nello spazio).

Dans le futur, Larry Madison (Vassilli Karis), capitaine de la flotte spatiale, reçoit pour mission de conquérir la planète Lorigon afin d'y trouver un des métaux les plus précieux, l'Antalium, élément nécessaire pour fabriquer les armes à neutrons. Parmi les membres d'équipage qui lui sont présentés, Madison croise par surprise la dénommée Sondra (Sirpa Lane), officier de route, que le capitaine avait séduit quelques temps plus tôt dans un bar. Après leur étreinte passionnée, la jeune femme lui avait ainsi confié qu'elle faisait chaque soir le même cauchemar. Au début, perdue dans une forêt inconnue, Sondra rejoint un château où elle est conviée à un banquet. Puis le maître des lieux l'invite à sortir dans les bois, et commence à la caresser, à l'embrasser, puis à la déshabiller avant qu'elle ne réveille à chaque fois terrorisée. Or une fois atterrie sur Lorigo, Sondra constate que la planète ressemble étrangement à son rêve...

  
 Bienvenue à bord !

Coécrit par Aldo Crudo, avec qui Alfonso Brescia collabora plusieurs fois au cours de la décennie 70 (3), La bête dans l'espace s'éloigne un tant soit peu, et comme pouvait le laisser présager son titre, d'un basique space opera inspiré par l'œuvre de Lucas pour lorgner vers une adaptation science-fictionelle de La bête de Walerian Borowczyk. Non content d'emprunter l'actrice principale du film précité, la paire italienne reprit ni plus ni moins les grandes lignes du récit originel de Borowczyk, en y ajoutant à l'arrache plusieurs éléments issus à la fois de leur précédent métrage La guerre des robots, et du classique de Mario Bava, La planète des vampires. Toutefois, ce croisement n'aurait eu que peu d'intérêt pour le spectateur déviant si celle-ci n'avait pas été pimentée de quelques scènes érotiques... et inserts pornographiques en sus dans sa version XXX . Machiavélique.

-Vous savez quoi ? Je suis déçu ! Je m'attendais à  quelque chose de plus menaçant !
-Vous ne devriez pas sous-estimer ce petit jouet !

Mieux, ce cinquième film du genre mis en scène par Brescia lui permet de mettre en pratique son art particulier du recyclage en remixant divers éléments appartenant à ses précédents films SF : scénario, costumes, décors, effets spéciaux et acteurs (Claudio Undari et Vassili Karis). Cependant, ce qui pouvait laisser apparaître comme les prémisses d'une conscience liée au développement durable adapté au 7ème art, s'avère très vite être plutôt le fruit d'une économie de moyens sinon frauduleuse, du moins drastique, à faire passer les séries télévisuelles des années 60-70 (Star TrekCosmos 1999, Buck Rogers ou Galactica) pour des superproductions, le décollage ou la salle de commande de la navette spatiale en laissera ainsi plus d'un sur le carreau devant tant de minimalisme jusqu'au-boutiste. Quant aux hommes d'or, symbiose réussie entre feu Brian Jones et la Grande Sauterelle Mireille Darc, ces robots et gardiens de Lorigo qui répondent aux ordres du seul vrai maître de la planète, le superordinateur Zocor, en plus de provenir directement du précédent Space Odyssey, les amateurs apprécieront leur dextérité au combat ainsi que le maniement de leur épée lumineuse. A peu de choses près. Seule réelle concession à Star Wars, le personnage de Venantino Venantini n'est pas sans rappeler Han Solo, le charme latin en plus : "Mon nom est Juan. [...] Vous êtes fabuleuse ! Vous êtes sur le point de découvrir de nouveaux cieux, car sur Alpha du Centaure on m'a appris un peu les techniques de l'amour...". 

 

Action molle, science-fiction crapoteuse, l'argument érotique pouvait alors facilement gagner sa place de sauve-conduit. La première scène d'amour entre Sondra "Il ne vaut pas mieux garder vos forces pour quelque chose de plus divertissant ?" et Madison "J'ai toujours des forces pour cela. Veux-tu monter ? ", mise en lumière par le chef opérateur Silvio Fraschetti, est à ce propos une réussite, son éclairage rouge et vert hérité des œuvres de Bava plonge les corps des deux amants dans une ambiance surréelle. Malheureusement la suite est à l'image du reste, ou une accumulation de scènes croquignolettes qui justifient finalement l'emploi d'inserts pornographiques afin de masquer le ridicule des situations orgiaques. Enfin, là où Borowczyk s'était stoppé à l'éjaculation de sa bête, Brescia et consorts (4) quittent le rivage morne de la suggestion et du songe pour révéler la première (?) relation sexuelle explicite entre une femme et un satyre. Mémorable en quelque sorte.

 
 "Je me sens bizarre aussi. Étrange... Je sens une torpeur en moi. [...] Regardez ...!" : un stock-shot !

Mise en musique par Marcello Giombini (Anthropophagous, Le journal érotique d'une Thaïlandaise) caché sous le pseudo Pluto Kennedy, qui avait auparavant apporté sa haute contribution synthétique aux quatre précédents chapitres, La bête dans l'espace n'est pas l'expérience attendue, du moins elle n'atteint pas les niveaux espérés. Plombé par de sévères handicaps (effets spéciaux, histoire et situations grotesques, etc.), le métrage fait pâle figure en comparaison des hybrides réalisés par Joe D'Amato la même année, La nuit érotique des morts-vivants ou Porno Holocaust. C'est dire. Mais rassurons nous, La bête dans l'espace ravira les amateurs acharnés de mauvais films sympathiques : dialogues risibles, prestation en roue libre des acteurs, en sus des handicaps mentionnés précédemment, chacun saura y trouver son compte.

En bonus : Onaf alias Claudio Undari et son caleçon à poil et plus si affinité


En bonus : Quelques gifs du film sur notre tumblr.

Verdict du Nanarotron :


La bestia nello spazio (La bête dans l'espace) | 1980 | 92 min
Réalisation : Alfonso Brescia (Al Bradley)
Scénario : Alfonso Brescia et Aldo Crudo
Avec : Sirpa Lane, Vassili Karis, Lucio Rosato, Claudio Undari, Venantino Venantini
Musique : Marcello Giombini (Plutokennedy)
Directeur de la photographie : Silvio Fraschetti
Montage : Carlo Broglio
___________________________________________________________________________________________________ 

(1) Le cinéphile sera heureux d'apprendre que Brescia réalisa en 1987 le troisième volet des aventures d'Ator, Iron Warrior, avec l'inénarrable, le sémillant et charismatico-anémié Miles O'Keeffe dans le rôle principal.

(2) A ceci prêt que ces petits malins d'italiens fixèrent la sortie de leur Wars of the Planets sur les écrans transalpins quatre semaines avant celle du film de Lucas.

(3) On lui doit notamment les scénarios de La vie sexuelle de Don Juan, de La guerre de l'espace ou encore de La guerre des robots.

(4) Sans verser dans la parodie à la différence par exemple de Starship Eros de Scott McHaley sorti la même année.

(5) Rien n'indique que Brescia soit le responsable ou le réalisateur de ses inserts.

Requiem pour un vampire - Jean Rollin (1971)

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Quatrième long métrage de Jean Rollin, Requiem pour un vampire, fut considéré par le réalisateur français de son vivant comme l'un de ses préférés, à l'instar de ses Lèvres de sang mis en scène quatre ans plus tard. Non sans raison. Dernier volet momentané de sa série vampirique (avant la brève reprise 70's mentionnée précédemment et chroniquée en ces lieux), ce film connu également sous le patronyme, Vierges et vampires, peut être vu comme la première synthèse du cinéma Rollinien. Non content de rassembler ici la majeure partie de ses thématiques, les éléments les plus souvent raillés, narration confuse et amateurisme ambiant, sont cette fois-ci sinon inhibés, du moins suffisamment limités pour ne pas réduire la portée onirique souhaitée par le cinéaste. Dont acte.

Deux jeunes femmes, Marie (Marie-Pierre Castel) et Michelle (Mireille Dargent), grimées et habillées en clown s'échappent en voiture avec leur complice. Le trio est poursuivi à travers les routes de campagne. Mais le conducteur est finalement abattu par ces mystérieux assaillants. Après avoir fait brûler le cadavre dans l'automobile, et quittées leur maquillage et costumes, les filles trouvent, à l'endroit indiqué par l'homme sa moto à l'abri dans un château d'eau. A court d'essence, elles se cachent momentanément dans un cimetière, avant découvrir le soir venu les ruines d'un château d'apparence abandonné...

 
  
Écrit en une seule nuit, Requiem pour un vampire est sans conteste un des films de son auteur les plus épurés, mais également un de ses plus aboutis. Ébauche du rêve éveillé que sera son prochain long métrage, La rose de fer, Jean Rollin se détourne d'une certaine manière de ses anciens films de vampire, et gomme certains aspects contestables ou pompeux. Économe en dialogues, quasiment muet, Requiem surprend par son parti pris. Mieux, Jean Rollin signe avec le dernier volet de sa tétralogie un récit étonnamment désenchanté, où le vampire (Michel Delesalle) est devenu un être las et usé, dernier représentant d'une espèce condamné à disparaître, accompagné d'un petit groupe de serviteurs proche de la dégénérescence et de ses deux apprenties Erica (Dominique) et sa sœur Louise (Louise Dhour).

Photographié par le débutant Renan Pollès (1) et mis en musique pour la première fois par Pierre Raph (2), Requiem pour un vampire est également un film aux qualités esthétiques non feintes. Pollès cadre avec beaucoup de soin les personnages animés ou non du récit, des deux jeunes interprètes au château, autre figure centrale de l'histoire (3). Son utilisation de la lumière et des couleurs, inspirée par celle de ses confrères italiens à la même époque, apporte une aura surréelle en décalage avec les clichés gothiques d'usage et présents (ruine, donjon, cimetière, chauve-souris, etc.). Raph, quant à lui, compose, en  parfait accord avec son partenaire d'image, une bande originale atypique, en tout point différente du précédent score à consonance rock psychédélique d'Acanthus pour Le frisson des vampires

 

Le film n'est cependant pas exempt de défauts. Et le rythme indolent typiquement Rollinien ou le scénario peu étoffé n'y sont pour rien ou peu. Au contraire, ces derniers sont maîtrisés, à la différence de son expertise en zoologie. Néanmoins, on lui excusera la présence de roussettes frugivores en lieu et place de vampires. D'autant plus que d'autres chauves-souris apprécient le goût du sang frais, qui plus est lorsque celui-ci trouve sa source dans le sourire vertical d'une demoiselle. Le préposé restera par contre, comme souvent chez Jean Rollin, plus circonspect devant certaines de ses scènes érotiques. Que notre duo d'héroïnes vierges se consolent, s'embrassent et se caressent et plus si affinités dans un lit du château n'a rien d'improbable dans l'univers Rollinien, que l'une d'elle tâte et joue du fouet, sur son amie enchaînée vers la fin du métrage, l'est un peu plus. Soit. Fallait-il toutefois verser dans la plus crapoteuse imagerie sadique, à travers une longue scène de viols dans le donjon du château par sbires d'Erica ? Pas sûr. La scène semble être davantage un insert et un compromis à la sexploitation tant sa justification est nulle et non avenue.

 

Requiem pour un vampire, par son ambiance de fin de règne, crépusculaire et surréaliste, confirme le potentiel de Jean Rollin à transcrire un univers unique, en dépit des réserves mentionnées et des faiblesses intrinsèquement Rolliniennes. Entouré d'anciens et futurs fidèles collaborateurs, dont son quatuor d'actrices, le réalisateur marque une étape, en attendant ses Lèvres de sang.

En bonus : Quelques gifs du film sur notre tumblr.



PS : A noter la sortie prochaine le 3 juillet 2015 du documentaire, Jean Rollin, le rêveur égaré, chez The ecstasy of films.


Requiem pour un vampire | 1971 | 95 min
Réalisation : Jean Rollin
Production : $am $elsky
Scénario : Jean Rollin
Avec : Mireille Dargent, Marie-Pierre Castel, Dominique, Louise Dhour, Philippe Gasté, Paul Bisciglia, Michel Delesalle
Musique : Pierre Raph
Directeur de la photographie : Renan Pollès
Montage : Michel Patient
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(1) Une habitude en quelque sorte de la part du réalisateur à l'instar de Jean-François Robin pour les Lèvres de sang.

(2) Compagnon de route de Jean Rollin au cours de la première moitié des années 70, Raph signera également les musiques de La rose de fer, Des Démoniaques et des Jeunes filles impudiques.

(3) La place dévolue au château, témoin et personnage à part entière, n'est pas sans rappeler celui de Fascination que Rollin réalisera à la fin de la décennie avec Brigitte Lahaie.

Cronico Ristretto : The Flight Of Sleipnir - V (2014)

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Des nombreuses et obscures nouveautés sorties en 2014 dans le genre doom metal, le cinquième album, sobrement intitulé V, de The Flight Of Sleipnir aura marqué les esprits de bon nombre d'amateurs de riffs plombés, tant ce nouveau disque s'inscrit comme leur essai le plus probant. Gageons que leur signature chez le label européen Napalm Records puissent leur offrir davantage de visibilité. Mais n'allons pas trop vite...
 
Formé en 2007 à Arvada dans le Colorado par la paire Clayton Cushman (guitares, basse, synthétiseurs et chants) / David Csicsely (batterie, guitares et chants), The Flight Of Sleipnir, tiré du nom du cheval à huit jambes d'Odin, fruit des amours divino-zoophiles entre le fripon Loki et l'étalon Svadilfari (1), est comme son nom l'indique davantage attiré par la mythologie nordique que par le far west. 

Dans la continuité de Essence Of Nine (2011) et Saga (2013), Cushman et Csicsely poursuivent leur hybridation musicale en mêlant leurs diverses influences, dont on retiendra en premier lieu la lourdeur et la mélancolie doom, le groove stoner et la virulence black metal. Moins folk et acoustique que précédemment, sans toutefois renier certains élans paganistes (Archaic Rites), la musique de The Flight Of Sleipnir s'appuie désormais davantage sur une assise purement heavy, entre envolées mélodiques et explosions black. Paradoxalement plus proche d'Opeth que d'Enslaved dans sa manière à jongler avec les atmosphères claires et sombres (Gullveig aurait très bien pu être signé par le Mikael Åkerfeldt du début des années 2000), le duo n'a pas son pareil à l'instar de ses glorieux ainés pour composer de longues plages aventureuses, la majeure partie des chansons dépassant les huit minutes. 

Doté d'une production idéale, V de The Flight Of Sleipnir prouve qu'il faudra désormais compter sur ces vikings venus du Colorado.



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Titres
01. Headwinds / 02. Sidereal Course / 03. The Casting / 04. Nothing Stands Obscured / 05. Gullveig / 06. Archaic Rites / 07. Beacon in Black Horizon



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(1) Oui, Loki s'est bien transformé en jument pour séduire son bel étalon. Ce n'est pas Zeus qui aurait fait cet écart transgenre pour arriver à ses fins.


It follows - David Robert Mitchell (2014)

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Présenté à Cannes en mai 2014, avant de faire la tournée des différents festivals internationaux, dont deux escales françaises en septembre, à L'étrange festival puis à Deauville, It follows aura autant suscité l'admiration des festivaliers, de la critique que d'une partie du public. Film singulier dans la production horrifique des années 2010, ce second long métrage du jeune cinéaste David Robert Mitchell se démarque, à son avantage, des sempiternelles histoires de possession qui hantent les actuelles salles obscures. L'auteur du méconnu The Myth of the American Sleepover y propose ainsi une relecture des grands films d'horreur (pre-)eighties, Halloween et Les griffes de la nuit, inspirée par le minimalisme du japonais Ring. De quoi décontenancer les amateurs de frissons formatés. Las. Les meilleures intentions ne font pas toujours les meilleurs films, mais n'allons pas trop vite...

Lycéenne vivant dans la banlieue de Detroit, Jay (Maika Monroe) va au cinéma avec son nouveau petit ami, Hugh (Jake Weary). Dans la salle, en attendant la projection du film, Hugh aperçoit une femme à l'entrée. Or Jay ne la voit. Effrayé, Hugh demande à sortir de la salle immédiatement. L'adolescente ne prête pas attention à cet étrange comportement, et sort une seconde fois avec son compagnon. Lors de ce rendez-vous, Jay et Hugh font l'amour sur la banquette arrière de la voiture, garée près d'un immeuble abandonné. Peu de temps après, le jeune homme la séquestre dans le bâtiment voisin et lui révèle à son réveil qu'il lui a transmis sexuellement une malédiction. Désormais elle sera suivie par une entité, jusqu'à ce que mort s'en suive. Sa seule issue, transmettre par voie sexuelle à un autre partenaire, cette malédiction. 

 
   
Avant-propos. Le cinéma d'horreur 80's avait, à grand renfort de meurtres sanguinolents perpétrés par une poignée de psychopathes réactionnaires, mis en garde la jeunesse étasunienne contre les dangers d'une sexualité trop précoce ; notons dès à présent que It Follows s'écarte a minima de ses pairs, le croquemitaine masqué ayant été remplacé aujourd'hui par une insidieuse MST (Malédiction Sexuellement Transmissible). Soit. 

Fort des références précédemment cités (1), It follows est un film d'horreur qui, sur le papier, ne pouvait susciter que l'intérêt : partir des lieux communs du genre pour dépeindre une terreur abstraite dans le cadre anonyme des quartiers pavillonnaires de la non moins sinistre Detroit. Du portait initial d'une jeune femme au prise avec un « suiveur » malintentionné, le long métrage décrit à mesure une jeunesse perdu dans un environnement moribond, la démission et l'échec des adultes absents faisant échos aux ruines de feu Motor City. Constat fataliste, le film tend à présenter l'éveil à la sexualité des adolescents comme un basculement irrémédiable vers le monde funeste des parents (au risque de faire passer It follows pour une parabole clinique et lourdingue des risques sanitaires liés aux maladies vénériennes) (2).
  
 
   
Malheureusement, comme le laissait présager l'avertissement en introduction, si David Robert Mitchell propose un concept un brin original, son exécution laisse quant à elle des plus perplexes, la faute à une histoire bâclée et une mise en scène sujette à caution. Très (trop ?) influencé par John Carpenter, par son utilisation d'objectif grand angle (3) et par sa musique électronique, Mitchell aurait sans doute dû mieux suivre ses leçons en matière de rythme et de tension. Non content de faire jouer à ses mornes acteurs des situations aux confins de l'ennui, il est regrettable que cette morosité adolescente gagne les scènes supposées menaçantes. Décevant. L'idée de départ augurait du meilleur, sa fin ouverte, facile sinon caricaturale, parachève un film creux qui aurait gagné à n'être qu'un court métrage. Ajoutons à ce sentiment très mitigé, une bande originale synthétique signée par un dénommé Disasterpeace (4), dont la première partie du pseudonyme n'aura jamais aussi bien désignée la catastrophe sonore dont le spectateur est à la fois témoin et victime.

Faisons les paris, et compte tenu du succès du film, attendons une suite faisant office de préquelle afin de nous expliquer l'origine de cette entité malveillante. Sic.


It follows | 2014 | 100 min
Réalisation : David Robert Mitchell
Scénario : David Robert Mitchell
Avec : Maika Monroe, Keir Gilchrist, Daniel Zovatto, Jake Weary, Olivia Luccardi, Lili Sepe,
Musique : Disasterpeace (Rich Vreeland)
Directeur de la photographie : Mike Gioulakis
Montage : Julio Perez IV
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(1) Auxquelles on pourrait ajouter l'autre classique de John Carpenter, The Thing, pour l'entité protéiforme, et Night of the Demon de Jacques Tourneur pour la malédiction.

(2) Encore que rien n'indique dans le film qu'une relation protégée vous préserve de la dite MST.

(3) Influence déclarée ou non, on pense fortement à Gus Van Sant et sa manière de suivre par plan-séquence ses jeunes acteurs dans Elephant.

(4) De son vrai nom Rich Vreeland, connu pour avoir composé principalement des musiques de jeux vidéo.

Le prince de Hombourg - Marco Bellocchio (1997)

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Depuis son adaptation (1) d'Enrico IV de Luigi Pirandello en 1984, Le Prince de Hombourg, d'après la pièce homonyme de Heinrich von Kleist (2), signait après treize ans d'absence le grand retour du cinéaste italien Marco Bellocchioau Festival de Cannes. En compétition officielle, le film ne fut pourtant jamais distribué dans l'hexagone. Une injustice, du moins un oubli, enfin réparée grâce à Carlotta qui distribue une œuvre majeure du maître italien, après un long sommeil de presque deux décennies, ce mercredi 1er juillet. 

A la veille de la bataille de Fehrbellin, entre la Suède et le Brandebourg, le Prince de Hombourg (Andrea Di Stefano) est surpris en pleine crise de somnambulisme dans le jardin d'un château. A son réveil, il découvre dans sa main le gant de Nathalia (Barbora Bobulova), nièce de l'Électeur (Toni Bertorelli). Encore troublé par ce rêve devenu réalité, le Prince écoute distraitement le lendemain les instructions dictées par l’Électeur, chef de l'État et de l'armée. Il lui est ordonné de ne pas attaquer avant les ordres, sa fougue ayant déjà faire perdre auparavant deux victoires. Durant la bataille, le jeune commandant de la cavalerie brandebourgeoise apprend la mort de l'Électeur. Il décide de devancer l'ordre en attaquant l'infanterie suédoise, et remporte la victoire. Or l'oncle de sa future fiancée n'est pas mort, et souhaite que son indiscipline, malgré la victoire, soit punie en le mettant aux arrêts, avant que celui-ci ne soit jugé par une cour martiale. 


Long métrage à la frontière de l'imaginaire et de l'inconscient, cette adaptation libre de la dernière pièce d'une des figures artistiques emblématiques du romantisme allemand aborde un thème clé de la filmographie du futur auteur de Vincere : la psyché et son exploration. De son propre aveu, Le Prince lui permit « d'outrepasser les confins de la conscience et voir avec les yeux du subconscient » ; l'angle psychanalytique de l'histoire, sommes-nous les spectateurs d'un rêve ou de l'émanation de la folie du Prince, n'est d'ailleurs pas étrangère à la précédente collaboration entre Bellocchio et le neuropsychiatre Massimo Fagioli (3). Au cœur de cet onirisme, le jardin devient le point de basculement de ce rêve à demi-éveillé, dont la photographie de Giuseppi Lanci contribue fortement à cultiver cette atmosphère irréelle de nuit blanche.

Prenant le parti pris de condenser l'histoire originelle en proposant un film d'une durée de 85 minutes, et quitte à en imputer son dénouement initial, Bellocchio en capture néanmoins l'essentiel : la nature maudite de l'amour entre les deux jeunes fiancés, et la confrontation entre le libre arbitre et la conscience du Prince face à la supposée injustice, dont il serait la victime. De ce récit volontairement ramassé, et si le film garde un certain formalisme, le métrage évite toutefois les pièges du théâtre filmé grâce à une mise en scène inspirée. Mieux, d'une intensité rare, Le prince de Hombourg témoigne d'une beauté non feinte à l'image de sa troublante scène finale.

 
- Est-ce un rêve ? 
- Un rêve, quoi d'autre ?

Mariant habilement réalisme historique et romantisme littéraire, à l'image des costumes de Francesca Sartori évoquant davantage la mode Empire, quand la pièce fut écrite, que celle du XVIIème siècle, Le Prince de Hombourg peut également compter sur l'interprétation sans faille de son trio d'acteurs : l'acteur débutant, Andrea Di Stefano, incarnant idéalement ce personnage tourmenté, Toni Bertorelli, l'imperturbable Électeur, et la belle Barbora Bobulova. A noter enfin que le jeune duo fut à nouveau réuni en 2005 dans Cuore sacro du réalisateur turc Ferzan Ozpetek.

A découvrir pour la première fois sur grand écran depuis sa projection cannoise.

   
     

Crédits Photos : © 1996 FILMALBATROS S.R.L. / ISTITUTO LUCE S.P.A. Tous droits réservés.


Il principe di Homburg (Le prince de Hombourg) | 1997 | 85 min
Réalisation : Marco Bellocchio
Scénario : Marco Bellocchio
Avec : Andrea Di Stefano, Barbora Bobulova, Toni Bertorelli, Anita Laurenzi, Fabio Camilli, Gianluigi Fogacci
Musique : Carlo Crivelli
Directeur de la photographie : Giuseppe Lanci
Montage : Francesca Calvelli
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 (1) Sa première adaptation d'une œuvre théâtrale fut, pour la télévision, La mouette d'Anton Tchekhov (Il gabbiano) en 1976.

(2) La pièce inspira également le film éponyme de Gabriele Lavia en 1984.

(3) Le diable au corps lui fut dédicacé, tandis qu'il collabora aux scénarios d'Autour du désir (La condanna) en 1991 et d'Il sogno della farfalla (1994).

Eyehategod • Herder • Joe Buck Yourself - Glazart, Paris, 30 juin 2015

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Depuis leur précédent passage parisien au Glazart en première partie d'Orange Goblin en août 2013 (photos sur notre tumblr), le retour de la formation culte et originaire de la Nouvelle Orléans, Eyehategod, était des plus attendus. Un retour sur scène d'autant plus espéré depuis la sortie, l'année dernière, de leur album éponyme, nouveau disque mettant un terme à un hiatus discographique (1) long de quatorze années depuis leur précédent effort studio, Confederacy of Ruined Lives. Une éternité.

Dans le cadre des Stoned Gatherings, et en support à la tournée européenne des louisianais, du 6 juin au 4 juillet, la soirée parisienne du 30 juin s'annonçait ainsi des plus chaudes, en sus des températures caniculaires qui frappaient la capitale : pas moins de quatre groupes allaient ainsi précédés la venue tardive d'Eyehategod.

Une fois n'est pas coutume, l'horaire annoncé sur le billet disait vrai. A 19h tapante, non loin de la scène extérieure LaPlage, le psychobilly de Tony Bones / Joe Buck aka Viva Le Vox ouvrit les hostilités, suivi dans la foulée par le trio rock'n'roll bluesy Hooten Hallers. Si la seconde formation convainquit à moitié, la faute à un saxophone baryton timide et à un chanteur trop porté à imiter Tom Waits, le premier duo n'eut pas son pareil pour faire vivre ce délicieux mélange de rockabilly originel et d'attitude punk. Le temps de rejoindre la salle de concert, et Joe Buck pouvait investir les lieux, délaissant sa contrebasse pour une guitare et son étui faisant office de grosse caisse.

 
Joe Buck Yourself 

Révélation du soir pour le préposé, la présence en solo de ce vieux briscard de Joe Buck s'inscrivait parfaitement avec la thématique de la soirée. A l'image du sobriquet de ce musicien originaire du Kentucky, Joe Buck Yourself (quand celui-ci joue seul et non accompagné), le guitariste prouva si besoin est que le punk n'était pas qu'une simple histoire d'instrumentation. En dépit de problèmes techniques récurrents, qui le firent pester plus d'une fois, les micros de sa batterie improvisée ayant décidé de jouer avec ses nerfs, la prestation de l'ancien bassiste d'Hank Williams III ne souffrit d'aucune contestation. 
Plus de photos de Joe Buck Yourself sur notre tumblr.


Avant dernier groupe à passer, Herder investit ensuite la scène du Glazart dans une ambiance autrement plus saturée. Apparu il y a cinq ans après la parution de leur démo, Herder is harder, les néerlandais sortirent l'année dernière leur nouvel et premier album Gods avec leur nouveau chanteur Ché Snelting. Chantres d'un doom sludge des plus lourds, avouons que la formation de De Westereen fut malheureusement desservie par un mixage approximatif, du moins pour le public situé à droite de la scène. Chanteur réduit au silence, bassiste discret, troisième guitariste à l'ouest, les conditions pour apprécier les bataves furent loin d'être optimal. Dommage.

 

Plus de photos de Herder sur notre tumblr.


En guise de fil conducteur de la soirée, après les problèmes techniques, s'adjoignirent l'absence de la tête d'affiche ! La veille en concert à Bristol, Eyehategod dût faire face à la grève des ferries outre-Manche. Dès lors, encore sur la route à l'heure prévue par la programmation, les auteurs du culte Dopesick apparurent finalement, aussitôt débarqués de leur car, vers 23h30. Dans l'urgence la plus totale, les cinq musiciens, la rage au ventre, confirment toutes les attentes. Menés par le chanteur Mike Williams et le guitariste Jimmy Bower (en tongs pour l'occasion), Eyehategod put compter sur un public acquis à leur cause, la fosse prenant la forme d'un maelstrom bouillonnant.  Dommage qu'il fallût partir précocement quarante minutes après le début des hostilités...

 
                      
 

Plus de photos d'Eyehategod sur notre tumblr.
          
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(1) A l'exception de la compilation Preaching the "End-Time" Message (2005) et du live 10 Years of Abuse (and Still Broke) (2001)
 

Laserblast - Michael Rae (1978)

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Seule et unique réalisation de Michael Rae, Laserblast traîne dans son pays d'origine la peu envieuse réputation d'être l'un des pires long métrages produits sur le sol étasunien, qui plus est depuis sa diffusion en 1996 dans l'émission culte outre-Atlantique  Mystery Science Theater 3000, cette dernière ayant placé le dit long métrage à la sixième position du palmarès de leurs plus mauvais films (1). A noter que si Laserblast sauve d’une certaine manière les meubles en étant placé dans cette liste derrière Manos the Hands of Fate, l'absence remarquée d'Hobgoblins (chroniqué ici) indiquerait par conséquent un niveau de déviance et de portnawak exceptionnel. Sans en dévoiler davantage, notons dès à présent que le préposé à la chronique se garderait bien, après visionnage, de situer Laserblast à un tel degré. La déviance a ses raisons, que la raison ignore…

Billy Duncan (Kim Milford) est un jeune homme timoré dont la vie apporte peu de moments réjouissants. Habitant seul avec sa mère, celle-ci le quitte une fois de plus pour aller à Acapulco ; s'ajoute à cet abandon maternel somme tout relatif (à constater sa déception et compte tenu de son âge, on en vient à s'interroger sur la véritable nature de sa relation avec sa mère…), sa disposition à être le souffre-douleur de ce que compte de plus plouc sa communauté : le verbalisateur précoce de contraventions et adjoint du shérif, le bedonnant Pete Ungar (Dennis Burkley), et l'improbable duo redneck personnifié par le rebelle post-néandertalien Chuck (Mike Bobenko) et son faire-valoir Froggy (Eddie Deezen), qui tenteront rien de moins que de violer sa petite amie Kathy (Cheryl Smith) lors d'une fête. Face à cet environnement hostile et l'apathie quasi pathologique de Billy (même le grand-père sénile de Kathy, incarné par Keenan Wynn, le ridiculise), celui-ci soigne son mal-être à travers la solitude et la quiétude que peut lui apporter le désert californien. Or un jour, il y fait une découverte qui changera radicalement son existence : un fusil laser d'origine extra-terrestre. Une fois passé le temps de l'enthousiasme enfantin à grand renfort de « pa pa pow ! » plus explosion de cactus, l'heure de la revanche a désormais sonné. Mais ce que Billy ignore, c'est que cette arme et le collier qui l'accompagne vont le transformer à mesure en alien, jusqu'à prendre possession totalement de lui.

 

De ce point de départ qui évoque fortement le précédent succès critique et public de Brian De Palma, son adaptation de Carrie de Stephen King, en remplaçant de manière opportuniste les pouvoirs psychokinétiques de son héroïne par une arme futuriste tout droit sortie d'un space opera, le scénario de Franne Schacht et Frank Ray Perilli n'échappe nullement aux récurrentes faiblesses des productions à faible budget, qui écumèrent les drive-in et autres salles de quartier. De ce duo passé maître dans l'art de l'ellipse, dans la multiplication des clichés et autres pistes scénaristiques non exploitées (à chacun de faire son choix), il sera alors demandé aux spectateurs de ne prêter guère attention aux incohérences et manquements du récit. L'intervention en préambule des deux aliens reptiliens pourra ainsi en laisser plus d'un perplexe. Après avoir éliminé le vilain humanoïde qui les tenait en joue avec son laserblast dans le désert, nos deux voyageurs interstellaires ne trouvèrent en effet rien de mieux que de rejoindre l'espace sans prendre soin de récupérer l'arme. Il faudra ainsi attendre la moitié du film et l'intervention d'un supérieur, par écran interposé, pour leur rappeler que leur négligence est responsable de la mutation verdâtre d'un autochtone qui tire maintenant joyeusement sur tout ce qui roule (oui, les premières et principales victimes de Billy sont des voitures). Quant à l'intervention de l'agent du gouvernement, Tony Craig (Gianni Russo), costume trois pièces, lunettes de soleil avec berline noire et vitres teintées en sus, sa clairvoyance n'a d'égale que son inefficacité !

 

Connue comme étant l'une des premières productions de Charles Band et de J. Larry Carroll, Band à l'instar de son père, Albert, connaîtra une carrière riche de producteur dans le bis, tandis que le second deviendra par la suite scénariste à succès pour la télévision à partir des 80's, Laserblast se distingue également par la présence de plusieurs techniciens débutants à l'avenir prometteur : des maquillages signés par la paire Steve (2) et Ve Neill (3), une animation en stop-motion conçue par David Allen (Ghostbusters II, Willow) et Jon Berg (Star Wars, The Empire Strikes Back), et réalisée par Randall William Cook (The Gate, Le seigneur des anneaux) et David Allen, une navette spatiale créée par Gregory Jein (1941, Star Trek, le film) et une musique composée par Richard Band, frère de Charles et fils d'Albert, (Re-Animator, From Beyond) et Joel Goldsmith (la série Stargate et ses spin-off). Aux plus magnanimes de considérer dès lors ce Laserblast comme un essai, et aux autres de le voir au contraire comme un brouillon. Une affaire de choix en somme.

 

Côté distribution, du jeune duo d'interprètes, Kim Milford et Cheryl Smith, faisons peu d'échos et soulignons que Laserblast est le premier métrage de monsieur Eddie Deezen (Grease, 1941, Magnum, L'homme qui tombe à pic), soit celui qui incarna au mieux le nerd made in 80's. Enfin comme souvent dans ce genre de production, le film n'hésite pas à recourir à d'anciennes gloires du cinéma. A ce titre, Roddy McDowall incarne à merveille (?) l'acteur venu cachetonner le temps de trois malheureuses scènes, cinq minutes montre en main, avant que son personnage de médecin ne se fasse, ou plutôt sa voiture (pour rappel), explosé (3) par un Billy possédé et belliqueux (absurdité de la vie, cruauté des scénaristes, ce bon docteur enquêtait pourtant sur le mal étrange dont souffrait Billy).

 

En dépit des aspects négatifs cités plus haut, Laserblast s'inscrit parfaitement dans la production bis des années 70. A considérer davantage comme un petit film naïvement maladroit à l'image de ses aliens reptiliens qu'un véritable nanar. Et puis, un film dont le héros détruit un encart publicitaire pour Star Wars avant d'enfumer un hippie peut-il être fondamentalement mauvais ?

En bonus : Quelques gifs du film sur notre tumblr.





Laserblast | 1978 | 85 min
Réalisation : Michael Rae
Production : Charles Band, J. Larry Carroll 
Scénario : Franne Schacht et Frank Ray Perilli
Avec : Kim Milford, Cheryl Smith, Gianni Russo, Ron Masak, Dennis Burkley, Eddie Deezen, Keenan Wynn, Roddy McDowall
Musique : Richard Band, Joel Goldsmith
Directeur de la photographie : Terry Bowen
Montage : Jodie Copelan
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(1) Ghostbusters, Vampire, vous avez dit vampire?, Star trek VI - Terre inconnue

(2) Elle reçut trois oscars pour Beetlejuice, Mrs. Doubtfire et Ed Wood.

(3) A en compter le nombre et avec quelle application elles sont filmés au ralenti, les explosions et les cascades automobiles représentent au moins le quart du budget du film !

Ikarie XB 1 - Jindrich Polák (1963)

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Adaptation d'un roman de Stanisław Lem, le long métrage tchécoslovaqueIkarie XB-1, d'après Le nuage Magellan(Obłok Magellana),est un film unique dans la production science-fictionnelle des années 60. Pouvait-il en être autrement, pourrait-on ajouter de manière triviale en guise d'avant-propos ? Pourtant rien n'indiquait au départ une telle singularité, à l'instar de la première adaptation de Lem, L'Étoile du silence (Der schweigende Stern) (1), d'après Astronauci (1951) et mise en scène trois années plus tôt en 1960 par l'est-allemand Kurt Maetzigpar, qui fut sévèrement critiquée par l'écrivain polonais. Or si le futur auteur de Solaris (2) fut, sauf l'exception nommée Przekładaniec (1968) et signée par son compatriote Andrzej Wajda, connu pour ses positions intransigeantes vis à vis de ses histoires transposées (3), admettons que celui d'Ikarie XB 1 a le mérite de se démarquer du caractère naïf (et propagandiste) qui prédominait à l'époque des deux côtés de l'Atlantique. A considérer à juste titre comme l'un des premiers films adultes de science-fiction. Rien de moins.

2163, le vaisseau spatial Ikarie XB-1 et son équipage international constitué de quarante scientifiques ont pour mission de découvrir des traces de vies dans le système de l'étoile Alpha du Centaure. Tandis que la vie de cette petite ville spatiale s'organise, l'équipage croise le chemin d'un autre vaisseau spatial d'apparence primitive : une ancienne fusée terrienne. Deux cosmonautes y sont dépêchés et découvrent à bord des membres à l'apparence endormie, empoisonnés par un gaz toxique datant de la fin du XXème siècle. Mais les deux hommes périssent en déclenchant accidentellement l'explosion d'un des nombreux missiles nucléaires dont la navette est équipée. Peu de temps après, l'équipage se voit exposer au rayonnement mystérieux d'une étoile noire qui cause la somnolence de la plupart des membres, les deux membres ayant été directement exposé aux radiations à l'extérieur du vaisseau souffre quant à eux de graves troubles mentaux.

    
Loin des aventures et autres fantaisies spatiales qui firent florès la décennie précédente avec en point de mire La planète interdite de Fred M. Wilcox en 1956 (encore que l'archaïque robot nommé Patrick est un clin d’œil direct à Robby), et en attendant bien évidemment le renouveau du space opera en 1977, Ikarie XB-1 s'inscrit, on l'aura compris, plus du côté d'une science-fiction sérieuse, en se gardant bien de s'écarter toutefois de l'optimisme ambiant qui entourait la conquête de l'espace (le premier vol de Youri Gargarine date de 1961). Mieux, non content d'être un des premiers films à décrire le concept d'hyperespace inspiré de la relativité générale (le voyage de l'équipage dure vingt-huit mois tandis que sur Terre il se sera écoulé quinze ans), le film explore un autre volet original, celui de la vie quotidienne des cosmonautes. Proche du documentaire, la première partie d'Ikarie XB-1 décrit ainsi les diverses activités de ces hommes du XXIIème siècle : de la douche, au repas, en passant par la gymnastique et une fête d'anniversaire en sus, aux questionnements les plus intimes : la place de l'amour, la gestion d'une grossesse à bord, ou encore ceux liés au retour des membres et les relations avec leurs proches  confrontées aux conséquences de la dilatation spatio-temporelle.


Film tchécoslovaque, réalisé dans un pays satellite de l'URSS, Ikarie XB-1 aurait très bien pu être produit à des fins propagandistes, à l'instar des nombreuses séries B étasuniennes des années 50, quand la menace rouge prenait la forme d'invasions extraterrestres. Relative indépendance des producteurs ou du réalisateur, qu'importe, le long métrage évite soigneusement de bercer trop près de ce côté pour mieux privilégier une vision humanisme et pacifiste d'une micro-société harmonieuse, certes proche d'une vision romantique du communisme, mais sans charger davantage l'idéologie prédominante, l'équipage cosmopolite et leur environnement évoquant finalement la future série Star Trek. Seule véritable référence au capitalisme, les jeux d'argent, dernier passe-temps des occupants retrouvés morts dans la navette perdue dans le système solaire d'Alpha du Centaure. Une image à pondérer tant il apparait, comme le fait remarquer un membre d'Ikarie, que ce vaisseau fantôme et ses armes mortelles se veulent surtout une allégorie des horreurs du XXème siècle, et de ces hommes «responsables d'Auschwitz, Oradour et Hiroshima ».

   
Comme le laisse entrevoir le résumé précédent, la dernière partie du film quitte l'aspect semi-documentaire du début pour plonger dans la pure fiction et l'apparition de cette mystérieuse étoile noire radiative. Ikarie XB-1 connut une adaptation américaine l'année suivante, retitrée Voyage to the End of the Universe, avec en particulier une dizaine de minutes et une fin différente (4). Bien qu'amputée, cette version n'en demeura pas moins, on peut le supposer très fortement compte tenu du nombres d'indices troublants, une formidable source d'inspiration pour futurs réalisateurs, ou metteurs scène intéressés par la SF, nés de l'autre côté du rideau de fer (5) : Ridley Scott et Alien, James Cameron et Abyss, ou encore rien de moins que Stanley Kubrick et 2001 : L'odyssée de l'espace, tous durent puiser à des degrés divers des éléments issus du métrage.

Doté d'effets spéciaux minimalistes, trahissant un budget forcément limité, Ikarie XB-1 compense ses imperfections par le soin apporté au design (intérieur de la navette ou la combinaison spatiale), au cadrage et sa photographie, à sa musique, et bien sûr un scénario subtil où l'humain se révèle être plus important que la technologie.

A découvrir.
     


Ikarie XB 1 | 1963 | 81 min
Réalisation : Jindrich Polák
Scénario : Pavel Jurácek et Jindrich Polák d'après le roman The Magellanic Cloud de Stanislaw Lem
Avec : Zdenek Stepánek, Frantisek Smolík, Dana Medrická, Irena Kacírková, Radovan Lukavský, Otto Lackovic
Musique : Zdenek Liska
Directeur de la photographie : Jan Kalis et Sasa Rasilov
Montage : Josef Dobrichovský
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(1) Des extraits de sa version US, First Spaceship on Venus, sont visibles dans le navrant Galaxina chroniqué il y a déjà quelques temps ici même.

(2) Solaris qui sera comme chacun sait par la suite librement adapté avec succès par le russe Andrei Tarkovsky en 1972. A noter qu'il s'agit en fait de la deuxième adaptation, en attendant celle de Steven Soderbergh, la première ayant la forme de deux téléfilms en 1968.

(3) Ari Folman (Valse avec Bachir) s'est inspiré du Congrès de futurologie pour réaliser Le Congrès (2013).

(4) Le vaisseau Ikarie ne rejoint pas Alpha du Centaure mais la Terre.

(5) Il aura fallu attendre 2005 et son édition officielle en DVD pour découvrir enfin en occident la version intégrale et originelle du film.

A Touch of Zen - King Hu (1971)

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Premier film chinois récompensé au Festival de Cannes en 1975, par l'obtention du Prix de la Commission supérieure technique, A Touch of Zen valut à son réalisateur King Hu une reconnaissance internationale, tout en faisant découvrir au monde le wu xia pan, ou le film de sabre chinois, soit l'illustre parent du film de kung-fu déjà popularisé quelques années auparavant à travers le globe par un certain Bruce Lee. Œuvre magistrale dont l'influence n'aura de cesse d'inspirer la jeune génération (Tsui Hark (1) et Ang Lee pour les plus connus), ce long métrage dont le tournage fut étalé sur plus de trois ans faillit pourtant connaitre un autre dessein. Tronqué lors de son exploitation, échec considérable lors de sa (première) sortie (2) à Taïwan, A Touch of Zen dut toutefois son salut à la ténacité du français Pierre Rissient, déterminé à reconstituer une copie entière du film, avant de le proposer au festival susmentionné, et de lui offrir par extension une nouvelle sortie sur ses terres en juillet 1975. Pour la première fois en version intégrale restaurée 4K, le film distribué par Carlotta ressort sur grand écran à l'occasion des quarante ans de sa projection cannoise.

Chine du XIVème siècle, durant la Dynastie des Ming, Gu Shengzai (Shih Chun), trentenaire vivant encore avec sa mère, exerce la profession de peintre et d'écrivain public, au grand désespoir de cette dernière, celle-ci aspirant à le voir devenir fonctionnaire et marié. Habitant à côté d'une vieille citadelle, Gu craint depuis peu qu'elle ne soit hantée, avant d'apprendre par sa mère la venue d'une nouvelle voisine Yang Huizhen (Hsu Feng). Si la jeune femme ne laisse pas indifférent Gu, il apprend également qu'il n'est pas malheureusement le seul à s'y intéresser. Yang n'est autre que la fille d'un dissident du mouvement Donglin assassiné par la police politique du grand eunuque Wei, et depuis recherchée pour trahison par Ouyang Nin (Tien Peng), capitaine de la sinistre Chambre de l'Est...


Second film taïwanais de son auteur, après Dragon Inn (1967) et une première expérience à Hong Kong, pour la Shaw Brothers, parachevée par le classique du cinéma d'action L'hirondelle d'or (1966), A Touch of Zen marque une étape supplémentaire dans la filmographie de Hu. Fort du succès de ses anciens longs métrages, le cinéaste perfectionne ici une œuvre à l'envergure inédite, mélange les genres en apportant plusieurs dimensions à son ensemble. 

Film composé en trois parties, chacune portée par un personnage différent, cette grande fresque de trois heures s'inscrit comme une introduction à la philosophie bouddhiste incarnée par le moine Hui-Yang. Le premier volet campe l'ingénu peintre Gu Shengzai et sa recherche des faux semblants entourant la venue de Yang Huizhen au centre du récit. La deuxième fraction présente par contre un Gu transfiguré, maître de son destin et de celui de ses compagnons en prenant les traits d'un fin stratège militaire, la belle Yang devenant dès lors le point d'attraction de ses ennemis, et le centre des attentions de ses alliés, Gu et les deux généraux Shih et Lu. Le dernier chapitre confère enfin au film, à travers la présence du moine interprété par Roy Chiao, une vision ambivalente, entre spiritualité et martialité, entre la lumière et les ténèbres, entre le bien et le mal.


De cette entreprise démesurée, riche en expérimentations formelles et à l'esthétisme audacieuse, King Hu propose donc une œuvre totale. Aux confins des influences passées, étrangères, du film de samouraï japonais d'Akira Kurosawa (3) aux « westerns spaghetti » de Sergio Leone (4) , à celles plus proches, provenant de l'opéra chinois dont la chorégraphie des combats en intègre les mouvements fluides à la limite du surnaturel, Hu s'émancipe pleinement, sans aucune contrainte, et libère autant le fond que la forme. A partir d'un récit qui porterait à croire que le sens épique des aventures décrites emporterait la balance, les choix du metteur en scène étonne encore de nos jours. Tandis que les intrigues se multiplient, Hu prend au contraire son temps, et épure au maximum le romanesque des situations, la romance entre Gu et Yang étant par exemple réduite à son strict minimum. D'une prodigieuse beauté, la photographie d'A Touch of Zen tend ainsi à synthétiser habilement les aspects lumineux et sombres de l'histoire, tant pour les scènes figuratives que pour les scènes d'action à l'image du célèbre combat dans la forêt de bambou. Mieux, le cinéaste place la poésie des images au premier plan, pour mieux fondre vers l'abstraction dans sa dernière partie telles les visions psychédéliques qui accompagnent le final du film. Une dernière partie qui risque de sinon déstabiliser, au moins d'apparaître aux yeux de certains bien trop détachée voire indépendante du reste du métrage (la portion gravitant autour du solaire Hui-Yang prend davantage la forme d'un long épilogue qu'une véritable suite des deux précédents tableaux). 

A noter que l'actrice Hsu Fung, qui commença sa carrière dans le précédent film du maître chinois, Dragon Inn, à l'instar de Shih Chun et Tien Peng, et avant de se consacrer à la production (Adieu ma concubine), fut à origine du financement de la restauration du long métrage, menée par le Taïwan Film Institute, et sous l'égide du Ministère de la culture de Taïwan au Laboratoire L'Immagine Ritrovata.

Un classique du cinéma à redécouvrir avant la sortie dans les salles en version restaurée du précédent Dragon Inn à partir du 12 août.


  
   
   
Xia Nu (A Touch of Zen) | 1971 | 180 min
Réalisation : King Hu
Production : Sha Yung Fong
Scénario : King Hu, d’après "Contes étranges du studio du bavard" de Pu Songling
Avec : Hsu Feng, Shih Chun, Bai Ying, Tien Peng, avec la participation de Roy Chiao
Musique : Wu Dajiang
Directeur de la photographie : Hua Hui-Ying
Montage : King Hu
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(1) Après une longue pause, King Hu est revenu à la réalisation en 1990 en co-signant avec l'un de ses fans, Tsui Hark, The Swordsman.

(2) Décision invraisemblable, encore en cours de tournage, le studio taïwanais décida de sortir une première version du film.

(3) Le genre wu xia pan profita de la nouvelle popularité du film de samouraï japonais pour connaitre un nouveau souffle.

(4) Moins prégnante sur ce film, l'influence de Leone est flagrante sur Dragon Inn. Chronique à venir.

Intimate Night with Stanley Clarke Band - New Morning, Paris, 26 juillet 2015

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Habitué des salles de plus grande taille, le bassiste Stanley Clarke faisait une fois n'est pas coutume entorse à la règle, comme le soulignait l'intitulé du concert du dimanche 26 juillet, en se produisant au New Morning. Non sans une certaine appréhension, celle-ci confortée le soir même en écoutant d'une oreille distraite les propos passionnés des fans de jazz fusion présents, le préposé s'était toutefois résolu, et vite décidé, à assister à ce concert dès son annonce officielle, et ceci, quelque soit les supposés risques encourus...

Riche d'une quarantaine d'albums, la production discographique de ce quadruple récompensé aux Grammy Awards est à l'image de ce multi-instrumentiste, compositeur, chef d'orchestre, interprète, arrangeur, producteur, et compositeur de musiques de films (Boyz N the Hood) : versatile, au risque de s'aventurer très souvent dans des territoires éloignés du jazz, et d'apparaître paradoxalement comme un jazzman qui œuvra davantage en dehors de son cercle musical au grand dam des amateurs de Great Black Music. En faisant fi donc des nombreux avertissements qui parsèment la discographie du bassiste, son lucratif virage funk dans les 80's ou plus cruellement, le manque de disques notables postérieurs à ses disques 70's, l'envie de découvrir en chair et en os ce talentueux musicien se fit toutefois plus forte. 

 

De retour avec un nouvel album intitulé Up sur le label Mack Avenue, après une série de concerts en duo et en acoustique avec Chick Corea en 2014, Stanley Clarke poursuit désormais son voyage musical en quartette avec le pianiste Beka Gochiashvili, 19 ans, le batteur Michael Mitchell, 20 ans, et le claviériste Cameron Graves, 26 ans. Non content de s'entourer de jeunes musiciens prometteurs, les deux cadets ayant collaboré au dernier album du maestro, on soulignera également la clairvoyance de Clarke en ayant fait participer à l'enregistrement de Up, l'une des sensations jazz de 2015, Kamasi Washington (1), et son dantesque triple album The Epic. Ajoutons que Graves croisa, à tout juste 16 ans, Washington au sein de la formation Young Jazz Giants en 2004, aux côtés de Steve et Ronald Bruner (basse et batterie), Ronald étant présent sur les deux derniers disques du bassiste, sur le dernier feu George Duke et enfin sur celui de Washington. La boucle est bouclée. 

Et le concert ? La crainte d'assister à une prestation jazz funk aseptisée fit long feu. Fort heureusement. Sur scène, accompagné de deux synthétiseurs, Stanley Clarke débuta certes à la basse, le temps de faire éclater au besoin son groove et sa technique, mais celui-ci abandonna rapidement son instrument électrique fétiche, pour prendre en main sa contrebasse, qu'il ne quitta plus durant les deux sets du concert (en attendant bien évidemment un rappel au contenu des plus évidents, mais n'allons pas trop vite).

 

Fort d'une cohésion bluffante compte tenu de l'âge des protagonistes, en particulier Gochiashvili dont les expressions et le jeu au piano évoquent un juvénile Keith Jarrett ou le très percutant Mitchell, le quartette revisita en plus de deux heures le répertoire de leur leader, de Brazilian Love Affair, reprise de l'ami George Duke (2), présente sur Up, à Song to John (Journey to Love - 1975) que la formation jouera par deux fois à chaque set. De quoi faire oublier les doutes évoqués plus haut et un dernier disque à la production bien trop tendre et au rendu fade ? Oui, dans son ensemble. Seul bémol : les interventions (discrètes) de Cameron Graves et en particulier le son de son instrument, qui met en lumière l'attrait toujours vif que peut avoir Clarke pour les sonorités synthétiques eighties (3). 

Enfin les quatre musiciens jouèrent le temps du rappel l'incontournable School Days enrichi du fameux chorus de l'éternel Mothership Connection (Star Child) de Parliament "If you hear any noise, It's just me and the boys".

 


Stanley Clarke Band
Stanley Clarke (Basse, Contrebasse)
Beka Gochiashvili (Piano, Synthétiseur)
Cameron Graves (Synthétiseurs)
Michael Mitchell (Batterie)

Plus de photos sur notre tumblr.
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(1) Kamasi Washington jouera à Paris au Trabendo le 15 novembre prochain. A bon entendeur.

(2) Coïncidence, aujourd'hui 5 août, le jazzman nous quittait il y a tout juste trois ans.

(3) Un goût particulier pour ses sonorités toc que Clarke partage avec son collègue bassiste Marcus Miller. Il faut écouter les interventions en live des synthétiseurs de leur projet commun SMV pour établir l'ampleur des dégâts...


Dragon Inn - King Hu (1967)

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Première production taïwanaise de King Hu, après son départ de Hong Kong et le contrat qui le liait à la Shaw Brothers, Dragon Inn est le second wu xia pan de son auteur et son premier grand succès en Asie. Libre de toutes contraintes artistiques, Hu profita de l'autonomie que lui offrait la compagnie taïwanaise Union Film pour révolutionner, rien de moins, le film de sabre en cette année 1967 (1). Deux semaines après la ressortie remarquée de A Touch of Zen, ce second long métrage de King Hu distribué par Carlotta ressort pour la première fois en version intégrale restaurée 4K. 

Chine du XVème siècle, durant la Dynastie des Ming, le loyal Yu Qian, précepteur du Prince et Ministre de la défense, est victime d'un complot et accusé à tort d'avoir aidé des étrangers. Yu Qian condamné à mort par Cao Shaoqin (Bai Ying), chef des eunuques qui se sont emparés du pouvoir à la Cour, ses trois enfants sont bannis à l'exil près de la frontière mongolienne. Mais celui qui contrôle la police secrète a d'autres plans, il prévoit en réalité de les exterminer en chemin. Sauvés une première fois par un inconnu, Shaoqin ordonne à ses deux fidèles commandants de préparer une embuscade à l'Auberge du dragon. L'endroit, habituellement désert en la saison, est bientôt envahi par les membres de la police secrète et par de mystérieux combattants…

 

Dans le sillage de son précédent film, L'Hirondelle d'or (1966), produit par Run Run Shaw, cadet de la fratrie, Hu développe avec Dragon Inn un style personnel en s'inspirant de la peinture traditionnelle chinoise. Hybride, le film se démarque volontairement des autres films d'arts martiaux de l'époque en allant puiser d'autres influences extérieures, du chambara japonais au western de Sergio Leone, la musique empruntant ainsi par moment certains arrangements manifestes (2) à Ennio Morricone pour illustrer des scènes où la tension monte. Mieux, en situant ce huis-clos dans une auberge située à la frontière, lieu de rencontres et de règlements de compte, perdue au milieu de paysages semi-désertiques, Hu décrit ni plus ni moins le cadre du eastern, ou western délocalisé en Chine. 

Réalisateur érudit et perfectionniste, King Hu se distingue de ses pairs au mitan des années 60 en mettant en scène des combats à la chorégraphie inédite, entre morceaux de bravoure, élégance et grâce des mouvements héritée de l'opéra chinois. En collaboration depuis son précédent film avec le maître Ying-Chieh Han (3), le duo élève le genre à un niveau jamais vu, en attendant leur chef d'œuvre A Touch of Zen. En maniant l'art du dialogue tout en s'aventurant sur le terrain inattendu de la comédie, King Hu dresse enfin dans Dragon Inn une galerie de personnages remarquables, du valeureux Xiao Shaozi au redoutable Cao Shaoqin, incarnés par Bai Ying et Hsu Feng qui trouvent ici leurs premiers rôles au cinéma, à la jeune intrépide Chu Huei jouée par Shang Kuan Ling-Feng, le cinéaste chinois lui offrant un rôle de rang égal à ceux de ses partenaires masculins.  

  

Véritable révolution dans le film d'arts martiaux, le long métrage fera l'objet de deux remakes, l'un en 1992 avec Maggie Cheung par Raymond Lee, et le second en 2011 avec Jet Li par le disciple de Hu, Tsui Hark.

A redécouvrir dans les salles obscures le 12 août.




Crédits Photo :  © CARLOTTA FILMS. Tous droits réservés.

 
Longmen kezhan (Dragon Inn) | 1967 | 111 min
Réalisation : King Hu
Production : Yung Fong Sha
Scénario : King Hu
Avec : Shang Kuan Ling-Feng, Shih Chun, Bai Ying, Hsu Feng, Chien Tsao, Han Hsieh
Musique : Lan-ping Chow
Directeur de la photographie : Hui-Ying Hua
Montage : Hung-min Chen
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(1) 1967 est une année phare pour le genre avec Un seul bras les tua tous (Du bei dao) de Cheh Chang et produit par la Shaw Brothers.

(2) A noter en matière de ressemblances sonores que le générique sonore de A union film production ressemble à si méprendre aux premières mesures de celles de la Fox.

(3) Acteur également, Ying-Chieh Han est connu pour avoir interprété Hsiao Mi soit le Big Boss (1971) du dit film avec Bruce Lee.

Flic ou ninja - Godfrey Ho (1986)

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S'il est communément admis que feu Menahem Golan fut a l'initiative de la mode du film de ninja dans les années 80 à partir de L'implacable ninja (1981) avec Franco Nero (1), force est de constater, et ceci en dépit de ses louables efforts et de sa franchise American Ninja et ses quintuples volets, que le genre trouva à Hong Kong une réponse encore plus paroxystique en la personne du duo Joseph Lai / Godfrey Ho, respectivement producteur et réalisateur du film qui nous intéresse, Flic ou ninja. Prenant comme toile de fond le même schéma, à savoir une intrigue tournant autour d'un occidental rompu aux arts martiaux, ou « la revanche du petit blanc » pour reprendre les termes de Jean-François Rauger pour décrire ces séries B destinées au public occidental, le genre va pourtant connaitre un sérieux ravalement de la part des deux hongkongais pré-cités.

Adeptes de méthodes de production éprouvées, en recyclant au besoin plusieurs parties d'anciens films pour en créer un nouveau, Lai et Ho apportèrent par leur audace un vent nouveau au cinéma d'exploitation. Ecrit par un Godfrey Ho qui ne ménagea pas, comme à l'accoutumée, ses efforts, la richesse de Flic ou ninja en éblouira encore aujourd'hui plus d'un, tant le scénario aime à brouiller les pistes. Faire cohabiter deux histoires qui à l'origine n'ont aucun rapport peut déjà apparaître comme une gageure, mais quand celles-ci appartiennent à deux films différents, on touche au génie! Certes, certains esprits chagrins pourront toujours rétorquer qu'un tel procédé a ses limites, et qu'il s'agit de méthodes de margoulins, toutefois tout ceci n'est que peccadilles et autres billevesées de la part de cuistres incapables de reconnaître les améliorations stylistiques apportées par le cinéma bis.

 

En dépit de son titre faussement trompeur, Flic ou ninja n'est pas un film uniquement centré sur le ninjutsu. Ambitieux, Ho apporte une profondeur bienvenue au script en présentant son métrage comme un "rape and vengeance". Violée par trois brutes masquées, la dénommée Rose est violence et recherche maintenant ses trois agresseurs. Engagée par le rustre Robert, trafiquant de bijoux de son état, Rose espère ainsi retrouver la trace des violeurs qui ont à jamais brisés sa vie. Or cette sombre de histoire de viol cache en fait une cruelle machination perpétrée par le démoniaque Maurice (Pierre Tremblay), ninja rouge de son état, que nos deux représentants d'Interpol, les sémillants Richard et Donald, interprétés respectivement par Richard Harrison et Bruce Baron (qui proviennent tout deux de deux films différents - bravo!), suivent depuis longtemps :

 

Richard: "Salut Donald, Richard à l'appareil. Je suis à Washington, en partance pour le Caire."
Donald: "Aucune information sur les trois photos que je t'ai envoyées ?"
R: "Non, rien"
D: "D'après ce que j'ai trouvé, ces trois gars seraient les auteurs du viol de cette petite Rose! Alors à quoi vont me servir les photos que tu m'as envoyées? Il s'agit de Maurice et de ses trois coyotes! HQ m'avait pourtant dit que tu avais du nouveau pour moi, alors?"
R: "Les trois violeurs font partie d'une opération de contrebande de bijoux et ils essaient de posséder Maurice !"
D: "D'où est-ce que tu tiens ça, Maurice s'est retiré de l'affaire et c'est Robert qui a repris la succession. Si ce que tu me dis est vrai, alors Robert n'est qu'un homme de paille! Et attends un peu, est-ce que tu sous-entends par là qu'il y aurait un lien entre le viol et le trafic de diam's !?"
R: "Oui, et il va falloir que tu surveilles Maurice. Nous avons de bonne raison de penser qu'il est en train de préparer un coup"
D: "Entendu. Mais qu'advient-il de George et de Rose ? Tu n'es pas sans ignorer qu'on a perdu la trace de Rose depuis que George s'est marié. Or telle que je la connais, elle ne lâchera pas le morceau"
R: "Je sais que Robert l'a engagé. Elle a accepté parce qu'elle croit pouvoir trouver plus facilement ses violeurs. Elle veut se venger et tu peux l'aider si tu le désires. Enfin tant que tu ne te compromets pas!"
D: "Enregistré, je reste hors du coup tant que sa vie n'est pas menacée.
R: "Oui je te le conseille. A propos, garde un œil sur Larry, le beau-père de George, il est possible qu'il joue lui aussi un rôle dans l'affaire!"
D: "Hum je vois, je vais m'en occuper. Je te remercie pour ces infos. Et tache de faire bon voyage et embrasse les égyptiennes pour moi."

En résumé, tandis que Rose lance sa vendetta, Donald s'occupe de Maurice et de ses sbires, et Georges, l'ancien compagnon de Rose et désormais mari de Jenny (la fille de Larry qui est le patron de Robert - vous suivez ?!), mène sa propre enquête en tant qu'agent d'Interpol. Brillant ! A cela vous ajoutez l'apparition de la sœur jumelle de Rose (2), accompagnée du fidèle Turner, et le scénario de Flic ou Ninja devient aussi complexe que solide.

 

Long métrage d'action à la violence crue, Flic ou Ninja n'en demeure pas moins un film à l'érotisme troublant, accentué par des dialogues frais et délicats tels la rosée du matin. Un peu de douceur dans un monde de brutes oserons nous ajouter, à l'image de LA leçon de séduction offerte par Rose et Jack (le frère de Robert, l'associé de Larry, soit l'homme de paille de Maurice - vous suivez toujours ?!), lors de leur première rencontre. Voici un premier extrait qui devrait être présent dans tous les manuels de séduction :

Rose: "Alors monsieur le champion de boxe d'Asie, que diriez-vous d'un slow langoureux?"
Jack: "Avec plaisir, je ne suis pas souvent invité par une pareille beauté"
R: "Je n'ai pas l'habitude d'inviter un homme à danser mais puisque nous venons de nous rencontrer"
J: "Vous avez raison, en piste! La salle est à nous."
R: "J'ignorais que vous dansiez aussi bien... lorsque vous me tenez si près de vous, je sens toutes les vibrations de votre corps"
J :"J'espère que c'est agréable"
R: "Aaaaaaaaaah c'est une sensation plus qu'agréable, mais cette force et ces muscles impressionnent une pauvre créature fragile comme moi"
J :"Je suis doux vous savez. Dans l'intimité je suis l'homme le plus tendre qui existe"

 

Sur leur lancée, Rose et Jack sont également de précieux conseils pour le spectateur inexpérimenté qui aurait réussi brillamment la première étape d'approche décrite plus haut :

Rose: "Tu es si pressé que ça?"
Jack: "Bien plus que tu ne peux l'imaginer. Tu es superbe" (note : après avoir pris la demoiselle dans vos bras, la jeter fougueusement sur le lit)
R: "Dis moi est-ce que tu as quelqu'un dans ta vie en ce moment?"
J: "Il n'y a que toi"
R: "Ne sois pas si fougueux."
J: "Tu verras que tu ne seras pas déçue. Tu vas jouir comme jamais" (important : savoir rassurer sa partenaire sur ses performances athlétiques)
R: "Hummmmmmm, tu as dû faire l'amour à des dizaines de femmes"
J: "Je ne leur ai pas fait l'amour, je les ai baisé, c'est différent" (Jack souligne fort justement que la gent féminine reste encore sensible de nos jours à la poésie)
R: "vraiment?"
J: "Oui, je t'assure."
R: "Alors je veux savoir en quoi c'est différent" (Embrasser votre partenaire avec passion)

  

La leçon de choses passée, Rose revient aux affaires et élimine non sans sensualité (3) Jack, qui n'était autre que le premier de ses agresseurs. Démasquant un à un ses violeurs, la mission de notre émoustillante vengeresse doit se conclure par la mise à mort du chef présumé de la bande : Robert. Sous ses airs de bovin mal dégrossi, ce pseudo chef du trafic de diamants semble n'être pas indifférent aux charmes déployés par la belle chinoise (voir photo ci-dessus), mais il reste sur ses gardes, et peut compter à tout moment sur sa dextérité : enlever la culotte de Rose en deux secondes montre en main. Las, la jeune femme aurait dû s'alarmer d'une telle technique, Robert n'est pas homme à se laisser piéger de la sorte. Trop tard.

Derrière ce cocktail de sexe et de violence de façade, au rythme de scènes d'action époustouflantes, Flic ou Ninja cache pourtant un torrent d'émotions. Des personnages secondaires souffrent, la frustration se fait entendre. Hormis l'épisode Turner à ranger parmi les amours chastes, Flic ou Ninja s'enquiert également des problèmes du quotidien, en particulier ceux conjugaux de Jenny (la femme de Georges, qui n'est autre que l'ex de Rose, Jenny qui est aussi la fille de Larry, ou « la conne » dixit les propos du sinistre Maurice). Voici un petit extrait qui résume à lui tout seul la situation inextricable de cette jeune mariée bafouée. Jenny déboutonne la chemise de son homme dans un léger soupir, embrasse sa poitrine puis glisse sa main délicate vers la braguette de Georges, quand...

 

Jenny: "Qu'est-ce que tu as? Pourquoi tu ne dis rien? Georges cela fait plus d'un mois que nous sommes mariés et tu ne m'as pas encore touché. Georges, est-ce que quelque chose te contrarie?"
Georges: "Non, tout va très bien"
J: "S'il s'agit de ton travail, tu n'as qu'à l'arrêter. Tu n'as pas besoin de travailler. Ma famille est suffisamment riche"
G: "Je n'ai pas l'intention de te faire l'amour. Va donc prendre une douche froide"
J: "Oh ce que tu as dit! Tu es mon mari! Tu dois me faire l'amour"
G: "Je ne peux pas. Alors si tu es si pressée, va te faire caresser par un autre"
J: "Comment oses-tu!"

Habités par leur rôle, la prestation des acteurs (et leurs doubleurs) ne souffrent d'aucune comparaison. Riche d'un scénario non moins haletant et fort en rebondissements, le spectateur devra attendre l'intervention finale du funeste Maurice pour enfin avoir le fin mot de cette dramatique histoire. Machiavélique, au point d'en provoquer des grimaces incontrôlées à son interlocuteur Donald, le ninja rouge dévoile son plan imperturbablement. Responsable de la mort de ses trois associés, Donald doit mettre un terme aux agissements néfastes de Maurice, un combat final qui hantera vos nuits pendant encore longtemps, le ninjustsu est un art, et ces deux occidentaux en sont bien les maîtres.

 

Parangon de la série Z martial, Flic ou ninja est à classer parmi les modèles du genre. Godfrey Ho hisse le portnawak à un niveau rarement atteint auparavant (4). Mémorable.

Verdict du Nanarotron :



Ninja Champion (Flic ou ninja) | 1986 | 87 min
Réalisation : Godfrey Ho
Production : Joseph Lai & Betty Chan
Scénario : Godfrey Ho
Avec : Bruce Baron, Pierre Tremblay, Phillip Ching, Jack Lam, Nancy Chan, Richard Harrison, James Chan, Dragon Lee
Directeur de la photographie : Raymond Chang
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(1) A noter que Golan s'est sans doute fortement inspiré d'un précédent métrage sorti l'année précédente avec son futur poulain Chuck Norris dans La fureur du juste (The Octagon).

(2) On appréciera au passage son monologue envers son compagnon d'infortune quand celle-ci sera capturée: "Je te remercie pour ta loyauté. Je sais ce que tu veux me dire, que tu es amoureux de moi et que tu n'a jamais pu me le dire parce que tu es trop timide. Non Turner, je ne peux pas accepter, tu ne me dois rien et encore moins ta vie. Je n'ai pas le droit, continue notre mission... et à vivre". Or Turner est muet. Et durant cette émouvante confession, ce dernier ne pourra exprimer sa réprobation par quelques Aaaaaaaaaaaaaaahhh Gnnnnnnnnnnnnn Nnnnnnnnnnnnnnnnnnnh et autres grimaces. Terrible.

(3) Mourir empoisonné après avoir léché les seins de sa partenaire. Re : Terrible.

(4) Avec en prime une belle entorse aux lois du copyright, et la participation du Trans-Europe Express de Kraftwerk et On The Run de Pink Floyd.

Ultime combat (Deadly Prey) - David A. Prior (1987)

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Disparu le 16 août durant la post-production de son dernier long métrage Assassin's Fury, le réalisateur étasunien David A. Prior aura laissé une trace indélébile dans le cinéma bis. Davantage connu outre-Atlantique, l'homme fut pourtant l'un des artisans du genre, ou plutôt des genres. A partir de la moitié des années 80 et pendant une décennie, ce passionné, sous la multi casquette de scénariste réalisateur (voire producteur), fut l'auteur de plus d'une vingtaine de bisseries, où se croisèrent tueur psychopathe, zombies vengeurs, et nombre de films de guerre fauchés qui occupent la majeure partie de cette filmographie au service d'une série B louchant vers le Z. Si Prior dirigea au cours de sa vie plusieurs figures récurrentes et abonnés aux productions déviantes : Michael Ironside, Joe Spinell, William Smith, David Carradine, Charles Napier, Richard Lynch, Robert Z'Dar, Jan-Michael Vincent, Traci Lords et même Pamela Anderson, le réalisateur reste toutefois indissociable de son cadet, Ted, qui aidera jusqu'à cette triste fin son frère, à la fois devant et derrière la caméra. 

Longtemps inédit en DVD (le Blu-Ray sort aux USA le 13 octobre prochain), Ultime combat est sans conteste le film le plus marquant de la fratrie Prior, ce dernier ayant même droit, vingt-cinq ans plus tard, à une séquelle toujours signée par Prior, nommée Deadliest Prey, avec de nouveau la paire Ted Prior et David Campbell dans leur rôle respectif (l'année 2013 sonnant son grand retour après une timide réapparition dans les années 2000). A l'instar de Strike Commando mis en scène par l’inénarrable Bruno Mattei, et sorti la même année avec le sémillant Reb Brown, Ultime combat puise son inspiration du côté de la franchise Rambo, tout en y apportant une once d'originalité (osons le l'écrire), le scénario lorgnant également vers le classique des années 30, La chasse du comte Zaroff (1), ou quand un Rambo blond devient la proie de méchants mercenaires commandés par un colonel tout aussi sinistre. Mais n'allons pas trop vite.

A 75 miles au Sud-Est de Los Angeles, le colonel John Hogan (David Campbell) dirige de mains de fer un mystérieux camp de mercenaires financé par un certain Don Michaelson (Troy Donahue). Cet ancien gradé, remercié par les cuistres ronds de cuir de l'armée étasunienne qui ne croyaient pas en ses méthodes, rassemble des soldats perdus dans un seul but, en faire "les mercenaires les meilleurs du monde", avant de les envoyer vers de lucratifs théâtres d'opération dans diverses dictatures sud-américaines. Secondé par le lieutenant Thornton (Fritz Matthews), Hogan a mis au point une méthode unique en guise d'entrainement : la chasse à l'homme, ou enlever un inconnu et le lâcher en pleine forêt avec une dizaine d'hommes armés à ses trousses.

   

Or le procédé est quelque peu hasardeux, et dépend en premier lieu des qualités athlétiques de la victime, non consentante faut-il le rappeler. On peut ainsi s'interroger sur la pertinence des proies choisies à l'instar du comptable/banquier look-a-like à forte corpulence, qui jugera certes rapidement la situation inextricable dans laquelle il est plongé "Fils de pute, i'vont m'tuer", sans cependant pouvoir contrecarrer les plans de Hogan & co "T'es un homme mort, gras double". Las de tomber à chaque fois sur de piètres proies, Hogan ordonne à son lieutenant de faire mieux, d'autant plus que Thornton élimine dans son dos à mesure les soldats qui ne donnent pas satisfaction : "Il (gras double) m'a pris en traite""je sais. Pan! ". Bref comme l'indique amèrement Hogan : "Et merde, on est tombé sur une équipe de gonzesses, ma parole. Réunis quelques hommes et trouve une proie, et coriace cette fois". Car n'oublions pas la devise Hogan que le colonel aime à formuler devant chaque nouvelle recrue :  "Quand on s'entraîne, c'est pour de bon".

 

De bon matin, nos pieds nickelés, perdus dans la banlieue de Los Angeles, jettent innocemment leur dévolu sur un dénommé Danton qui sort les poubelles les cheveux au vent. Il est emmené manu militari dans leur van sous les yeux impuissants de madame en nuisette, ses petits doigts accrochés au grillage de la maisonnée. Grand mal leur en a pris. Est-ce l'image de ce délicieux short trop court en jeans, ce corps bodybuildé caché sous cet intriguant sweat-shirt, ou ce mulet blond savamment négligé, toujours est-il que les kidnappeurs ignoraient à qui ils avaient à faire... mais pas le colonel Hogan, une fois découvert les premiers mercenaires retrouvés morts dans la forêt : "Ça me dit quelque chose ce style. C'est mon style. Danton. Mike Danton!". S'en suit un massacre de recrues en bonne et due forme sous les yeux impuissants de Hogan en treillis, ses grandes mains crispés posées sur son bureau. Bref, c'est la panique parmi les pioupious "Merde, c'est le monde à l'envers. C'est lui qui nous chasse". Mais Thorton veille toujours au grain : "Ferme ta gueule ! Pan ! ".

 

Mike Danton était le meilleur au Vietnam. Il l'est encore. Véritable machine à tuer au sang-froid reptilien, l'homme conjugue l'ingéniosité des castors juniors et de Mac Gyver (le mulet de notre héros n'est pas là par hasard) à des performances et des connaissances dignes des meilleurs commandos en matière de camouflage. Tuer avec une brindille, surgir de l'eau tel un crocodile, manger des lombrics, ou parsemer la forêt de pièges redoutables, plus rien n'arrête Mike Danton, au grand dam de Hogan ? Ce serait oublier que le colonel sait exactement ce que Danton pense "c'est moi qui lui ai appris". Le colonel décide alors d'user de méthodes plus psychologiques pour faire plier son ancien élève : kidnapper sa femme Jaimy (Suzanne Tara) et la violer en sus. En l'apprenant, Mike est désormais très très énervé !

  
Relation très tendue entre Mike et Sybil, adjointe et copine du colonel

En aparté et en guise d'intermède à teneur hautement engagé, Jaimy a également lancé son propre père (Cameron Mitchell), retraité de la police, a la recherche de Mike avec pour seul indice, le début d'une plaque d'immatriculation et la couleur de la camionnette des pieds nickelés susmentionnés. Un paternel qui non content d'être un fin limier (il retrouvera le camp, mais il ira seul, sans prévenir ses anciens collègues...), croise sur sa route le louche Michaelson, devenu le regrettable réceptacle d'une vie misérable au service de l'ordre : "Qui je suis ? Un petit homme de rien du tout qui a passé sa vie à traquer des hommes de votre genre. [...] Aujourd'hui les pauvres qui vous ont enrichi vont gagner. Crève ordure. Pan !". Fin de l'aparté politique.

  
 "Halte. Ami ou ennemi ?"
"Ami !" 
"Tu es un menteur… Pan!"

« Too much is not enough » ainsi pour être aussi la devise de cet Ultime combat. Outrancier par sa violence, le film provoque néanmoins paradoxalement des rires tant les situations confinent au ridicule (après les mercenaires armés, il faut voir Danton s'attaquer seul contre un char). A apprécier davantage pour son style cartoonesque involontaire (la capacité du héros à se relever des nombreuses explosions de grenades ou l'incapacité des vilains à le toucher à bout portant!) que pour sa bêtise crasse, les dialogues et le casting faisant le reste (2), ce long métrage prend rapidement des allures de grand mauvais film sympathique. Dans son rôle de héros guerrier crypto-gay au look improbable (3), Ted Prior donne une performance qui marquera longtemps les esprits, à l'image de son affrontement final contre le vil Thornton. Le rôle d'une vie en quelque sorte.


Culte.

En bonus : Quelques gifs du film sur notre tumblr.

Verdict du Nanarotron :



Deadly Prey
résumé en 6'46" !
  

Deadly Prey (Ultime combat) | 1987 | 88 min
Réalisation : David A. Prior
Scénario : David A. Prior
Avec : Ted Prior, Cameron Mitchell, Troy Donahue, Fritz Matthews, David Campbell, Dawn Abraham, William Zipp
Musique : Tim Heintz, Tim James, Steve McClintock
Directeur de la photographie : Stephen Ashley Blake
Montage : Brian Evans
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(1) A noter que ce modèle dantesque (et fauché) évoque le film Que la chasse commence! (Surviving the Game) de  1994 avec le trio Ice-T, Rutger Hauer et Gary Busey.

(2) Tels les deux vieux has been, cachetonnant bon an mal an, Cameron Mitchell et Troy Donahue.

(3) Et l'âge tout autant improbable : le personnage est trentenaire et est pourtant un ancien soldat d'élite ayant participé à la guerre du Vietnam. L'US Army enrôlait des mineurs ?!

Scalps - Werner Knox (1987)

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Homonyme d'un des premiers films de Fred Olen Ray réalisé quatre ans plus tôt, ce Scalps signé par un mystérieux Werner Knox est, comme le signale magistralement l'affiche ci-contre, un western aux arguments solides, sinon prometteurs. Sans plus attendre, dévoilons l'identité secrète du, ou plutôt, des metteurs en scène qui se cachent derrière ce pseudonyme aux accents germano-anglophones, un duo qui marqua de son empreinte la décennie 80 par leur foi inébranlable dans le cinéma et le portnawak, en signant (1) des œuvres aussi subversives que Virus Cannibale ou Les rats de Manhattan : Bruno Mattei / Claudio Fragasso. Davantage réputés pour leur opportunisme et la qualité controversée de leurs productions, nos deux compères, responsables d'un précédent western nommé Bianco Apache sorti également en 1987, déjouent les pronostics cette année-ci avec un diptyque inattendu. Mieux, à une époque où le western spaghetti est mort et enterré depuis bien longtemps, Scalps devance de quelques mois, sans évidemment l'éclipser, le retour du personnage culte interprété par Franco Nero dans la séquelle Django 2: il grande ritorno, en proposant une héroïne vengeresse sachant manier l'arc et les flèches explosives. Tout un programme.

Tandis que la fin de la Guerre de Sécession signe la défaite des états confédérés, l'irréductible colonel texan Connor (Alberto Farnese) et sa poignée de soldats perdus résistent encore et toujours à l'envahisseur yankee. Dirigeant d'une main de fer son camp et les contrées aux alentours, le colonel brûle d'avoir une nouvelle maîtresse à ses côtés en la personne de Yari (Mapi Galán), fille aînée du chef indien Aigle noir (Charly Bravo). Pour se faire, ils demandent à ses hommes d'aller récupérer, de gré ou de force, l'objet de son désir en échange de quelques bouteilles de whisky, fusils et autres munitions. Las, devant le refus et l'obstination des autochtones, les soldats obéissent aux ordres reçus, et massacrent la tribu Comanche afin de leur rappeler, une toute dernière fois, qui est le maître des lieux. Désormais prisonnière, Yari est sur le point d'être conduite à son futur amant psychotique, quand celle-ci réussit à s'échapper et trouve refuge dans le ranch de Matt (Vassili Karis), un ancien soldat confédéré qui voue une haine envers les indiens depuis la mort de son épouse...

 

Co-écrit par Bruno Mattei d'après une histoire écrite par l'acteur Richard Harrison (dont le fils Sebastian jouait dans le précédent Bianco Apache), Scalps pourrait bien en déconcerter plus d'un pour de bonnes et de mauvaises raisons. Fortement inspirée par le film Soldier Blue (1970) avec Candice Bergen, Peter Strauss et Donald Pleasance (allant jusqu'à lui emprunter quelques scènes au passage), l'histoire se garde bien de suivre les aspects contestataires du western mis en scène par Ralph Nelson. Pur produit du cinéma d'exploitation, Scalps élude donc sans surprise la question amérindienne et le rôle néfaste tenu par le gouvernement étasunien. Non sans raison, le scénario de Mattei et consorts préfère opter pour une valeur sûre du cinéma bis, la présence d'un bad guy sadique, officier sudiste ce qui gâche rien, afin de justifier la violence du film.

 

D'une facture très classique, voire timorée, à la limite de la léthargie durant sa première partie (à l'exception du massacre susmentionné), l'ambiance générale du film s'éloigne de la supposée et promise profanation du genre. Plus étrange, peu d'indices indiquent en fait clairement durant la première heure la signature de nos deux hommes, dont la réputation n'est pourtant plus à faire. De ce qu'il convient à considérer comme un long prologue, Mattei et Fragasso ayant enclenché le frein à main, les trente dernières minutes de Scalps corrigent fort heureusement cette morne paralysie formelle. Sans atteindre, avouons-le, les extravagances post-modernes auquel le duo nous avait habitués par le passé (au hasard l'intermède du tutu vert dans Virus Cannibale), le film saura néanmoins satisfaire ceux qui auront eu la patience d'attendre (2). Sans doute un des westerns les plus gore jamais réalisés, Scalps, comme son nom l'indique, s'illustre en premier lieu par ses séquences sanglantes et sa poignée de cuirs chevelus fraîchement scalpés. Point d'orgue de cette collusion entre le cinéma d'horreur 80's et le western, les deux réalisateurs intègrent au spectacle une longue séquence de torture avec crochets dans la poitrine en prime. Pour amateurs de steak tartare.

 

Incarnés par Vassili Karis, connu pour ses rôles dans les films de science-fiction crapoteuse d’Alfonso Brescia (La bête dans l'espace), et par la séduisante Mapi Galán, les deux personnages principaux subissent également un traitement particulier. Inversion des rôles héritée de l'originel Soldier Blue, Yari porte la culotte face à l'impotence de son compagnon (3), allant jusqu'à le sauver des griffes du colonel Connor. Aidée de son arc et de quelques bâtons de dynamite, la jeune femme se transforme alors en « Rambette » et sème la panique parmi la troupe de Connor. Ultime.

 

Avec son lot de figurants grimés en indiens, les clichés qui vont de pair, et sa musique western jouée aux synthétiseurs signée Luigi Ceccarelli, Scalps saura enfin satisfaire les derniers déviants récalcitrants. Ajoutons le soin quasi publicitaire apporté aux scènes où apparait la belle Mapi Galán et la présence de l'actrice francienne Beni Cardoso (Femmes en cage, Crimes dans l'extase) dans le rôle de la femme du colonel Connor, et vous comprendrez que cette production italo-espagnole, à l'instar de L'autre Enfer, n'est pas le mauvais film sympathique attendu. Une curiosité bis avec ses défauts et ses fulgurances, dernier témoignage d'un cinéma de quartier qui connait ses derniers soubresauts. 

En bonus : Quelques gifs du film sur notre tumblr.



Scalps | 1987 | 97 min
Réalisation : Claudio Fragasso, Bruno Mattei (Werner Knox)
Scénario : Bruno Mattei et Roberto Do Girolamo d'après une histoire de Richard Harrison et Italo Gasperini
Avec : Vassili Karis, Mapi Galán, Charly Bravo, Beni Cardos, Alberto Farnese, Lola Forner
Musique : Luigi Ceccarelli
Directeur de la photographie : Julio Burgos, Luigi Ciccarese
Montage : Vincenzo Vanni
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(1) Claudio Fragasso fut le scénariste et l'assistant, faut-il le rappeler, des plus mémorables films de Mattei.

(2) En guise d'amuse-bouche et à défaut de stock-shots, on appréciera les sons choisis pour illustrer la faune nocturne texane. On croirait à s'y méprendre dans une jungle !

(3) Impotence toute relative le soir venu, Yari ayant pris soin de servir un plat aphrodisiaque à son futur amant, soit du serpent en brochette (on n'est jamais trop prudente).

Yor, le chasseur du futur - Anthony M. Dawson (1983)

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Mis en scène par Antonio Margheriti, dissimulé sous son immuable pseudonyme Anthony M. Dawson, Yor, le chasseur du futur s'inscrit, de prime abord, dans le sillage des nombreuses productions bis italiennes, dont le premier but était de suivre les modes du moment. A un détail près. Adaptation d'une bande dessinée argentine, Henga, el cazador, éditée au mitan des années 70 et signée par la paire Juan Zanotto / Ray Collins, l’œuvre originelle dépassait déjà la simple retranscription d'une préhistoire fantaisiste, pour plonger son personnage principal dans un univers science-fictionnel. Pas étonnant dès lors, en dépit du fait que sa sortie ne soit pas étrangère au succès de La guerre du feu ou de Conan le Barbare, que le film soit dirigé par l'italien Antonio Margheriti, cinéaste ayant démontré maintes fois par le passé son goût pour l'hybridation des genres (au hasard La brute, le colt et le karaté). Hélas pour le réalisateur, et sans déflorer trop vite le contenu de ce film devenu rapidement culte pour de mauvaises raisons, si Yor, le chasseur du futur fut, d'après le propre fils de Margheriti, un succès inattendu Outre-Atlantique, celui-ci se fit surtout à son détriment, à l'image des trois nominations reçues lors de la quatrième cérémonie des Razzie Awards (1).

Grand, blond et musclé, Yor (Reb Brown) vit dans un monde préhistorique. Arborant un mystérieux médaillon doré, cet étranger sauve des griffes d'un vorace dinosaure herbivore la belle et jeune Ka-Laa (Corinne Cléry) et son protecteur Pag (Luciano Pigozzi). Accueilli et célébré comme un héros par leur village, la fête tourne court après l'apparition d'hommes des cavernes qui massacrent les habitants. Capturée lors de sa fuite, Ka-Laa est conduite vers le chef de la tribu, mais Yor réussit à s'introduire dans la grotte et la libère. Ka-Laa et Pag décident alors d'accompagner Yor et de le suivre à la recherche de ses origines...

 
 "Boire le sang de ses ennemis rends plus fort"
"Je préfère rester faible…"

Coproduction italo-franco-turque (stop, n'en rajoutez plus), Yor, le chasseur du futur fut à l'origine une commande pour la RAI qui devait regrouper quatre épisodes de cinquante minutes. Remonté à l'époque en un long métrage de 90 minutes, en particulier pour le marché américain et celui de la VHS, on notera en aparté, non sans déception marquée d'une pointe de tristesse, la perte inestimable de la matrice originelle (2) dont ne subsiste aujourd'hui que la version coupée ici présente.

Introduit par un générique mémorable, et porté par une chanson (qui l'est tout autant) à la gloire de notre héros ("Yor's world, he's the man!") qui gambade à travers les paysages lunaires de la Cappadoce, le sourire niais et la hache à la main en sus, les aventures de Yor se résument au départ par sa capacité à défendre les plus faibles (ce qui avouons le, n’est pas une sinécure durant la préhistoire). Seul problème, et de taille, à mesure que notre homme rencontre de nouvelles tribus ou de nouveaux personnages, celui-ci provoque, de manière intentionnelle ou non, leur disparition. Si Yor n'est pas vecteur de maladie, les circonstances invitent toutefois à le placer dans la sinistre catégorie des oiseaux de mauvais augure.

 
 Yor, et laissez le charme niais agir !

Interprété par le charismatico-anémié Reb Brown qui n'aura jamais aussi bien incarné la « bravitude », celui-ci est accompagné par la non moins séduisante Corinne Cléry, révélée huit ans plus tôt par l'adaptation d'Histoire d'O avec Udo Kier, et les mémorables (hum hum) Moonraker et L'humanoïdeà la fin de la décennie précédente. Chantre du port altier de la perruque miteuse, l'ami Reb n'en demeure pas moins un bourreau des cœurs. Nulle demoiselle ne peut lui résister: Ka-Laa, avec qui il partage la même passion pour les cheveux (3), Roa (Carole André), avec qui il partage la même couleur de cheveux, et enfin Tarita qui veut tout simplement partager sa vie avec lui, depuis qu'il lui a sauvé la vie des griffes d'un dinosaure belliqueux (et oui, encore) : "Prends-moi avec toi, étranger !". Problème, Ka-Laa n'est pas partageuse...

 

Avec ses effets spéciaux artisanaux désuets, mais non dénués d'un charme naïf, Yor souffre forcément de la comparaison avec les superproductions étasuniennes du moment. Des dinosaures en carton-pâte à son bestiaire préhistorique farfelu, le long métrage semble contrairement à son titre provenir du passé. Or en partant du postulat que la perruque de Yor ne vient pas du futur, force est de constater que l'argument science-fictionnel promis fait défaut. C'était sans compter sur la dernière demi-heure supraportnawak, celle des grandes révélations (nous sommes dans le futur) et de la présence du croquignolet tyran Overlord (John Steiner) dont l'aspect n’est pas sans évoquer le pire ennemi des Quatre Fantastiques. A partir de ce retournement de situation improbable qui voit Yor mener la rébellion contre un docteur Doom d'opérette, dont le souhait est d'engendrer une nouvelle race d'androïdes à partir du fruit des amours de Yor et Ka-Laa, Antonio Margheriti explose tout en chemin: les genres et la santé mentale du spectateur. Dont acte.

 

A l'heure du bilan, Yor, le chasseur du futur laisse un sentiment d’inachevé, la faute en grande partie à un montage déséquilibré, et une seconde moitié de film qui aurait gagné à être raccourcie au profit de son épilogue SF. Qu'importe. Ne gâchons pas notre plaisir. Reb Brown et sa perruque font honneur à sa réputation (4). Mieux, le voir se battre en slip et en moon boots en fourrure contre des stormtroopers en toc, et leur lasers qui font piou-piou, devrait ravir les cinéphiles déviants. Quant aux derniers récalcitrants, il reste l'affiche française de maître Druillet (5).

En bonus : Quelques gifs du film sur notre tumblr.

Verdict du Nanarotron :




Yor's world, he's the man!
Yor's world, he's the man!
Yor's world!

Lost in the world of past
with the echo of ancient blast
There is a man from future, a man of mystery
Yor's world!

Il mondo di Yor (Yor, le chasseur du futur) | 1983 | 88 min
Réalisation : Antonio Margheriti (Anthony M. Dawson)
Scénario : Robert D. Bailey & Antonio Margheriti d'après la bande dessinée de Ray Collins et Juan Zanotto
Avec : Reb Brown, Corinne Cléry, Luciano Pigozzi, Carole André, John Steiner
Musique : John Scott
Directeur de la photographie : Marcello Masciocchi
Montage : Alberto Moriani, Giorgio Serrallonga
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(1) Pire révélation pour Reb Brown, pire bande-originale et enfin pire chanson originale. 

(2) La mini-série fut d'ailleurs finalement diffusée bien plus tard par la RAI et est désormais introuvable… 

(3) A l'instar des canidés et de leur poil soyeux, la chevelure étincelante de Ka-Laa (Corinne Cléry) ne laisse aucun doute sur sa bonne santé. 

(4) Sans compter désormais ses talents reconnus en tant qu'équilibriste: l'entrée en deltaplane chauve-souris géante (?) dans la cave des néandertaliens et le numéro de trapèze digne de Sous le plus grand chapiteau du monde avec son partenaire Pag sur l'île mystérieuse de seigneur Overlord.

(5) Philippe Druillet qui est l'auteur de l'affiche de La guerre du feu d'Annaud. La boucle est bouclée !

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